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Primaire de la droite et du centre
Le grand décryptage

Le chiffrage ne permet pas à lui seul de comparer les propositions des candidats. Elles doivent également s'apprécier au regard de leur mise en oeuvre, de leur historique et d'une comparaison internationale.

CandidatPropositionChiffrage *Détail

Jean-François
Copé
Faire voter chaque année au Parlement une norme d’évolution de l’immigration légale, durcir les conditions du regroupement familial, supprimer l’AME
Chiffrage
et faisabilité

François
Fillon
 Faire voter chaque année au Parlement des quotas d’immigration par nationalités Chiffrage
et faisabilité

Alain
Juppé
Faire voter chaque année au Parlement un plafond d’immigration et une répartition par type d’immigration Chiffrage
et faisabilité
Nathalie
Kosciusko-Morizet
Réduire strictement l’immigration familiale ; faire voter chaque année le Parlement sur des objectifs stricts d’immigration économique Chiffrage
et faisabilité

Bruno
Le Maire
Faire voter chaque année au Parlement un objectif chiffré concernant la délivrance des premiers titres de séjour Chiffrage
et faisabilité

Jean-Frédéric
Poisson
Supprimer le regroupement familial systématique, dénoncer l’espace Schengen Chiffrage
et faisabilité

Nicolas
Sarkozy
Mettre un terme à l’immigration économique, au profit de la formation des chômeurs Chiffrage
et faisabilité


*+XX Md€ correspond à une dépense supplémentaire ou une diminution des recettes
-XX Md€ correspond à des économies ou des recettes supplémentaires

Quels enjeux pour ces propositions ?

L’encadrement et la réduction de l’immigration en France sont des sujets récurrents dans les programmes des candidats à la primaire de la droite et du centre. Cinq candidats (Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire) proposent ainsi d’instaurer un vote parlementaire portant sur des plafonds ou quotas annuels d’immigrés. Trois candidats (Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-Frédéric Poisson) proposent de modifier les conditions du regroupement familial, afin de le rendre plus restrictif.  Nicolas Sarkozy propose de son côté de mettre un terme à l’immigration économique.

L’instauration de plafonds ou de quotas d’immigrés peut s’entendre de deux manières distinctes : des plafonds absolus et intangibles, très complexes à mettre en œuvre ; des plafonds indicatifs, au regard desquels le Parlement pourrait ajuster certains paramètres et conditions d’admission de séjour, dont la mise en place parait plus réaliste. Certains pays, comme le Canada, l’Australie, le Danemark et, plus récemment, le Royaume-Uni, ont déjà instauré des systèmes d’immigration par points et par quotas afin de contrôler l’immigration économique sur leur sol.

Dans le cadre de notre analyse, l’immigration est envisagée uniquement pour les personnes étrangères à l’Union européenne. Si les européens étaient également visés par ces mesures, il serait nécessaire de dénoncer le Traité de l’Union européenne.

Déjà appliquées ? proposées ?

Après les Trente Glorieuses, la France a cherché à contrôler davantage ses flux migratoires, avec la suspension, en 1974, de l’immigration des travailleurs et des familles hors Communauté européenne. Depuis lors, les restrictions et les assouplissements en matière de politique migratoire se sont succédé. Ainsi, en 2011, avec l’adoption de la "circulaire Guéant", dont l’objet était de restreindre la possibilité pour les étudiants non-ressortissants de l’Union européenne de travailler en France à l’issue de leurs études. Promesse de campagne du candidat François Hollande, la circulaire a été abrogée le 31 mai 2012.

La suppression de l’Aide médicale d’État (AME), avancée par Jean-François Copé, a déjà été proposée à de nombreuses reprises depuis sa création. En 2010, l'Assemblée nationale a adopté un projet de loi visant à imposer des conditions à l'accès à l'AME. Les bénéficiaires devaient alors s'acquitter d'un droit de 30 euros par an et seuls leur conjoint et leurs enfants pouvaient désormais être leurs ayants droit. Cette disposition a été abrogée par la loi de finances rectificative pour 2012.Le 6 juillet 2016, une proposition de loi visant à supprimer l’aide médicale d’État et à la remplacer par une aide médicale d’urgence a été déposée par Yannick Moreau (député Les Républicains).

Les modalités du regroupement familial, institutionnalisé en 1976, enfin, ont fait l’objet de nombreuses réformes en France. La loi du 11 mai 1998 dispose que les familles de Français et de ressortissants des État membres de l'Union européenne et des pays parties à l'accord sur l'espace économique européen, ainsi que les familles de réfugiés et apatrides, ont droit au regroupement familial sans conditions de ressources et de logement. La loi du 26 novembre 2003 "relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité", dite "loi Sarkozy", a durci les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en réformant l'ordonnance de 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers. 

Déjà testées à l'étranger ?

Certains pays comme le Royaume-Uni, le Danemark, le Canada ou l’Australie ont mis en place des systèmes d’immigration reposant sur des points et des quotas. Le Canada est le premier pays à avoir instauré un tel système en 1967, afin de favoriser l’immigration des travailleurs qualifiés. Les qualifications, la maitrise de l’anglais et l’expérience professionnelle sont des éléments qui viennent abonder un total de points qui permettra aux candidats de prétendre à l’obtention d’un visa canadien. Chaque année, un nombre limité de visas est attribué aux travailleurs qualifiés sans offre d’emplois  et à certaines professions prédéfinies. 

Un système comparable a été récemment mis en place au Royaume-Uni afin de réguler l’immigration hors espace économique européen. Ce système repose sur une division des immigrés en cinq catégories : (1) les immigrés à forte valeur (immigré hautement qualifié, individu ayant un patrimoine important, entrepreneur diplômé), (2) les travailleurs qualifiés (pour des emplois ne pouvant être occupés par des travailleurs britanniques ou européens, du personnel muté au sein d’une même entreprise, des sportifs), (3) les travailleurs peu qualifiés sollicités pour répondre de façon temporaire aux besoins en main d’œuvre du pays, (4) les étudiant âgés de 16 ans et plus venant étudier au Royaume Uni, (5) les migrants "temporaires".

Pour chaque catégorie, un plafond maximal annuel est défini. Jusqu’à présent ce système ne s’appliquait pas aux Européens, en vertu du principe de libre circulation des personnes au sein de l’UE. Le Brexit pourrait remettre en cause cette politique.

Enfin, des pays comme l’Australie et le Danemark distinguent leurs programmes selon qu’ils s’adressent aux migrants économiques ou aux réfugiés politiques. 

Comment les mettre en oeuvre ?

Contrairement à l’immigration familiale et à l’asile, l’État dispose d’une assez grande marge de manœuvre en ce qui concerne l’immigration de travail.

Au regard du principe d’égalité, constitutionnel et conventionnel, les contingents de travailleurs par pays d’origine sont justifiés par l’intérêt commun du pays d’accueil et du pays d’origine. Ces contingents sont établis au regard de la situation de l’emploi sur le territoire français – notamment au regard de la liste des métiers en tension – et peuvent difficilement être définis en dehors de conventions bilatérales ou multilatérales. Cela relève donc du levier diplomatique.

Toutefois, l’instauration de quotas apparaît possible juridiquement, puisqu’elle ne s’oppose pas à un principe constitutionnel. Le droit de l’Union européenne ne s’y oppose pas non plus : l’article 79 (paragraphe 5) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet ainsi aux États membres de fixer des contingents nationaux de pays tiers afin de réguler quantitativement l’immigration de travail.

La principale difficulté juridique qui s’opposerait à la fixation de quotas par nationalité consisterait en l’établissement d’un plafonnement de caractère impératif, qui pourrait relever d’une discrimination selon la nationalité (article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales).

Le regroupement familial est un droit qui découle du droit à mener une vie familiale normale ainsi que de la liberté de mariage. Ces droits sont protégés par la Constitution et par les engagements européens et internationaux de la France. Ainsi, le droit à une vie familiale normale et la liberté de mariage ne peuvent être niés parce qu’un contingent serait atteint en cours d’année. En raison des principes juridiques qui régissent l’immigration familiale, les possibilités de réforme apparaissent donc très faibles.

Les quotas en matière de droit d’asile seraient contraires à la fois à la Constitution (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel), au droit international (convention de Genève) et au droit communautaire (en vertu tant du renvoi opéré par les traités communautaires à la convention de Genève que des directives communautaires relatives à l’asile et à la protection subsidiaire). 

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