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Note
Septembre 2021

Parcours patient :
parcours du combattant ?

Auteure
Angèle Malâtre-Lansac
Ancienne directrice déléguée à la Santé

Angèle Malâtre-Lansac était directrice déléguée à la Santé de l’Institut Montaigne jusqu’en septembre 2022. Premier programme sectoriel de l’Institut Montaigne, le programme Santé qu’elle anime a pour objectif de réunir l’ensemble des parties prenantes du secteur de la santé : professionnels, patients, industriels, chercheurs, payeurs, hauts fonctionnaires, prestataires de soins… afin de décrypter, anticiper, comparer et proposer pour faire bouger les lignes de notre système de santé en s'inspirant des meilleurs exemples français et internationaux.

Angèle est lauréate du Harkness Fellowship 2018-2019. Chaque année, le Commonwealth Fund, une fondation américaine basée à New York, accorde des fellowships à de futurs leaders du monde de la santé en provenance de différents pays de l’OCDE pour leur permettre de passer un an aux Etats-Unis et de travailler avec des experts américains du secteur de la santé. Angèle  a ainsi travaillé pendant un an à la Harvard Medical School et à la Rand Corporation à Boston sur l'organisation des soins primaires et notamment leur intégration avec les soins de santé mentale.

Angèle est aujourd'hui la correspondante en France du International Health News Brief du Commonwealth Fund.

Directrice adjointe de l'Institut Montaigne de 2015 à janvier 2017, elle a notamment piloté une réflexion sur le modèle économique de l'Institut et la relation avec ses adhérents. Passionnée par les questions de santé, elle a animé le groupe de travail qui a publié Réanimer le système de santé. Propositions pour 2017. Angèle est co-auteur, aux côtés d'Olivier Duhamel, du livre Les Primaires pour les Nuls (Editions First, 2016). Directrice des études de l'Institut (2011-2015), Angèle a coordonné les divers groupes de travail relatifs à la santé, à la protection sociale et à l'emploi. Elle a également développé les dispositifs de participation citoyenne lancés par l'Institut Montaigne au cours des dernières années en coordonnant notamment la conférence de citoyens sur la santé conduite par l'Institut en 2012-2013.

Angèle est diplômée de Sciences Po Paris et a fait une partie de ses études en Grande-Bretagne (Université de Warwick) et au Mexique (ITAM). Elle a commencé sa carrière dans le secteur public (2006-2010).

Personnes auditionnées

Nous tenons à remercier l’ensemble des personnes auditionnées et mobilisées pour la réalisation de ce travail.

  • Aurélien Beaucamp, président, AIDES
  • Joëlle Bouet, managing director sur les activités santé, Opus Line
  • Thierry Chiche, président exécutif, Elsan
  • Alice Cote, directrice France, Recare
  • Grégoire Ducret, directeur de l'innovation et de la transformation de la Croix-Rouge française, Directeur général de 21
  • Emmanuelle Garault, consultante affaires publiques, communication de crise, Engagement Parties Prenantes & Prospective, Pigmentum Conseil
  • David Gruson, directeur programme Santé, Jouve
  • Caroline Guillot, directrice adjointe des relations associations et citoyens, Health Data Hub
  • Florence Herry, présidente et fondatrice, Libheros
  • Caroline Izambert, directrice plaidoyer, AIDES
  • Muriel Jamot, directrice des métiers et des opérations, Croix-Rouge française
  • Roman Khonsari, directeur médical, Health Data Hub
  • Stéphane Laurent, directeur des partenariats, Téléophtalmo
  • Claire Lhériteau-Calmé, directrice des affaires publiques France, Doctolib
  • Franck Le Ouay, co-fondateur et CEO, Lifen
  • Laura Létourneau, déléguée ministérielle au numérique en santé, Ministère des solidarités et de la santé
  • Christian Long, partner, Stratys
  • Alexandre Maisonneuve, co-fondateur et directeur médical, Qare
  • Corneliu Malciu, co-fondateur, Arkhn
  • Francis Mambrini, président, Fédération des Éditeurs d'Informatique Médicale et paramédicale Ambulatoire
  • Sebastien Massart, directeur de la stratégie, Dassault Systèmes
  • Constance Maudoux, chargée d’affaires publiques, Doctolib
  • Etienne Minvielle, professeur à l’École Polytechnique, directeur de recherche au CNRS, médecin de santé publique à Gustave Roussy
  • Gregory Moscovici, health project manager, AXA Next
  • Stanislas Niox-Château, président, Doctolib
  • Noémie Parker, CEO et co-fondatrice, Holka
  • Antoine Peyssonnel, fondateur, Téléophtalmo
  • Anne Philippot, directrice expérience client, digital et innovation, Roche France
  • Henri Pitron, directeur global de la communication et des affaires publiques, Doctolib
  • Magaly Rohé, directrice des opérations, Libheros
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Et si s’orienter dans le système de santé était devenu un véritable parcours du combattant pour les patients ? La crise sanitaire a montré la résilience des acteurs de terrain, elle a aussi levé le voile sur l’opacité de notre système de santé, la multiplication des structures et les fonctionnements en silo. Ces dysfonctionnements se répercutent sur les prises en charge des patients, sur les coûts et sur la qualité des soins.

Alors que plus de 30 milliards d’euros ont été mis sur la table ​​à l’occasion du Ségur de la santé et du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), et que 53 % des Français considèrent que la santé devrait être un enjeu "tout à fait prioritaire" dans la campagne présidentielle de 2022, comment saisir cette fenêtre d’opportunité inédite pour repenser la place du patient dans le système et son expérience ? Dans cette note, l’Institut Montaigne formule cinq axes de recommandations : investir sur le capital humain ; faire de la qualité la boussole du système ; miser sur les données de santé ; faciliter l’accès à la e-santé et inciter à la coordination entre acteurs.

Universitaires, associations, entreprises du secteur de la santé et de la e-santé, professionnels de santé et pouvoirs publics : cette note est le fruit de près de 30 auditions d’acteurs du système de santé et s’inscrit dans le prolongement de nombreux travaux sur la santé lesquels posent notamment des constats sur l’importance de la mesure de la qualité des soins ainsi que de la transformation numérique de notre système de santé.

Un système de soins illisible et des parcours patients chaotiques

Des patients acteurs de leur santé

Les transformations récentes ont modifié le rapport des citoyens au système de santé : ceux-ci sont plus autonomes et souhaitent être impliqués et mieux informés sur les soins qu’ils vont recevoir. De malades passifs, ils sont devenus des patients-acteurs impliqués : 90 % d’entre eux jugent que la publication d’indicateurs sur la qualité des soins est une bonne chose. Pourtant, les patients sont encore largement oubliés dans la gestion et l’organisation des parcours de soins.

L’organisation du système de santé semble aujourd’hui en décalage avec les besoins et les attentes des patients, ce sentiment se traduisant chez les Français par une perception très dégradée de l’accès aux soins : 37 % d’entre eux déclarent avoir l’impression de vivre dans un désert médical. Les difficultés d’accès aux soins sont d’ordre multiples : financières, culturelles, géographiques, liées aux délais d’attente. Ces chiffres reflètent un malaise des citoyens face à un système de santé opaque et cloisonné dans lequel s’orienter est devenu très complexe.

Des parcours labyrinthiques

Avec le vieillissement de la population (20 % des Français sont âgés de plus de 65 ans), les maladies chroniques sont devenues extrêmement fréquentes : près de 11 millions de personnes sont aujourd’hui prises en charge au titre des affections longue durée. Ces maladies impliquent des prises en charge au long cours dans lesquelles une multitude d’intervenants se succèdent auprès du patient sans coordination entre eux : personnels médicaux, paramédicaux, professionnels du médico-social, ville, hôpital, etc. Le parcours de soins est devenu complexe et labyrinthique : quel professionnel aller voir ? qui détient mon dossier médical ? quels résultats attendre de tel établissement ? Pour celui qui ne dispose pas de réseau ou de connaissance dans le monde de la santé, l’expérience peut être extrêmement difficile.

Avoir une maladie chronique ou connaître un épisode de soin aigu ne doit pas s’apparenter à un parcours du combattant dans un système de soins opaque. La coordination des professionnels et leur bonne information reposent aujourd’hui trop largement sur les patients et leurs aidants qui doivent souvent naviguer seuls dans le système de santé alors même qu’ils ont déjà assez à faire avec la gestion quotidienne de leur maladie.

 

Infographie - Parcours patient : parcours du combattant ?Infographie - Parcours patient : parcours du combattant ?

 

Un impact sur la qualité et les coûts

Le manque de coordination des parcours de soins a des conséquences néfastes sur la qualité des soins dispensés aux patients. Depuis le début des années 2000, les erreurs évitables sont très nombreuses dans le parcours de soins et occasionnent chaque année des milliers de morts. Les défauts de transmission d’information entre professionnels de santé, le manque de coordination, la surprescription notamment expliquent une grande partie de ces événements indésirables qui entraînent des pertes de chances pour les patients.

Ensuite, l’organisation chaotique de l’offre de soins a également des conséquences fortes sur les coûts et les dépenses de santé. Alors que la France consacre 11,3 % de son PIB à la santé, les inefficiences sont nombreuses : non suivi des bonnes pratiques (par exemple dans les prescriptions d’antibiotiques), redondance des actes, complexité et mille-feuille administratif, etc.

Selon l’OCDE, ces "gaspillages" représenteraient près de 20 % de nos dépenses de santé, tandis qu’une meilleure coordination des parcours de soins permettrait d’économiser 40 % des ressources consacrées aux maladies chroniques.

Inventer les parcours de soins de demain

La crise sanitaire a permis d’ouvrir le système de santé à des acteurs nouveaux : des acteurs privés et d’autres issus de la société civile sont apparus et se sont imposés dans l’univers très institutionnel de la santé.

Ainsi, certaines sociétés ont été sélectionnées par les pouvoirs publics pour organiser les prises de rendez-vous de vaccination en ligne. Des plateformes de téléconsultation ont vu leurs chiffres exploser et des sites ainsi que des outils de dépistages comme CovidTracker, ViteMaDose et maladiecoronavirus.fr ont été développés hors du système institutionnel classique.

Par ailleurs, des outils comme TousAntiCovid et SI-DEP ont été également développés pour permettre de suivre les chaînes de contamination et d’accompagner les acteurs.

Le numérique pour transformer les parcours

La crise a aussi été l’occasion d’une explosion de la e-santé et du déploiement de solutions nouvelles dont les Français se sont emparés avec satisfaction : 86 % d’entre eux estiment aujourd’hui que la e-santé est une bonne chose. Ce sujet a déjà fait l’objet d’un rapport de l’Institut Montaigne en juin 2020, E-santé : augmentons la dose !.

 

La prévention personnalisée

Le numérique peut aider à la diffusion de politiques de prévention personnalisées : l’état de santé d’une personne est largement déterminé par ses comportements, son éducation, ses habitudes et son hygiène de vie. Le manque d’information et les différences d’éducation à la santé renforcent les inégalités de santé déjà importantes en France.

Chaque citoyen doit pouvoir prendre soin de sa santé à travers des actions de prévention primaire ciblées en fonction de ses risques et de son environnement. Une information de qualité doit ainsi lui être dispensée dès l’école sur les grands facteurs de risque. Des dispositifs d’information ludiques, des MOOCs et des applications digitales peuvent permettre de diffuser des campagnes d’information et de prévention avec efficacité notamment pour les plus jeunes.

Pour les personnes souffrant de maladies chroniques, la maladie prend une place très forte dans le quotidien. Des outils connectés se développent pour permettre aux patients de suivre l’évolution de leur maladie, d’être coachés et suivis à distance entre les consultations. Des applications mobiles d’éducation thérapeutique peuvent également aider à une meilleure observance et à une meilleure qualité de vie pendant les traitements.

Pour favoriser la confiance dans ces campagnes de prévention ciblées et les outils numériques, il est nécessaire de faire de la transparence sur l’utilisation des données de santé une priorité en donnant aux patients des garanties sur l’accès à leurs données, sur la protection desdites données et de l’information sur leurs droits, notamment leur droit d’opposition.

Transformer l’expérience des patients

L’accès au bon soin, au bon moment

L’accès rapide et équitable aux soins constitue un enjeu majeur pour nos concitoyens et la e-santé apporte des leviers importants au service des patients comme des professionnels : en mettant en relation les citoyens avec les professionnels de santé disponibles via des plateformes de prise de rendez-vous en ligne et en permettant la téléconsultation, elle facilite l’accès à une réponse rapide.

La question de l’illectronisme, qui touche aujourd’hui près de 17 % des Français, se doit donc d’être soulevée. Le numérique peut en effet être à la fois une très grande opportunité et un vecteur d’éloignement de la santé comme le pense près de la moitié des Français. Des initiatives pour lutter contre la fracture numérique en santé doivent être développées, notamment les dispositifs "d’aller vers", les médiateurs ainsi que les conseillers numériques.

Un autre enjeu est celui de l’accès à des soins adaptés et de qualité. Disposer d’une information claire et transparente sur l’offre disponible et sur la qualité des soins prodigués est devenu un enjeu majeur à en croire l’appétence des Français pour les classements des établissements de santé.

Des outils nouveaux au service des parcours

Le Dossier Médical Partagé (DMP), dont les premières ébauches remontent à plus de 15 ans, continue de porter un espoir fort d’amélioration du partage d’informations et de coordination entre professionnels de santé et doit éviter au patient de redonner son historique médical à chaque fois qu’il consulte un nouveau professionnel de santé. Son déploiement au sein de Mon Espace Santé en 2022 suscite de nombreuses attentes.

Il existe dans le monde plus de 350 000 applications numériques dédiées à la santé : ces solutions digitales peuvent être très utiles notamment pour aider les personnes à trouver des ressources, gérer leur pathologie, améliorer leur style de vie, échanger avec d’autres patients atteints de la même pathologie, etc. Pourtant, bien souvent, les professionnels de santé sont démunis face à l’offre digitale existante, souvent peu évaluée, et ont du mal à conseiller leurs patients.

Nos recommandations pour construire les parcours de soins de demain

Articulées autour de 5 axes, ces propositions visent à repenser les parcours patients afin de faciliter l’accès aux soins, d’autonomiser les patients et de suivre une logique de prise en charge globale incluant une dimension de prévention mais aussi d’accompagnement amont et aval en cas d’épisode de soins.

1
Mettre les ressources humaines au cœur de la transformation des parcours
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Le digital ne constitue qu’un outil au service des parcours de soins. L’investissement massif sur le capital humain est prioritaire pour une meilleure organisation et une meilleure expérience pour les patients et les professionnels. Cet investissement doit passer par des actions de formation vis-à-vis des professionnels de santé qui doivent être davantage formés à la e-santé, aux data, au management. Pour augmenter l’attractivité des métiers du soin, plusieurs pistes existent : multiplier les passerelles entre professions et les formations regroupées, favoriser les délégations de tâches, accompagner les déroulés de carrière notamment pour les infirmiers qui jouent un rôle central dans notre système de santé.

2
Faire de la qualité des soins une priorité
Détails

Le manque d’information sur la qualité des soins et leur pertinence est un véritable frein à l’amélioration de notre système de santé alors même que les patients sont très demandeurs de pouvoir choisir leur professionnel ou leur établissement sur des critères objectifs. Ainsi, des indicateurs relatifs à la qualité des soins construits avec les parties prenantes (professionnels et patients) doivent être développés et systématisés. Toute réforme de l’organisation des soins doit être pilotée à travers le prisme de la qualité et de la pertinence des soins et pour ce faire, des données sur la qualité doivent être recueillies de façon systématique - y compris auprès des patients, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales.

3
Garantir la sécurité, l’accès et la portabilité des données de santé
Détails

Il est essentiel de garantir la sécurité comme la portabilité et l’interopérabilité des données de santé afin de faciliter le quotidien des soignants ; de permettre aux patients de changer de professionnel ou d’établissement sans perte d’information et de faciliter la recherche et l’évaluation. Pour favoriser la confiance des citoyens et des professionnels de santé, la France comme l’Europe doivent développer une "troisième voie" autour des données de santé, en mettant l’éthique et la compétitivité au cœur du déploiement, de la gouvernance, du partage et de l’usage des données de santé. La Présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 peut constituer une opportunité unique de porter ce sujet auprès de nos partenaires européens.

4
Faciliter l’accès à des solutions numériques adaptées aux besoins des patients
Détails

Si les startups de la e-santé se multiplient, l’utilisation des innovations digitales par les professionnels de santé comme par les patients reste encore limitée. La consolidation de la filière e-santé constitue un enjeu majeur pour éviter l’éparpillement des solutions digitales, de même que l’évaluation de leur service rendu. Pour ce faire, des partenariats avec des équipes de recherche doivent être encouragés. Par ailleurs, le parcours de remboursement des thérapies digitales reste opaque et complexe et encore peu adapté aux spécificités de la e-santé. Enfin, une des priorités du déploiement de Mon Espace Santé en 2022 doit être de générer de l’usage autour du DMP en favorisant l’expérience patient et professionnel la plus fluide possible.

5
Rendre plus fluides les passages entre ville, domicile, hôpital et médico-social
Détails

Les modalités tarifaires actuelles participent de la fragmentation entre médecine de ville, hôpital et médico-social et montrent aujourd’hui clairement leurs limites. Il est temps d’inciter à la qualité et à la coordination plutôt qu’au volume. Un grand nombre de systèmes de santé dans le monde a fait évoluer les modalités de financement vers des modèles de paiement alternatifs avec des objectifs doubles : renforcer la rémunération à la performance et à la qualité et créer des incitatifs à l’intégration et à la coordination des parcours. Sur la base des expérimentations en France et des retours d’expérience étrangers, des modalités de paiement alternatives doivent être développées pour faciliter coordination, qualité et efficience. De même, les incitations financières des professionnels de santé pour encourager à la remontée de données et aux usages en e-santé, doivent être revues.

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