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Rapport
Octobre 2020

Les quartiers pauvres
ont un avenir

<p><strong>Les quartiers pauvres </strong><br />
ont un avenir</p>
Auteur
Hakim El Karoui
Ancien Expert Associé - Monde Arabe, Islam

Hakim El Karoui dirige le bureau parisien de Brunswick, groupe d’origine britannique de conseil en communication.

Il est notamment l'auteur du rapport Un islam français est possible et Nouveau monde arabe, nouvelle "politique arabe" pour la France.

Il a enseigné à l’université Lyon II avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre en 2002. Après un passage à Bercy, il rejoint, en 2006, la banque Rothschild. En 2011, il rejoint le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger où il est co-responsable de l’Afrique et du conseil au gouvernement français. Il a créé et dirigé pendant 5 ans Volentia, société de conseil stratégique. Il est aussi essayiste et entrepreneur social (il a créé le club du XXIème siècle et les Young Mediterranean Leaders).

Hakim El Karoui est normalien et agrégé de géographie.

Opérations Habitat et Vie Sociale, politique de Développement social des quartiers (DSQ), création de Zones d'éducation prioritaires (ZEP), plan "Banlieues 89", Plan national pour la rénovation urbaine (PNRU), etc. Au cours des quarante dernières années, les gouvernements qui se sont succédés ont quasiment tous mis en œuvre des "plans banlieues", centrés sur les quartiers pauvres. Un point commun à ces initiatives : elles ont presque toutes abordé ce sujet exclusivement sous un angle social ou une perspective de rénovation immobilière. Mais l’angle économique est absent des réflexions : comment y amener de l’activité, former ses habitants, développer les richesses ? Et non pas se focaliser uniquement sur la rénovation des bâtiments et la multiplication des systèmes d’aides sociales.

C’est dans ce contexte que l’Institut Montaigne a réalisé un travail statistique inédit et une réflexion autour des dynamiques économiques des quartiers pauvres, à partir de 300 tableaux statistiques, 40 cartes et 35 entretiens individuels, afin de comprendre les enjeux économiques de ces quartiers, lutter contre les idées reçues et proposer des pistes d’action utiles au débat public.

Il y a de l’espoir pour les quartiers pauvres, nous proposons d’impulser une nouvelle dynamique pour la politique de la ville, sans se focaliser sur la rénovation urbaine et sans envisager une hausse conséquente de la dépense publique dans les quartiers pauvres. En renversant la perspective traditionnelle qui fait de ces quartiers une exception et en les replaçant dans l’économie générale de la France, le rapport compare les quartiers pauvres avec le reste du territoire afin de comprendre leurs spécificités et proposer des solutions fondées sur un potentiel économique.

Combattre les idées reçues sur les quartiers

Dans l’imaginaire collectif, ce sont souvent les clichés des "banlieues" des grandes villes, des "cités" et autres "grands ensembles" qui viennent à l’esprit quand on pense aux quartiers pauvres. On imagine aussi des territoires bénéficiant plus que la moyenne d’argent public. Mais il n’en est rien : les quartiers pauvres se retrouvent partout en France, créent des richesses, mais reçoivent bien moins que ce que l’on peut imaginer de la part de l’État. En un sens, ces quartiers sont les vrais territoires désavantagés dans le jeu de la solidarité nationale.

Idée reçue n°1 : L’Île-de-France capte l’essentiel des richesses en France

 

Réalité : La région Île-de-France contribue à 31 % du PIB français mais ses ménages ne disposent que de 22 % du revenu disponible national.

Elle est la seule région où la part dans la richesse créée au niveau national dépasse la part dans la richesse disponible.

Idée reçue n°2 : La Seine-Saint-Denis est peu dynamique économiquement

 

Réalité : Entre 2007 et 2018, 29 % de l’augmentation de la masse salariale en France s’est faite en Seine-Saint-Denis.

Idée reçue n°3 : Les habitants des quartiers pauvres vivent des transferts sociaux

 

Réalité : Les revenus de transferts des habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV) sont inférieurs à la moyenne nationale (6 100 € contre 6 800 € en France métropolitaine).

Idée reçue n°4 : Les territoires les plus pauvres reçoivent beaucoup de la solidarité nationale alors qu'ils y contribuent peu

 

Réalité : La Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine, est le 8e département contributeur au financement de la protection sociale et celui qui reçoit le moins de protection sociale par habitant (8 400 € par habitant).

Idée reçue n°5 : Les quartiers pauvres sont mieux traités par l’État que la "France périphérique"

 

Réalité : À titre d’exemple, la Seine-Saint-Denis compte 1.100 effectifs de la fonction publique hospitalière pour 100.000 habitants, contre 1.800 en moyenne en France métropolitaine.

Idée reçue n°6 : La politique de la ville est un puits sans fond

 

Réalité : Le montant des dépenses de l’État pour les quartiers pauvres et des bailleurs sociaux pour l’Agence nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) est de 1 000 euros par an par habitant.

Mais d'autre part, l'État sous-investit dans les domaines de l’Éducation, de l’Intérieur et la Justice à hauteur d'un milliard d'euros (soit 180 euros par an par habitant).

Idée reçue n°7 : La drogue fait vivre les quartiers pauvres

 

Réalité : L’activité économique générée par le trafic de drogue représente 2,7 milliards d’euros, dont 1 milliard pour le cannabis. Cette activité de trafic de drogue représenterait 20 000 emplois en équivalent temps plein.

Idée reçue n°8 : Il n'y a pas de discrimination, c'est un phénomène marginal

 

Réalité : De nombreuses enquêtes prouvent que les discriminations à raison de la religion et à raison de l’origine existent. Dans l’enquête TeO, 47 % des personnes originaires d'Afrique subsaharienne, 32 % du Maroc, 30 % d'Algérie disent ainsi avoir fait l'expérience de discriminations.

Qu'est-ce qui caractérise les quartiers pauvres ?

Dans les quartiers pauvres, 42,5 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 14,9 % en France métropolitaine. Si la pauvreté a été le critère retenu pour définir les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), ces quartiers ont aussi en commun d’autres spécificités, telles que l’immigration, la jeunesse ou les familles monoparentales.

 

Qu'est-ce qui caractérise les quartiers pauvres ? - Infographie

 

  • Les quartiers pauvres se distinguent par leur part importante de population immigrée. Les territoires les plus pauvres se sont spécialisés dans l’accueil des plus pauvres, souvent issus de l’immigration, et la Seine-Saint-Denis en est un bon exemple. Ces quarante dernières années, la Seine-Saint-Denis a progressivement consolidé sa "fonction" dans l’accueil des populations immigrées.

    Entre 1982 et 2015, la part des immigrés dans la population y passe de 15,5 % à 29,7 %. Par ailleurs, l’apport de personnes immigrées a joué un rôle considérable dans la variation de la population de la Seine-Saint-Denis : entre 1982 et 2015, alors que la population totale du département avait augmenté de + 20 %, la population immigrée a quant à elle augmenté de + 128 %.
     
  • Les quartiers pauvres ont par ailleurs une population plus jeune qu’ailleurs. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), on compte deux fois plus de jeunes de moins de 20 ans que de personnes de plus de 60 ans qu’en France.
     
  • Dans les quartiers pauvres, un ménage sur cinq est composé d’une famille monoparentale, contre un sur dix en moyenne en France. Cette situation familiale est souvent synonyme de pauvreté : dans un cas sur cinq, la famille monoparentale est sous le seuil de pauvreté, et dans plus de 80 % des cas, le parent est une femme.

Le rapport offre une nouvelle typologie des quartiers pauvres, qui se distinguent en trois grands types :

  • les quartiers "post-industriels" correspondent en majorité aux zones anciennement industrielles et situées dans le nord/nord-est de la France. Près de 1 million d’habitants y vivent.
     
  • les quartiers "excentrés", situés en grande partie dans ou près des petites villes et villes moyennes. Moins pauvre et moins jeune, leur population compte 1,7 million d’habitants.
     
  • les quartiers "maquiladoras" ou "métropolitains", situés en périphérie des grandes métropoles et en particulier en Île-de-France. Ils comptent 3,4 millions d’habitants. Notre rapport propose ainsi une étude détaillée de ces quartiers qui se distinguent, entre autres, des deux premières catégories par des phénomènes plus marqués d’échec scolaire, de délinquance et de trafic de drogue.

Cette nouvelle typologie des quartiers pauvres repose sur un échantillon de 199 communes cibles regroupant plus de 6 millions de personnes, dont près de 2,2 millions habitant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).

Des politiques publiques centrées sur le bâti plutôt que sur les habitants

Depuis 40 ans, de nombreux plans banlieues ont été mis en place, mais ils ont largement privilégié la rénovation urbaine et l’accompagnement social à la question économique. Pourtant, ces quartiers possèdent des avantages comparatifs. Dans le cas des quartiers métropolitains, le capital humain jeune et dynamique, la proximité des métropoles et le foncier moins cher facilitent l’essor des activités de transport et de logistique. Plus largement, ces quartiers sont adaptés aux "services à la métropole" : hôtellerie-restauration, services à la personne, etc. Ils devraient par ailleurs bénéficier des Jeux Olympiques de Paris 2024 et du Grand Paris Express – en particulier la Seine-Saint-Denis.

Ainsi, les efforts publics doivent davantage porter sur la mobilité sociale, la cohésion sociale et la situation économique des habitants des quartiers. L’effet "de sas" constaté en Seine-Saint-Denis ainsi que dans nombre de QPV met en lumière la mobilité des individus et relativise l’intérêt de concentrer les efforts de la politique de la ville sur le bâti.

Autrement dit, l’essentiel n’est pas tant de faire disparaître les quartiers pauvres – cela semble impossible – que de les traiter comme des "sas" et permettre à leurs habitants de les quitter dans une meilleure situation qu’à leur arrivée.

Quelles solutions ?

Il est indispensable de ne pas concentrer la pauvreté au même endroit. Certaines communes comptent 70 % de logements sociaux, il serait possible de proposer des plafonds permettant de mieux répartir les populations, dans le cadre de quotas SRU. Plus largement, une réflexion similaire sur la répartition des nouveaux arrivants en France serait utile : l’Île-de-France, notamment, concentre depuis plus de 30 ans les immigrés les plus précarisés.

Il est par ailleurs nécessaire d’adopter une vraie stratégie de la promotion sociale et de la lutte contre la pauvreté, dont l’exécution serait interministérielle, reposant sur un "Anru des habitants", à côté de l’Anru (Agence Nationale de Rénovation Urbaine) des bâtiments.

Il est temps de changer de stratégie, d’investir dans les flux plutôt que dans les stocks, dans les habitants plutôt que dans les bâtiments. Il est possible d’éduquer, de soigner, d’intégrer mieux et d’exclure moins. Notre rapport montre que la République fonctionne malgré tout, mais que l’on doit collectivement faire mieux.

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(272 pages)
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