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04/10/2018

1958-2018 : la Vème République célèbre sa longévité. Trois questions à Olivier Duhamel

1958-2018 : la Vème République célèbre sa longévité. Trois questions à Olivier Duhamel
 Institut Montaigne
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La Vème République fête aujourd’hui ses 60 ans. Cette longévité s'appuie sur une Constitution célébrant la stabilité du pouvoir présidentiel, et qui a fait l’objet de nombreuses révisions,  24 depuis sa promulgation. Est-elle aujourd'hui adaptée à la reconfiguration des affaires domestiques et européennes ? Qu’attendre de la réforme constitutionnelle annoncée par Emmanuel Macron ? Olivier Duhamel, président de la FNSP (SciencesPo) et contributeur sur les questions politiques et institutionnelles à l'Institut Montaigne, nous livre son analyse. 

La Constitution de la Vème République a été rédigée pour assurer la stabilité de nos institutions. Est-elle aujourd’hui un moteur ou une entrave à l’efficacité de l’action publique ?

L’action publique nationale est entravée dans toutes les démocraties, et même d’ailleurs dans les dictatures - mais c’est un autre sujet. Elle est entravée de l’extérieur par la puissance des marchés financiers, par celle des GAFA, et dans les pays de l’Union par l’existence de politiques et contraintes communes. Elle l’est de l’intérieur par l’indispensable décentralisation, mais aussi par les ghettos, zones de peu de sécurité et de peu de droit. Elle l’est encore par la défiance accrue des citoyens à l’égard des politiques et du politique, qui formulent des demandes sécuritaires impossibles à satisfaire et/ou multiplient les détours pour échapper aux normes qui ne leur conviennent pas. 

La question devient alors : est-ce que les autres régimes expérimentés antérieurement en France seraient plus efficaces ? La réponse se discute pour les Empires autoritaires, mais pas pour les Républiques précédentes, dont les gouvernements étaient infiniment plus fragiles.

La Ve République a donné de nombreuses preuves de son efficacité. Face aux crises, tels le putsch militaire en 1961, la révolte sociale en 1968, qu’elle a permis de surmonter avec des outils constitutionnels : les pleins pouvoirs de l’article 16 dans le premier cas, la dissolution de l’Assemblée nationale dans le second. Efficacité aussi pour absorber l’alternance, en 1981, et pratiquer la cohabitation, en 1986, 1993, 1997.

La raison fondamentale de son efficacité tient au fait que le pouvoir y est clairement attribué par le peuple, principalement au président de la République par l’élection directe. Une majorité électorale est suivie d’une majorité parlementaire, qui soutient une majorité gouvernementale, et ces trois majorités, sauf exception, coïncident. Elles coïncident d’autant mieux que le mandat présidentiel a été ramené à cinq ans et les élections parlementaires décisives, les "législatives", se déroulent dans la foulée. Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron ont reçu le pouvoir pour cinq ans. S’ils ont parfois peu ou mal gouverné, cela ne tient pas aux institutions. S’ils ont pu parfois plus et mieux le faire, c’est en revanche grâce à elles.

En quoi la Vème République est-elle un régime politique singulier en Europe ? Que signifie cette particularité française ?

Singulière, la Vème République l’est parce que le pouvoir est attribué par deux élections, présidentielle et législatives. Il faut l’emporter deux fois pour pleinement gouverner. Aux Etats-Unis, seule l’élection présidentielle est "gouvernementale", même si un Président gouverne plus aisément avec une majorité de son parti dans la Chambre des représentants et au Sénat. En Europe, de très nombreux pays connaissent l’élection populaire du Président, mais elle n’est pas attributive du pouvoir gouvernemental. 

La France n’est donc ni un vrai régime parlementaire à l’européenne, ni un vrai régime présidentiel à l’américaine, mais un régime présidentialiste. 

Cette particularité en fait une sorte de monarchie démocratique. Monarchie car le pouvoir d’un seul prédomine, et démocratique car il est élu, à l’issue d’élections libres et compétitives, pour une durée raisonnable, immédiatement rééligible une seule fois, et que l’État de droit, composante indispensable de la démocratie, y est développé. 

Que peut-on attendre de la réforme constitutionnelle promise par Emmanuel Macron ?

Disons d’abord que cette révision a peu de chances d’aboutir dans sa totalité. Le plein accord du Sénat n’est pas au programme, tant l’opposition veut affaiblir Emmanuel Macron. Le court-circuit référendaire est juridiquement trop contestable et politiquement trop dangereux pour être utilisable. 

Pour le reste, tout dépendra de ce qui sera ou non adopté in fine, mais en toute hypothèse, il ne s’agira pas d’un changement considérable pour notre République. La réforme consistera essentiellement de mises à jours qui font consensus (suppression de la présence des anciens Présidents au Conseil constitutionnel, amélioration des conditions de désignation des membres du Parquet, suppression de la Cour de justice de la République qui juge les ministres pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions), ou qui ne bouleverseraient pas nos institutions (réduction du nombre des parlementaires, adoption d’une petite dose de proportionnelle aux élections législatives, limitation des mandats dans le temps). Notre constitution a déjà été révisée 24 fois. Elle peut l’être une vingt-cinquième, et le sera d’ailleurs un jour. Une voiture ne dure longtemps que si elle est régulièrement révisée. 

 

Crédit photo : Joel Saget / AFP

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