Sous l’impulsion de l’avis du CCNE du 13 mars 2020, qui préconisait l’émergence d’une éthique de terrain pour les soignants, une nouvelle organisation de la réflexion éthique s’est mise en place autour de cellules de soutien éthique (CSE) dans les régions, en lien avec les espaces de réflexion éthique régionaux (ERER). Le lien entre l’échelon national de la décision publique et l’échelle locale des questionnements éthiques de terrain a été repensé et facilité par des outils nouveaux.Sous la coordination de la DGOS et de la CNERER (Conférence nationale des ERER), les travaux de ces cellules de soutien éthique forment un corpus important de signaux sur les tensions traversées aujourd’hui par notre système de santé.
Cette organisation mise en place dans l’urgence pour faciliter l’accès des acteurs de proximité à la réflexion éthique est riche d’enseignements. Si elles ont effectivement su guider la réflexion des soignants face à des décisions individuelles difficiles, élaborant une véritable “éthique de terrain” adaptée à la crise, les CSE sont aussi rapidement apparues comme autant de “vigies”, capables de guider cette fois la décision publique. Au-delà du périmètre initial de soutien aux équipes éprouvées, les CSE ont rapidement été créditées d’une capacité d’infléchir les dispositions générales de prévention, en alertant les autorités sur les épreuves morales qu’elles engendraient, pour les patients qui les subissaient et pour les soignants chargés de les appliquer.
Les questionnements éthiques remontés à travers ces cellules de soutien concernent tout particulièrement l’épreuve vécue par les soignants lorsqu’il s’est agi d’appliquer des normes ou des standards de prévention de la contagion qui allaient à l’encontre des besoins individuels de leurs patients. Isolement des résidents d’Ehpad, interdiction de visites pour des patients en fin de vie : les soignants ont fait face à une tension vive entre les règles collectives, imposées au nom de l’intérêt général, et l’impératif de bienfaisance dans l’intérêt individuel du patient. Ces questionnements révèlent d’abord un besoin de soutenir l’autonomie de discernement et le pouvoir d’agir des soignants, alors que la crise accentue parfois un sentiment de perte de sens ou de “qualité empêchée” : lieux privilégiés de réflexion, les CSE incarnent a posteriori un levier précieux pour appréhender les tensions qui traversent aujourd’hui les métiers du soin, parfois désignées comme une crise de sens. Dans un contexte largement décrit aujourd’hui, et que la crise est venue amplifier d’inquiétudes récurrentes sur la “déshumanisation”, la “bureaucratisation”, la perte du “pouvoir d’agir” des soignants, l’éthique de terrain pratiquée dans les CSE offre une série de repères sur la confiance dans l’autonomie de discernement des soignants.
Mais les questionnements éthiques ou déontologiques que les soignants ont fait remonter dans ces cellules de soutien éthique nous parlent aussi, et peut-être avant tout, de l’expérience traversée par les patients, résidents, usagers, durant la crise : la “communauté de destin” entre soignants et patients dans la crise est l’élément frappant de ce corpus. Les épreuves morales des uns sont les épreuves de vie des autres, et c’est avec les mêmes coordonnées qu’elles peuvent se décrire : soin, bienfaisance, dignité, autonomie, droits, dilemmes, écoute, reconnaissance.
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