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11/09/2017

Quand la Russie surjoue sa puissance militaire

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Quand la Russie surjoue sa puissance militaire
 Dominique Moïsi
Author
Distinguished Senior fellow

 

La Russie s'apprête à entamer de grandes man'uvres militaires en Biélorussie. Si Moscou montre ses muscles en suscitant la peur chez ses voisins européens, c'est la Chine qui constitue sa seule vraie menace extérieure. Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, décrypte la situation.

Que veut Moscou ? Montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir ? Jouer la fibre nationaliste de ses citoyens six mois avant les élections présidentielles à venir ? Intimider ses voisins comme l'Ukraine, la Pologne, les républiques Baltes ou même la Biélorussie, qui peut donner parfois l'impression de vouloir "flirter" avec l'Ouest ?

Le 14 septembre, la Russie lancera des grandes manœuvres militaires qui, selon des experts occidentaux, devraient engager de 75 000 à 100 000 hommes. C'est-à-dire infiniment plus que les 12 700 annoncés par Moscou : un chiffre qui permet à la Russie de ne pas avoir à inviter des observateurs étrangers. En 2008, l'invasion de la Géorgie avait suivi des exercices militaires de ce type dans le Caucase. Il en avait été de même de l'annexion de la Crimée en 2014, précédée elle aussi par des grandes manœuvres. Si la Russie fait peur à ses voisins elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même, à son absence totale de transparence et à ses interférences répétées dans le processus électoral des nations démocratiques.

Pour autant il ne faut pas sombrer dans la paranoïa. En 2017, la Russie ne devrait pas répéter ses "exploits" de 2008 et 2014. Le contexte international explosif de l'Asie au Moyen-Orient n'encourage pas Vladimir Poutine à ajouter du désordre au chaos. Sur ce plan, on peut même penser que l'imprévisibilité totale du nouveau président des États-Unis constitue pour lui une forme de dissuasion, sinon un encouragement à se comporter de manière responsable.

Lors du sommet des BRICS qui s'est tenu à Xiamen, au sud-est de la Chine, il y a quelques jours, Poutine a averti Donald Trump que dans la crise nord-coréenne, toute forme "d'hystérie militaire" pouvait conduire à la catastrophe. Une photo montre les présidents chinois et russe, et le Premier ministre indien, marchant côte à côte, d'une manière qui peut donner le sentiment que la relève du pouvoir mondial est en train de se faire. Le trio Chine, Russie, Inde ne semble-t-il pas, dans cette image subliminale, se présenter au monde comme l'alternative à l'Occident décadent et hystérique incarné par l'Amérique de Trump ?

Une telle interprétation serait pour le moins prématurée. L'Inde et la Russie ne jouent pas dans la même catégorie que la Chine sur le plan stratégique, en dépit des efforts considérables de modernisation de ses forces armées faits par Moscou ces dernières années. La Russie ne joue pas dans la même catégorie que la Chine et l'Inde sur le plan économique. Face aux géants asiatiques, la Russie ne fait tout simplement pas le poids, ni démographiquement ni en termes de dynamisme économique.

Contrairement à ce qu'elle veut laisser entendre, elle ne peut pas vraiment choisir entre l'Est asiatique et l'Occident. Il existe pour elle comme une contradiction entre le choix asiatique que lui dicterait ses orientations idéologiques et ses affinités avec le "Despotisme oriental"- pour reprendre le titre du livre de l'historien allemand Karl Wittfogel - et ses intérêts stratégiques à long terme. La Russie peut se sentir grande en suscitant la peur chez ses voisins européens mais, pour des raisons démographiques tout autant que géographiques, c'est son grand voisin de l'Est, la Chine qui constitue la seule vraie menace extérieure pour elle.

Ce qui pose le problème de la légitimité et de la rationalité de la stratégie de Moscou. Nostalgique de sa grandeur impériale, la Russie se cherche un rôle qui soit à la hauteur de ses ambitions. Donald Trump lui offre l'opportunité unique de se présenter au monde comme un acteur responsable et rationnel. Peut-elle saisir cette occasion unique, qui impliquerait non seulement une réorientation de sa diplomatie, mais plus encore de son système économique ? La Russie pourrait apparaître comme un pôle de stabilité en Europe, si elle cessait de jouer contre l'Union européenne, si elle mettait fin à son soutien inutile et coûteux à des mouvements populistes qui - le cas de la France en a donné récemment la preuve avec le Front national - ne constituent pas de "bon retours sur investissement". Mais demander à la Russie de faire preuve de plus de transparence, n'est-ce pas exiger d'elle l'impossible ? Tout comme lui demander de ne plus faire dépendre exclusivement son économie, de la rente que constituent ses énergies fossiles ? L'Arabie saoudite, sur ce plan, pourrait donner des leçons de modernité à la Russie de Poutine.

En attendant, la Russie constitue un test de politique étrangère majeur pour une Union européenne, qui, c'est le moins que l'on puisse dire, peine à définir une politique commune à son encontre. Entre les positions de Rome d'un côté, de Paris et de Berlin de l'autre, il y a plus que des nuances, il y a presque un fossé qu'il convient de combler. Fixer des limites à la Russie à l'est de l'Europe, de l'Ukraine aux pays Baltes, doit être une des priorités de la diplomatie européenne. Tout cela doit se faire avec un mélange de clarté et de fermeté, mais aussi d'ouverture sincère. L'Europe ne veut ni rejeter ni humilier la Russie. Elle souhaite au contraire la considérer comme un "Grand d'Europe" qui n'a bien sûr pas vocation à entrer dans l'Union, mais qui n'est pas non plus un corps étranger et menaçant.

Dans le contexte international actuel, la balle est dans le camp des Russes. Ce n'est pas par l'ampleur de leurs manœuvres militaires sur le terrain qu'ils peuvent nous impressionner, mais par le caractère responsable de leur diplomatie. A long terme, leurs intérêts bien compris se trouvent à l'Ouest.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 11 septembre).

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