Parmi les autres candidats à l’élection présidentielle, Benoît Hamon s’est également déclaré favorable à cette mesure, il propose ainsi : “La sortie de l’état d’urgence, réservé aux états exceptionnels, sera actée, conjuguée à un haut niveau de vigilance et de protection contre le terrorisme“. Préalablement à son ralliement à Benoît Hamon, Yannick Jadot, le candidat Europe Ecologie Les Verts, s’était prononcé contre la prorogation de l’état d’urgence.
En décembre 2015, le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, qui incluait la déchéance de nationalité des binationaux reconnus coupables d’actes terroristes, proposait d’introduire dans la Constitution un nouvel article 36-1 définissant les grandes lignes du régime de l’état d’urgence. Cet article disposait que la prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne pouvait être autorisée que par la loi et que celle-ci en fixait la durée, “sans pouvoir excéder trois mois”. Sans exclure le renouvellement de cette prorogation, qui s’effectuerait alors dans les mêmes conditions, cette disposition garantissait au Parlement d’être consulté très régulièrement sur l’opportunité de prolonger l’état d’urgence.
Dès 2007, le comité Balladur de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République proposait de mieux encadrer l’état d’urgence, en souhaitant qu’une loi organique définisse ce régime et précise ses modalités d’application.
Les contraintes procédurales liées à l’adoption d’une loi organique – examen dans des délais spécifiques, majorité renforcée pour l’adoption en lecture définitive à l’Assemblée nationale, contrôle préalable de sa conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel – offriraient en effet des garanties de nature à éviter des modifications législatives, improvisées dans l’urgence, de l’ampleur et de la nature des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence. La prorogation de l’état d’urgence resterait pour sa part de la compétence du législateur ordinaire.
Ces aménagements exigent une révision constitutionnelle puisque seul le Constituant peut déterminer le champ des matières organiques.
En décembre 2016, la commission des lois de l’Assemblée nationale, dans son rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, a repris cette proposition. Proposant d’encadrer dans le temps l’état d’urgence et de recentrer son utilisation, la commission propose également de limiter les assignations à résidence, en précisant qu’une même personne ne peut être assignée plus de 8 mois au cours d’une période totale de 12 mois.
En mars 2016, dans le cadre des débats parlementaires sur la prorogation de l’état d’urgence, les services du Sénat ont réalisé à la demande du sénateur Philippe Bas une étude de législation comparée sur le régime de l’état d’urgence en Europe.
Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, la partie relative aux pouvoirs d’urgence (ermergency powers) de la loi du 18 novembre 2004 relative à la sécurité civile permet l’adoption par l’exécutif de mesures d’urgence afin de faire face à une crise et lui confère à cette fin des pouvoirs renforcés susceptibles de limiter certains droits fondamentaux. Ces mesures d’urgence peuvent notamment permettre la réquisition ou la confiscation d’un bien, interdire la circulation d’un lieu à un autre, interdire des rassemblements (assemblies) d’un certain type, dans un lieu ou à une période donnés. Le contrôle effectué par le Parlement sur les mesures adoptées en vertu de cette loi apparait sensiblement plus étroit qu’en France.
Italie
Il n’existe pas en Italie de dispositif analogue à l’état d’urgence au sens du droit français. L’article 13 de la Constitution dispose toutefois que “Dans des cas exceptionnels de nécessité et d’urgence, formellement indiqués pas la loi, l’autorité chargée de la sécurité publique peut adopter des mesures provisoires, qui doivent être communiquées dans les quarante-huit heures à l’autorité judiciaire, lesquelles sont révoquées et privées d’effets si cette autorité ne les approuve pas dans les quarante-huit heures qui suivent”.
Belgique
En Belgique, bien qu’il n’existe pas de régime “d’état d’urgence” à proprement parler, l’exécutif peut exercer des pouvoirs extraordinaires, sous réserve de l’adoption d’une loi d’habilitation, en cas de circonstances exceptionnelles. La loi fixe la durée de ces circonstances, les matières concernées, les objectifs et la portée de ces mesures. Toutefois, ces mesures ne sauraient suspendre l’application des dispositions relatives aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution.
Il peut être mis un terme à l’état d’urgence de deux manières.
La première consiste à s’abstenir d’adopter une loi de prorogation avant l’expiration de la durée fixée par la loi du 19 décembre 2016, soit le 15 juillet 2017. Dans ce cas, le régime de l’état d’urgence cessera de s’appliquer de plein droit à cette date.
La seconde consiste à adopter une disposition levant l’état d’urgence avant 15 juillet 2017. Sans que la loi du 3 avril 1955 ne l’impose, les lois de prorogation comportent systématiquement, depuis 2005, une disposition expresse autorisant l’exécutif à mettre fin par décret à l’état d’urgence. C’est le cas de la loi du 19 décembre 2016 qui dispose en son article 1er que “Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.”
Jean-Luc Mélenchon plaide pour une levée de l’état d’urgence à l’initiative du Parlement. La seconde hypothèse semble donc être écartée. Il plaide également pour l’abrogation de la loi Urvoas du 3 juin 2016. Cette loi, qui vise à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme élargit les pouvoirs d’enquête et d’instruction, donne aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens d’investigation et prévoit une irresponsabilité pénale pour les policiers ou les gendarmes qui font un usage “absolument nécessaire et strictement proportionné de leur arme”.
Par essence, l’état d’urgence ne s’entend que comme exceptionnel et temporaire. Lors de l’examen du premier projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, le 18 novembre 2015, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale indiquait que “Les mesures que nous allons décider ne dureront qu’un temps limité. Elles ne se comprennent d’ailleurs que par leur obsolescence programmée.” Le Conseil d’État a rappelé dans son avis sur le projet de loi relatif à la deuxième prorogation que “l’état d’urgence reste un “état de crise” qui est par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment”. Pour sa part, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion en 2015 puis en 2016 d’indiquer que les effets d’un régime de pouvoirs exceptionnels doivent “être limités dans le temps et l’espace » et que la durée de l’état d’urgence « ne saurait être excessive au regard du péril imminent […] ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence”.
Pourtant, l’état d’urgence s’inscrit désormais dans la durée : le 19 décembre 2016, le Parlement a adopté une quatrième loi de prorogation, étendant l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017 – afin notamment de couvrir la période électorale à venir – soit une durée totale de 20 mois. S’il s’étirait effectivement jusqu’à cette date, il s’agirait de l’état d’urgence le plus long dans l’histoire française : lors de la guerre d’Algérie, l’état d’urgence avait duré au maximum 19 mois consécutivement (d’avril 1961 à octobre 1962).
En l’état du droit, aucune disposition ne plafonne la durée pendant laquelle l’état d’urgence est prorogé. Il peut être renouvelé sans limitation. Cette durée exceptionnelle fait l’objet de nombreuses critiques, compte tenu de l’ampleur des pouvoirs dérogatoires de police administrative qui sont confiés au Gouvernements et aux préfets sous ce régime.
Les mesures administratives permises par la loi du 3 avril 1955 :
Mesure |
Acte juridique de mise en œuvre de la mesure |
Assignation à résidence |
Arrêté ministériel (Intérieur) |
Perquisition au domicile de jour et de nuit |
Ordre de perquisition du ministre de l’Intérieur ou du préfet |
Interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules |
Arrêté préfectoral |
Institution de zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé |
Arrêté préfectoral |
Interdiction de séjour |
Arrêté préfectoral |
Dissolution d’associations ou de groupements |
Décret en Conseil des ministres |
Contrôle d’identité, inspection visuelle et fouilles des bagages, visite des véhicules |
Arrêté préfectoral |
Remise des armes soumises à enregistrement |
Arrêté ministériel (Intérieur) ou préfectoral |
Réquisition de personnes ou de biens |
Ordre de réquisition préfectoral |
Blocage de sites Internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie |
Arrêté ministériel (Intérieur) |
Fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion |
Arrêté ministériel (Intérieur) ou préfectoral sur l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence |
Interdiction de manifestation |
Arrêté ministériel (Intérieur) ou préfectoral sur l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence |
Source: Assemblée nationale, Rapport d’information n°4281 sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, présenté par D.RAIMBOURG et J.-F.POISSON, décembre 2016.
Dans un environnement marqué par le maintien à un niveau élevé de la menace terroriste, la conciliation des libertés et de la sécurité est donc l’enjeu central des débats autour de la prorogation ou de la levée de l’état d’urgence.
La loi du 20 novembre 2015, qui a prorogé une première fois l’état d’urgence, a modifié, dans un sens plus protecteur des libertés, le cadre fixé par la loi du 3 avril 1955, en :
disposant que le Gouvernement informe les deux assemblées des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, en temps réel ;
remplaçant les dispositions sur le contrôle de la presse par un dispositif permettant au ministre de l’Intérieur d’ordonner l’interruption de tout site internet “provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie” ;
précisant que les mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence sont soumises au contrôle du juge administratif dans les conditions permettant notamment les recours en la forme de référé.
Pour leur part, les principales critiques formulées à l’encontre de la dernière prorogation en date de l’état d’urgence ont été exposées dans une tribune signée par vingt personnalités – parmi lesquels l’économiste Thomas Piketty, le philosophe Etienne Balibar et la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme Christine Lazerges – intitulée Non à la pérennisation de l’état d’urgence! et publiée le 15 janvier 2017.
Ces critiques évoquent le “piège de la banalisation de l’exception”, un “recul du juge judiciaire dans son rôle constitutionnel de gardien de la liberté individuelle” et le fait que les élections soient organisées sous un régime qui permet au ministre de l’intérieur et au préfet d’interdire les réunions “de nature à provoquer ou à entretenir le désordre” mais aussi “les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique (…) dès lors que l’autorité administrative justifie ne plus être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elles dispose”.
Le débat sur la sortie de l’état d’urgence s’est en réalité engagé dès le premier semestre 2016, compte tenu, notamment, de l’efficacité déclinante des mesures prises sous ce régime, passé l’effet de surprise, comme l’illustre le graphique suivant.
Le rapport de la commission d’enquête sur les moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 a d’ailleurs fait part de sa conviction sur la prééminence des outils de droit commun et de la voie judiciaire pour lutter contre le terrorisme. Le rapporteur de la commission notait ainsi qu’alors “que toutes les auditions de notre commission se sont tenues pendant l’état d’urgence, force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci”.
Il convient à cet égard le dissiper la confusion de l’opinion qui associe souvent à tort l’état d’urgence avec les dispositifs tels que Vigipirate, l’opération Sentinelle ou encore l’arsenal pénal et administratif de droit commun (c’est-à-dire mis en œuvre sous le contrôle du juge judiciaire). Lever l’état d’urgence ne reviendrait pas à désactiver le plan Vigipirate et à mettre un terme au déploiement de militaire sur le territoire national. Quant à l’arsenal de droit commun, il a été sensiblement durci par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Cette loi, qui doit permettre aux informations judiciaires ouvertes de lutter efficacement contre le terrorisme, permet notamment :
des perquisitions de nuit dans les domiciles lors des enquêtes préliminaires et des informations judiciaires en matière terroriste ;
une retenue administrative lorsqu’il existe, à l’égard d’une personne dont l’identité a été contrôlée ou vérifiée, des raisons de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ;
un régime de contrôle administratif pour les personnes de retour sur le territoire national des théâtres d’opérations de groupements terroristes.
Compte tenu de ces nouvelles dispositions, le Président de la République et le Gouvernement ont alors envisagé de ne pas reconduire l’état d’urgence au-delà du 25 juillet 2016. L’attentat perpétré à Nice a conduit le Gouvernement à solliciter une nouvelle prorogation de l’état d’urgence, votée dans la loi du 21 juillet 2016.
Les contrôles d’identité, fouilles de bagages et visites de véhicules, introduits en juillet 2016, ont été massivement utilisés. La commission des lois de l’Assemblée souligne que, s’ils ont permis de sécuriser les grands événements de l’été 2016 (Euro 2016, Tour de France notamment), ils s’inscrivent désormais le plus souvent dans “une réponse banalisée à des risques et non dans un cadre exceptionnel de riposte à une menace imminente”. Ce fut le cas lors de la COP 21, qui donna lieu à l’assignation à résidence de 27 personnes. Ce fut également le cas de plusieurs mesures individuelles ou collectives prises pour limiter, dans certaines circonstances, la circulation des personnes à l’occasion des manifestations contre la loi dite loi El Khomri ou plus récemment à l’occasion du démantèlement de la jungle de Calais.
De manière plus générale, les données fournies par le ministère de la Justice font état d’un bilan modeste des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence. 61 procédures judiciaires résultent de perquisitions visant des faits en lien avec le terrorisme et 20 procédures ont été ouvertes par la section anti-terroriste du parquet de Paris.
De novembre 2015 à mai 2016, 605 perquisitions ont abouti à une procédure judiciaire dont 36 ont entraîné l’ouverture d’une procédure judiciaire pour des faits en lien avec le terrorisme. Sur ces 36 procédures, 27 ont visé des faits d’apologie de terrorisme et 9 ont été initiées par la section anti-terroriste du parquet de Paris du chef d’association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste.
Entre le 21 juillet 2016 et le 2 décembre 2016, 65 perquisitions ont abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire parmi lesquelles 25 ont révélé des faits de nature terroriste. Parmi ces 25 procédures, 11 ont été initiées par la section anti-terroriste du parquet de Paris du chef.
Sur la période la plus récente (de décembre 2016 à février 2017), la commission des lois de l’Assemblée, en charge du contrôle de l’état d’urgence, fait état d’une activité quotidienne réduite, “particulièrement en matière de perquisitions administratives”. 75% des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence au cours de cette période ont concerné des contrôles d’identité.
L’état d’urgence semble donc avoir épuisé ses effets. Au regard du déséquilibre entre libertés et sécurité qu’introduit son maintien durable, il apparaîtrait justifié de mettre un terme à ce régime d’exception. Si l’opportunité de cette décision ne fait pas l’objet de controverses majeures, le risque politique associé à un tel choix dans un contexte électoral est en revanche bien réel. La faisabilité de la levée de l’état d’urgence semble en conséquence plus élevée après les élections législatives des 11 et 18 juin.
Commentaire synthétique
Instauré le 13 novembre 2015 par décret du Président de la République à la suite des attentats commis à Paris et à Saint-Denis, l’état d’urgence est un régime défini par la loi du 3 avril 1955 (adoptée lors de la guerre d’Algérie) qui consiste en douze mesures de police administrative mises à la disposition du ministre de l’intérieur et des préfets pour faire face à un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou d’événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamités publiques. Depuis sa première instauration, l’état d’urgence a été reconduit à plusieurs reprises.
La durée exceptionnellement longue de son application, associée à l’efficacité déclinante des mesures prises sur son fondement, et les déséquilibres qu’il introduit entre libertés fondamentales et sécurité sont à l’origine de la proposition du candidat.
Par essence, l’état d’urgence ne s’entend que comme exceptionnel et temporaire. Pourtant, il s’inscrit désormais dans la durée : il pourrait s’étirer jusqu’au 15 juillet 2017, devenant l’état d’urgence le plus long de l’histoire française. En l’état du droit, aucune disposition ne plafonne la durée pendant laquelle l’état d’urgence est prorogé.