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05/10/2017

Une politique industrielle pour l’Europe ? Think twice, please. Trois questions à Eric Chaney

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Une politique industrielle pour l’Europe ? Think twice, please. Trois questions à Eric Chaney
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Le groupe français Alstom et l’allemand Siemens ont annoncé, fin septembre, la fusion de leurs activités ferroviaires. Celle-ci intervient dans un contexte industriel agité pour l’exécutif, marqué - entre autres - en début de mandat présidentiel par l’annonce de la nationalisation des chantiers navals STX, entraînant une crise diplomatique d’envergure avec l’Italie. A la lumière des actualités récentes, comment comprendre la politique industrielle du gouvernement ? Le secteur secondaire peut-il jouer un rôle dans la reconstruction européenne ? Entretien avec Eric Chaney, conseiller économique de l’Institut Montaigne.
Les délocalisations, fermetures, rachats d’entreprises françaises font la une des journaux. Pourtant, pour la première fois depuis 2009, les ouvertures de sites industriels ont été nettement plus nombreuses que les fermetures en France. Cette tendance va-t-elle durer selon vous ? Quel est l'avenir de l'industrie dans l'activité économique française ? 
L’Insee constate bien un redémarrage des créations d’entreprises industrielles, en hausse de 4,3 % au cours des trois derniers mois, par rapport à 2016. Mais cela reste modeste par rapport à la promotion immobilière (+23,6 %) ou aux services aux entreprises (+15,9 %). Et les entreprises industrielles créées cette année ne représentent que 4,3 % de l’ensemble des créations d’entreprises, contre 6 % en 2000. L’embellie conjoncturelle est certes visible dans l’industrie, dont les managers sont de plus en plus optimistes, mais je ne crois pas qu’on puisse y voir le signe avant-coureur d’un renouveau industriel dans notre pays. Si l’industrie proprement dite est et restera un socle économique important, qui irrigue une large part du reste de l’économie, son poids va probablement continuer à décliner, tandis que celui des services, aux entreprises en particulier, augmentera. Il y a là, en partie du moins, une illusion d’optique, car cela fait longtemps que les entreprises industrielles préfèrent sous-traiter ce qui relève des services, du nettoyage à la conception de logiciels, renonçant pour des raisons de bonne gestion, à entretenir des départements "maison". Et le savoir-faire industriel français, soutenu par l’excellence des grandes écoles scientifiques, ne prend pas nécessairement la forme d’usines traditionnelles –qu’on songe au succès de TechnipFMC ou d’Atos par exemple. De ce point de vue, l’Allemagne, dont on admire souvent la capacité à conserver sur son territoire une puissance industrielle considérable, fait plutôt figure d’exception dans les pays développés. 
En souhaitant garder le contrôle des chantiers STX, Emmanuel Macron a fait preuve d’un certain "interventionnisme" en matière de politique industrielle. Comment expliquer le décalage entre cette politique et le libéralisme économique assumé du gouvernement ? 
Je trouve intéressant que la nouvelle équipe au pouvoir ait pris des positions très différentes sur deux entreprises qui furent longtemps considérées comme des "champions nationaux", les Chantiers de l’Atlantique, re-nationalisés après la faillite de leur propriétaire coréen STX d’un côté, Alstom de l’autre. Par leur dimension et leur savoir-faire, les chantiers de Penhoët ont une dimension stratégique évidente, au sens militaire le plus strict du terme. Que l’Etat souhaite garder une forme de contrôle de cette activité n’a rien de choquant et ne relève pas de cette tendance interventionniste si bien ancrée dans notre pays. Dans le contexte actuel de désengagement des Etats-Unis, d’affirmation de la puissance russe et de nouvelles difficultés dans la coopération militaire avec l’autre puissance militaire européenne, le Royaume-Uni, on ne peut que s’en féliciter. Le contraste avec Alstom est frappant : le secteur ferroviaire n’est plus stratégique depuis belle lurette, mais il est très compétitif. Vouloir y conserver à tout prix un champion national comme les précédents gouvernements ont tenté de le faire, au prix d’inanités économiques comme des LGV promises au déficit permanent, aurait été absurde. Si l’on tient, pour des raisons stratégiques, non pas militaires mais de robustesse économique, à encourager des champions industriels, c’est bien à l’échelle de l’Europe qu’il faut le faire, et en laissant les entreprises décider de leur gouvernance et de leur actionnariat, même si cela fait grincer quelques dents à Bercy. 
Suite au récent discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne, l’Europe sera un chantier prioritaire du gouvernement. Quel rôle peut jouer selon vous l'industrie dans la construction européenne ? Un "airbus de la mobilité" est-il possible ? 
L’industrie est à l’origine de la construction européenne, pour des raisons profondément politiques : en poussant la France et l’Allemagne à mettre leurs ressources de charbon et d’acier en commun, les pères fondateurs avaient en tête de prévenir un nouveau conflit entre les deux pays. La réussite du projet est allée bien au-delà de leurs espérances, puisqu’elle a donné naissance à l’Union européenne, à laquelle les États ont délégué une bonne part de leur souveraineté économique, dont les négociations commerciales internationales ! Mais il me semble que l’industrie, même dans son acception la plus large, n’a plus grand chose à faire dans la consolidation et la poursuite du projet européen. 
L’exemple d’Airbus, qu’on invoque à toutes les sauces, est d’ailleurs fort mal choisi. Si EADS, maintenant Airbus, est devenu un succès mondial après avoir englouti de vastes ressources publiques, c’est qu’en 1970, le marché mondial de l’aviation civile était un quasi-monopole, tenu par Boeing, qui finit d’ailleurs par racheter son seul concurrent américain, McDonnell Douglas. Les monopoles disposent d’une rente, au détriment de leurs clients, et ont une faible incitation à innover. Il est donc payant de les défier, et cela ne peut que profiter aux clients finaux, les consommateurs. Bien sûr, entrer sur un marché tenu par un monopole très capitalistique dont les produits sont à fort contenu technologique est coûteux et difficile, ce qui peut justifier les aides publiques à Airbus. 
Mais il faut se garder d’extrapoler le modèle à des secteurs déjà très concurrentiels, comme le transport ferroviaire et ses dérivés. On ne ferait que répéter les erreurs d’un passé encombré de cadavres industriels, et finir par subventionner à perte des entreprises faiblement incitées à innover. Bien malin qui peut prédire aujourd’hui l’avenir du transport collectif terrestre à longue distance : les lignes à grande vitesse génèrent un coût d’entretien exorbitant en raison de l’énergie dissipée, les MagLev (sustentation magnétique, aujourd’hui par aimants supraconducteurs) ont un faible coût d’exploitation mais requièrent des investissements très coûteux et la version moderne du Vactrain (qui date de 1799 et fut rendu populaire par Jules Verne), l’Hyperloop d’Elon Musk n’en est qu’au stade des études de faisabilité. Comme les rendements d’échelle sont croissants, la future technologie dominante évincera les autres, de même que la filière nucléaire de Westinghouse évinça celle de GE. Par charité pour le contribuable, les Etats ne devraient pas se mêler de cette compétition et restreindre le concept de politique industrielle à ce qui est véritablement stratégique, y compris au niveau européen.                                                                                             


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
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