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14/12/2022

Pour un conseil scientifique permanent auprès de l'Exécutif

Pour un conseil scientifique permanent auprès de l'Exécutif
 Sébastien-Yves Laurent
Auteur
Professeur à la faculté de droit et de science politique de l’Université de Bordeaux
 Jean-Michel Catin
Auteur
Ancien directeur de la rédaction enseignement-recherche, AEF

Notre indépendance et notre leadership dépendent en grande partie des évolutions scientifiques que nous serons susceptibles d'initier. Faute de choix éclairés, la France risque, au mieux, de s'adapter insuffisamment aux différentes mutations à l'œuvre et, au pire, de manquer le tournant de surprises technologiques qui ne seront pas sans conséquence sur notre viabilité économique et notre sécurité.

Ceci pose une question : comment l'évolution scientifique est-elle appréhendée par les plus hautes autorités politiques ? En France, il revient principalement au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de fournir notes et expertises sur les sujets scientifiques. Il n'existe pas de structures dédiées auprès du Président de la République ou du Premier ministre qui permettent de prendre la distance nécessaire à l'appréhension des enjeux et des défis scientifiques et de mieux peser et anticiper les grands choix scientifiques auxquels font face nos sociétés et qui façonnent l'avenir du pays. Ainsi, l'expertise scientifique en France est essentiellement le fait de son administration et le risque est alors grand de faire reposer l'expertise sur le ministère et sur les organismes de recherche qui ont naturellement des agendas. La délibération scientifique visant à l'engagement de politiques publiques fait insuffisamment l’objet de débats contradictoires. 

Notre conviction est que notre pays doit désormais se doter d'un organisme distinct et indépendant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Le Président de la République et le chef de gouvernement doivent pouvoir bénéficier en matière scientifique d'un éclairage indépendant de l'administration et des établissements où s’élabore la science. L'enjeu de la science dans sa double dimension fondamentale et appliquée, est de bénéficier au progrès de la société de la connaissance, mais aussi à l'innovation et au développement économique, soit bien au-delà des "pôles" auxquels la technocratie les a réduits.
 
La faiblesse du conseil en matière de recherche scientifique est-elle une fatalité ? Nombreuses sont pourtant les instances qui existent et contribuent à la prise de décision scientifique mais elles participent d’une structuration étatisée du débat scientifique. Ainsi, le parlement est informé en matière de science par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) composé d’élus aux profils scientifiques et qui s’appuient, ponctuellement sur un conseil scientifique et des expertises extérieures. Il produit principalement des rapports sur les enjeux sociétaux et économiques de la science et des technologies. Il existe également des structures collégiales indépendantes regroupant des scientifiques de haut niveau, comme l'Académie des sciences (créée en 1667) dont l'une des cinq missions est de produire de l'analyse ou de l’expertise ou encore l'Académie des technologies, créée en 2000, qui est aussi chargée d'éclairer le gouvernement, mais elle est plutôt tournée vers la société. De nombreuses tentatives de créer des Hauts conseils ou des conseils supérieurs chargés d'éclairer la politique scientifique du gouvernement ont débouché sur des échecs, faute de volonté politique de leur donner les moyens d’influencer réellement les politiques publiques : le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie créé en 1982 auprès du ministère de la recherche et de l'industrie, le Conseil national de la science en 1998 auprès du ministre de la Recherche, le Conseil stratégique de la recherche créé en 2013 et placé auprès du Premier ministre.

Il faut retrouver le souffle du colloque de Caen de 1956 qui avait réuni scientifiques et responsables politiques avec pour résultat l’ambition de "créer par la science les conditions de la démocratie".

La situation n'est donc pas satisfaisante et pourtant, les relations entre la science et la décision publique n'ont pas toujours été aussi distendues. C'est pour cela qu'il faut retrouver le souffle du colloque de Caen de 1956 qui avait réuni scientifiques et responsables politiques avec pour résultat l’ambition de "créer par la science les conditions de la démocratie". Au-delà de la déclaration d’intention, cela avait conduit à la mise en place d’un plan décennal d’expansion de la science en douze points et quelques années plus tard à la création d’un délégué général à la recherche, puis d’un embryon de ministère de la recherche. 

Si le passé ne se répète pas, il faut néanmoins être attentif aux conditions actuelles : constats d’un décrochage scientifique de la France, d’un sous-financement chronique non compensé par la LPR, d’un accroissement de la compétition scientifique internationale…

Parmi les raisons majeures de ce décrochage, outre la question du financement et de l’organisation de la recherche dans notre pays, figure l’incapacité chronique à fixer des priorités scientifiques. Cela renvoie à la difficulté d’accepter que la France est une puissance moyenne de la science et de technologie, malgré des secteurs d'excellence. Il s’agit là d’un véritable tabou qui doit être dépassé par une analyse lucide de la situation de la France dans le monde.

Parce qu’une partie de la gouvernance supérieure concerne l'articulation entre la science et la décision, il est grand temps de renforcer le conseil dont peuvent bénéficier le Président de la République et le Premier ministre. À titre d’exemple, et quelles que soient les difficultés rencontrées, le conseil scientifique Covid-19 a constitué un pas en avant réel. Étant donné la spécificité de l'organisation gouvernementale et élyséenne, seule une structure dédiée et indépendante, produisant du conseil scientifique en matière de science, d'enseignement supérieur et de recherche, rattachée à l'exécutif pourrait être à même d’éclairer efficacement la décision. 

Le cas des États-Unis est éclairant : le Président dispose depuis 1976 d’un Office of science and Technology Policy (OSTP) dont l’objectif est de conseiller la présidence en matière de politique publique de la science et de la technologie. Le spectre de l'OSTP est large, mais il est tout entier ordonné à la "maximisation des bénéfices de la science et de la technologie pour améliorer la santé, la prospérité, la sécurité, la qualité de l’environnement et la justice" pour l'ensemble des citoyens. Pour des raisons tant culturelles que politiques, la transposition de ce modèle semble impossible. 

Pour autant, la création d'une structure dédiée à la science rattachée à et permettant de dépasser les féodalités et les agendas administratifs des bureaux ministériels semble être une voie dans laquelle la France pourrait s'engager. Il reste que l'exemple de l'OSTP, majoritairement composé de hauts fonctionnaires issus du monde scientifique, ne peut pas servir de modèle à la France car le besoin est de favoriser le contact entre les scientifiques et la décision. Bien des exemples vertueux existent en Europe, à commencer par le Wissenschaftsrat en Allemagne. 

La création d'une structure dédiée à la science [...] semble être une voie dans laquelle la France pourrait s'engager.

Cette plus ancienne "assemblée de la science" en Europe a été créée en 1957 pour conseiller le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements des Länder en matière de science, de recherche et d'enseignement supérieur. Il est composé de deux collèges dont l'un est formé de savants au nombre de 24 auxquels sont adjoints 8 représentants du monde socio-économique. L'Autriche possède également un Wissenschaftsrat composé de 12 membres avec des attributions similaires au modèle allemand. On retrouve sous le même nom la même assemblée en Suisse où, composée de 12 membres et adaptée au régime politique de la confédération, elle rédige avis et rapports au profit du Conseil fédéral. 

Il est nécessaire que le conseil scientifique qui pourrait être créé en France ne soit pas composé par des administrateurs de la recherche, mais exclusivement ou à tout le moins en majorité par des membres de la communauté scientifique. Enfin, où faut-il situer ce conseil ? Étant donné la pratique institutionnelle sous la Vème République, d’évidence sa place serait auprès du Président de la République. Ce conseil devrait être placé sous la présidence d'un chercheur ou d'un enseignant-chercheur, désigné par élection comme il est de règle dans les instances scientifiques. Le conseil scientifique serait consulté par le Chef de l'État et celui-ci pourrait en outre recevoir de sa part des avis d'opportunité rendus ensuite publics ou en cas d’enjeux particulièrement sensibles seraient réservés à sa seule lecture. Le conseil fixerait son propre agenda de travail afin de garantir la plus grande indépendance possible et ainsi éclairer le chef de l'État afin qu'il puisse mettre en balance les avis qu'il reçoit de la technostructure de recherche et d’enseignement supérieur avec ceux du conseil scientifique. Ceci permettrait de rapprocher la science dans sa collégialité du processus de décision et de réduire un inquiétant hiatus.

On ne peut faire abstraction, quand on analyse le rôle de la science dans nos sociétés, du cadre politique dans lequel on se trouve. La France a, dans son histoire, séparé autant que possible le rôle du politique de celui de la science. Certes, les raisons qui les animent ne sont pas du même ordre, mais la place particulière qu’occupe l'État dans notre pays limite l'intervention de la science et de ses acteurs dans la définition des grandes orientations qui fondent les choix politiques du pays. Or, de plus en plus, la capacité à opérer les grands choix scientifiques devient une question stratégique qui est au cœur de la souveraineté du pays et également des dynamiques socio-économiques de notre société. Il est urgent de renouveler la relation science et politique dans notre pays et ce conseil serait un premier pas.

 

 

Copyright : JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

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