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Note
Mai 2021

Relance en Afrique :
quel rôle pour
les entreprises ?

Auteurs
Mahaut de Fougières
Responsable du programme Politique internationale

Mahaut de Fougières était responsable du programme Politique internationale jusqu'à Février 2023. Dans ce cadre, elle pilote les travaux de l'Institut Montaigne sur la défense, la politique étrangère, l'Afrique et le Moyen-Orient, et mène des projets transversaux au sein du pôle international. Auparavant, elle était chargée d'études sur les questions internationales, depuis 2018.

Diplômée de King's College London et de University College London (UCL) en relations internationales, elle a également étudié à l'université américaine de Beyrouth (AUB).

Groupe de travail

Président du groupe de travail :

  • Jean-Michel Huet, Partner, BearingPoint

Membres du groupe de travail :

  • Bertrand Ambroise, directeur international - Marché International de Rungis, Semmaris
  • Nicolas Andrieu, Vice-President Middle East & Africa, Sigfox
  • Régis Arnoux, président-directeur général, CIS Catering
  • Yves Barraquand, Chief Executive Officer, CMR Group
  • Denis Bergé, délégué général, AfricaLink
  • Stéphane Couturier, International Development Managing Director, CVE
  • Yves Delafon, président, AfricaLink
  • Jean-Pierre Dréau, président, SNEF 
  • Didier Fégly, président, Groupe SACRED
  • Samuel Goldstein, Business Development - Africa, Meridiam
  • Olivier Granet, directeur général, Kasada Capital Management 
  • Antoine Huard, directeur international, Générale du solaire, auteur de la note de l'Institut Montaigne Énergie solaire en Afrique : un avenir rayonnant ? 
  • Philippe Labonne, directeur général adjoint, Bolloré
  • Patrick Lawson, Deputy Head of Concessions, Bolloré
  • Stéphane Layani, président-directeur général, Semmaris
  • Yannick Morillon, directeur général délégué, CIS Catering
  • Corinne Murcia Giudicelli, directrice de la stratégie, IN Groupe - Pôle Composants 
  • Patrick Poirrier, président-directeur général, CEMOi
  • Lionel Raffin, directeur général associé, GEOSAT
  • Eric Sauvage, Executive Vice President, Marketing & Strategy, Edenred
  • Georges Serre, ancien Ambassadeur
  • David Sussmann, président, Seafoodia
  • Renaud Tarrazi, architecte, MAP
  • Ainsi que le Groupe Compagnie Fruitière

Rapporteurs :

  • Waël Abdallah, étudiant
  • Mahaut de Fougières, chargée d’études, Institut Montaigne 

Ainsi que :

  • Justine Cary, consultante stratégies d’influence, Stan 
  • Katia Fiorentino, associée, Stan 
  • Blanche Guinard, assistante chargée d’études, Institut Montaigne

La crise du Covid-19 en Afrique, comme ailleurs, s’est traduite par un ralentissement massif de la production pour les économies du continent, des pertes de revenus d’activité pour les entreprises, et souvent une montée des tensions et des inégalités. Nombreuses mais affaiblies, les PME et ETI sont directement touchées par la crise, notamment sur le plan financier, et voient leur avenir parfois compromis. Des problèmes structurels de financement, déjà présents avant la crise, sont alors amplifiés.

Or, si la crise sanitaire fait naître des besoins de refinancement immédiats des économies, elle doit aussi faire émerger de nouveaux relais de croissance. Le secteur privé, à condition d’être mieux encouragé et d’évoluer dans un contexte monétaire et financier plus stable, peut offrir ces nouveaux relais de croissance, et des perspectives pour les entrepreneurs français comme pour la croissance des économies africaines. Tout en attirant de nouveaux flux de financements publics, la relance doit donc motiver les financements privés.

Alors que s'est tenu le 18 mai 2021 à Paris un Sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne, l’Institut Montaigne publie ses recommandations destinées à aider les entreprises françaises à faire face à la crise et conserver leur ancrage sur le continent, dans la lignée de la note de juin 2020, Les entreprises françaises en Afrique face à la crise du Covid-19.

Un soutien nécessaire au secteur privé, en particulier les PME et ETI

Les PME et ETI représentent 90 % du tissu entrepreneurial du continent, et 60 % des emplois. Malgré ce poids, les entreprises souhaitant se développer sur le continent voient parfois leurs ambitions limitées par des manques de financement, et d’accès à des outils pourtant pensés pour elles. Le renforcement des liens entre l’Europe et l’Afrique doit notamment passer par une plus grande confiance dans l’avenir, c’est-à-dire dans la capacité des projets à être financés. Ces dernières années, des réformes ont eu lieu, et deux pays du continent (Togo et Nigéria) sont même dans le top 10 des pays ayant fourni le plus d’efforts selon le rapport Doing Business 2020 de la Banque mondiale. Malgré cela, seuls deux pays du continent (Maurice et le Rwanda) sont dans le top 50 du classement général, qui prend notamment en compte la facilité d’obtention de crédit.

La crise sanitaire a exacerbé les tensions et les incertitudes, déstabilisé les finances publiques des États du continent, et ralenti les flux de financements privés tout en générant des dettes difficilement soutenables. Les partenariats public-privé (PPP) peuvent offrir des solutions aux problèmes de dette publique excessive, comme le soutenait la Banque africaine de développement dès septembre 2020. Ils répondraient directement aux besoins massifs d’investissements dans les infrastructures, qui devraient atteindre $170 milliards en 2050, via des subventions d’investissement. Entre 2008 et 2018, l’Afrique du Sud, le Maroc, le Nigéria, l’Égypte et le Ghana ont représenté plus de 50 % des PPP réussis du continent. Pour qu’ils soient considérés gagnants-gagnants, ces PPP doivent aussi bien être transparents pour les entreprises, que rentables pour les États, permettant aux gouvernements de dégager des marges budgétaires. Par ailleurs, alors que les investissements publics font parfois l’objet de lenteurs et de blocages, ces partenariats répondent à l’exigence de rapidité des investissements et donc de la vitesse de décision, comme le rappelait l’Institut Montaigne en juin 2020.

Les suspensions du service de la dette répondent aussi à ce problème. Le Club de Paris a ainsi récemment annoncé l’extension de l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) pour plusieurs pays du continent (dont le Niger, la RDC, le Burkina Faso, Djibouti, le Sénégal, le Cameroun) jusqu’au 30 juin prochain. Combinées aux Contrats de désendettement (C2D) et aux PPP, elles offrent des perspectives de reprise, à condition de ne pas créer de dette publique cachée, comme le soulignait l’institution en mars 2020.

Recommandation 1

Recourir plus massivement aux PPP (partenariats public-privé) et aux C2D (contrats de désendettement)afin de convertir les dettes en investissements pouvant éventuellement bénéficier de subventions, notamment pour la transition numérique et la décarbonation des économies, mais aussi en infrastructures de qualité.

Si la volonté, à moyen et long terme, est de ré-attirer les flux d’investissement du secteur privé français et européen en Afrique, il faut aussi répondre aux risques accrus par des garanties. Dé-risquer les PPP est alors nécessaire, quitte à parfois passer par des garanties totales. Le cas du Maroc illustre le soutien aux entreprises par des garanties publiques de crédit. Le recours à des financements mixtes, moins risqués, où les bailleurs publics mobilisent des capitaux privés, est un autre moyen. Pour les pouvoirs publics, il est d’ailleurs plus judicieux de se concentrer sur la garantie des investissements plutôt que sur le financement direct, dont la complexité administrative est parfois incompatible avec le besoin rapide de fonds.

En particulier, les PME et ETI doivent faire l’objet de mesures de financement qui leurs sont propres. Les TPE et PME représentent plus de 75 % des entreprises formelles, plus de 50 % des emplois formels, et 40 % des PIB nationaux en 2019 ; lors du 4e forum économique Afrique-France à Bamako en 2017, la moitié des entreprises présentes étaient des PME ou ETI. Comme le rappelait l’Institut Montaigne en juin dernier, la relance économique et les mesures de soutien au secteur privé doivent également prendre en compte les besoins des PME et ETI. À titre d’exemple, Medical Credit Fund, qui finance des PME du secteur de la santé, a obtenu une garantie de 18 millions de dollars de la part de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).

Un nouveau fonds de garantie pourrait être utile au financement de ces entreprises essentielles aux tissus économiques locaux, présentant des étapes de garanties, d’identification, de validation et d’accompagnement. Si des solutions initiales ont existé, comme des lignes de crédit par des caisses semblables à la Caisse des Dépôts française (ex. Côte d’Ivoire), elles sont inadaptées. En effet, le problème persistant est le manque de financement des opérations inférieures à 1 million d’euros, ce qu’une meilleure garantie pourrait encourager. Un tel fonds de garantie faciliterait le crédit des banques, PME et ETI en Afrique. Cela peut s’accompagner d’outils de validation des prêts permettant de garantir la quasi-totalité des montants prêtés à un taux de change bas.

Recommandation 2

Mettre en place un fonds de garantie pour le financement des PME et ETI françaises et européennes en Afrique. Cela doit s’accompagner d’une simplification des procédures actuelles demandées par les banques et banques centrales africaines, et une levée des freins au commerce international pour les PME et les ETI.

Tout aussi cruciale est la question de la destination des financements publics européens qui, dans un contexte géopolitique de plus en plus polarisé, doivent prendre en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Le fléchage de l’aide publique au développement doit donc permettre de travailler en Européens en prenant mieux en compte ces critères ESG.

Une fois des financements et appels à projets créés, encore faut-il que toutes les entreprises y aient réellement accès. Si les mécanismes de financement sont souvent connus, il est difficile pour de nombreuses PME et ETI de consacrer les moyens nécessaires pour y répondre. Les guichets uniques permettent alors de réduire les inégalités d’accès aux projets et financements des bailleurs de fonds.

Recommandation 3

Mettre en place un guichet unique permettant d’avoir accès à tous les bailleurs de fonds institutionnels et publics à partir d’un seul point d’entrée.A minima, un canal d’information unifié mettant la lumière sur tous les mécanismes disponibles, afin de mettre un terme à la concurrence entre différents acteurs institutionnels et publics. Cela pourrait être mis en place via les chambres de commerce, les ambassades.

Par ailleurs, une fois les projets sélectionnés, les opérateurs ont tendance à travailler avec des entreprises qui offrent des solutions intégrées, souvent des grandes entreprises qui ont leurs propres sous-traitants. Il est donc difficile pour des ETI et PME qui ne sont pas encore identifiées de se positionner.

Recommandation 4

Mieux accompagner les PME et ETI à travers un système de labellisation par secteur, leur garantissant un meilleur accès aux projets financés par les bailleurs de fonds publics et privés. Les bailleurs pourraient imposer un seuil minimal de participation de ces sociétés labellisées aux projets qu’ils financent.

Des enjeux monétaires à ne pas minimiser

En parallèle de la question de la disponibilité des financements, celle de la dépréciation et de la raréfaction tendancielle des monnaies est un handicap supplémentaire pour les entreprises du continent. La stabilité monétaire est essentielle à la relance de long terme, mais aussi pour que la relance immédiate soit efficace et que ses bénéfices soient distribués de manière équitable pour les populations et efficace pour les entreprises.

La crise sanitaire s’ajoute à l’incertitude des cours du pétrole, rendant aujourd’hui les devises très rares sur le continent. D’une part, il y a donc un problème de disponibilité. Dès 2019, le Gicam (groupement du patronat camerounais) déplorait la rareté des devises, ce qui implique notamment une majoration des changes informels (de l’ordre de 20 FCFA en 2019, soit quatre fois plus que d’ordinaire). Les banques n’ont souvent pas non plus accès aux devises en quantités suffisantes. La raréfaction accrue des devises peut encore alourdir le poids de ces majorations et avoir des conséquences importantes aussi bien pour les entreprises étrangères que les ménages (par l’inflation). Cela a un impact négatif sur le FCFA d’Afrique centrale, qui a subi une décote de 20-30 % par rapport au FCFA d’Afrique de l’Ouest. Le manque d’accès aux devises pénalise aussi bien les entreprises françaises et européennes que les entreprises africaines.

Il existe d’autre part un problème de dépréciation, qui rend les revenus locaux de plus en plus faibles. En Afrique du Nord, par exemple, le dinar algérien a perdu 30 % sur l’année 2020 ; au Soudan, le gouvernement a dévalué sa monnaie de 85 % en 2021. Or, les assurances, quand elles sont disponibles, sont onéreuses, voire inabordables pour certaines PME et ETI.

Recommandation 5

Mettre en place rapidement un fonds abondé en devises pour les entreprises européennes en Afrique en sollicitant des groupes bancaires et les bailleurs de fonds institutionnels et publics. Cibler avant tout les entreprises qui ont le moins de devises. Il doit permettre le règlement d’achats directement en euros.

Un meilleur accès aux devises répond aussi à des enjeux commerciaux, puisque la disponibilité des devises permet les échanges. D’ailleurs, la complexité de certaines des procédures des organismes bancaires et de banques centrales africaines contribue à réduire l’utilisation de devises et à accentuer leur raréfaction.

Recommandation 6

Sécuriser les transactions qui se font en devises étrangères. Avoir recours à la FinTech africaine à travers des partenariats privilégiés négociés entre elles et nos entreprises. Développer des assurances contre les dévaluations et dépréciations, même limitées.

Recommandation 7

Permettre aux entreprises françaises et européennes de répercuter les dépréciations sur leurs comptes locaux comme des charges exceptionnelles (dans les pays qui ne facturent qu’en monnaie locale).

Par ailleurs, afin de répondre aux incertitudes monétaires et pour diminuer la pression de la dette sur les économies les plus fragiles, la question des droits de tirage spéciaux (DTS) est essentielle. Actifs internationaux émis par le FMI et constitués d’un panier des principales devises du monde, ils permettent de soulager momentanément les États et de fournir des devises. Craignant une perte de pouvoir du dollar, les États-Unis ont longtemps été réticents à ces émissions. Toutefois, l’administration Biden est aujourd’hui plus encline à accepter leur émission, et les banquiers centraux du G20 se sont récemment exprimés à ce sujet en faveur d’une émission pour les pays à faibles revenus. L’émission imminente de DTS doit continuer d’être perçue comme essentielle et concentrée sur les économies les plus fragiles, sans toutefois ignorer l’enjeu des investissements chinois en Afrique générateurs de dettes importantes pour les pays du continent (le renminbi (RMB) faisant partie des devises émises).

Recommandation 8

Rappeler l’importance d’une rapide émission de DTS (droits de tirage spéciaux) la plus importante possible. Encourager les pays développés à prêter une partie des DTS en retour aux pays d’Afrique à taux avantageux.

Enfin, si les économies des pays du continent doivent évoluer et se stabiliser sur les plans monétaire, financier et commercial, les enjeux de fiscalité ne peuvent être ignorés. Le poids de l’économie informelle représente un manque à gagner important pour les États africains, ce qui les contraint à concentrer la pression fiscale sur les entreprises formalisées, notamment européennes. La frontière entre le formel et l’informel est néanmoins souvent difficile à tracer.

Conclusion : vers un meilleur sourcing africain ?

La relance post-Covid doit être l’occasion de lever les blocages d’accès des entreprises, surtout les PME et ETI, aux financements et aux liquidités. D’ailleurs, la question des financements locaux affecte aussi bien les entreprises françaises et européennes qu’africaines. Ainsi, les PME du continent ont moins accès aux services de prêts bancaires que les PME des autres régions en développement : 20 % des petites entreprises, 30 % des entreprises de taille moyenne et 40 % des grandes entreprises ont recours aux services bancaires en Afrique, contre 30 %, 50 % et plus de 65 % dans le reste des économies en développement. Le lancement d’une entreprise en Afrique à partir de financements locaux est donc particulièrement difficile.

Elle doit aussi permettre l’émergence de coopérations vertueuses entre les entreprises européennes et locales. L’ouverture mutuelle des marchés entre l’Europe et l’Afrique peut encourager l’approvisionnement local en Afrique des entreprises européennes, ou sourcing, qui présente des nombreux avantages, comme la diversification des fournisseurs. Alors qu’une leçon de la crise sanitaire a été la forte vulnérabilité des chaînes de valeur du fait de la concentration de l’origine des intrants, le recours à plus de fournisseurs locaux est une réponse à envisager.

Dans cette mesure, l’une des réflexions qu’il reste à mener est de savoir comment sécuriser des canaux privilégiés entre les entreprises africaines et les marchés européens. Plus qu’une simple communication sur l’ouverture du marché européen aux entreprises africaines, c’est un véritable accompagnement qu’il convient d’envisager.

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