Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
25/11/2020

Un Président et une nation face au virus : de la vision à l’exécution

Un Président et une nation face au virus : de la vision à l’exécution
 Nicolas Bauquet
Auteur
Expert en transformation publique

Un mois après le début du reconfinement, et comme il l’avait annoncé, le président de la République s’est à nouveau adressé aux Français, le mardi 24 novembre, pour faire le point sur la crise pandémique et donner des perspectives au pays, alors que les fêtes de fin d’année approchent, et que les tensions politiques et sociales s’aiguisent. L’adresse présidentielle a permis de clarifier le cap fixé collectivement à la nation pour tenir face à la pandémie, puis la vaincre, avec une stratégie en trois temps : ramener le virus à un niveau de circulation suffisamment faible pour le contrôler, tout faire pour le contenir et éviter une troisième vague, et mettre en œuvre une campagne de vaccination. Mais elle laisse entière la question de l’exécution de ces objectifs, et notamment du dispositif à mettre en place au niveau territorial pour passer de la vision présidentielle à l’exécution collective. 

Mener le confinement à son terme

Le premier enjeu, c’est donc de mener le confinement à son terme. Même s’il est très différent de celui que nous avons connu au printemps, il a le même objet : permettre, par des mesures coercitives, de passer d’une situation où le virus se répand de manière incontrôlée, à un niveau de circulation suffisamment faible pour suivre le virus à la trace et traiter les foyers épidémiques. L’enjeu est donc de maintenir cet effort suffisamment longtemps pour ne pas perdre les bénéfices des sacrifices consentis, et des leurs conséquences économiques et sociales.

Sur ce plan, le chef de l’État a réaffirmé clairement l’objectif fixé il y a un mois, et cette constance est un élément essentiel de réussite : nous devons repasser sous la barre des 5 000 contaminations par jour, pour pouvoir, à nouveau, suivre les chaînes de contamination et sécuriser le système de santé. La réouverture des commerces s’appliquera dès samedi 28 novembre, permettant de désamorcer une des bombes sociales et politiques de ce deuxième confinement. L’étape suivante, elle, prévue le 15 décembre, est conditionnée par la poursuite de la diminution de l’épidémie au niveau défini. C’est seulement à cette condition que le confinement pourra être remplacé par un couvre-feu, que les déplacements pour les fêtes de fin d’années seront possibles, que les Français pourront partir en vacances, même si "ce ne seront pas des vacances de Noël comme les autres". 

Mais que se passerait-il si l’épidémie ne suivait pas la courbe de nos espérances ? Si, d’ici le 15 décembre, ou après les fêtes, l’épidémie repartait à la hausse ? Cette hypothèse ne dépend pas uniquement des comportements individuels, elle peut dépendre d’une vague de froid, d’événements supercontaminateurs, ou tout simplement de l’évolution d’un virus dont nous n’arrivons pas à prédire le comportement. Une fois de plus, c’est le besoin d’élaborer des scénarios, plutôt que de définir des processus linéaires, qui est la clé de l’anticipation. "Plans are worthless, but planning is everything", selon la formule du Président Eisenhower : nous aimerions tous que le plan de sortie du confinement esquissé par le Président ne soit pas sans valeur, mais il est de la responsabilité de l’exécutif de se préparer à différents scénarios afin de nous permettre de nous préparer à toutes les éventualités. 

Une fois de plus, c’est le besoin d’élaborer des scénarios, plutôt que de définir des processus linéaires, qui est la clé de l’anticipation.

Ce travail ne doit-il pas s’opérer, très rapidement, à l’échelon territorial ? L’organisation d’un pilotage de la crise au niveau départemental a été mise à mal par la diffusion massive du virus dans tout le pays en septembre et en octobre, et par la difficulté à trouver la bonne articulation entre l’État et les collectivités territoriales. Mais elle redevient particulièrement nécessaire au moment où il s’agit d’évaluer sur le terrain l’évolution de la pandémie, et de suivre le virus au plus près pour éviter toute reprise épidémique incontrôlée.

Au moment, aussi, où l’impatience de la population nécessite, de la part de ceux qui ont "la République en partage", un diagnostic commun et une parole cohérente.

Cette phase d’amélioration relative est précisément le moment favorable pour structurer ce pilotage territorial, en mettant en place, dans chaque département, une cellule associant étroitement les services de l’État et les élus, non dans une démarche de consultation, mais dans un esprit de co-responsabilité. C’est aussi le moment de concevoir, pour ce pilotage, un tableau de bord partagé, avec l’ensemble des informations disponibles, pour que tous les acteurs locaux puissent avoir la vision la plus fine possible de la circulation épidémique, et agir en conséquence. 

Tester, alerter, isoler : de l’objectif au mode d’emploi 

Dans son allocution, le Président a réaffirmé le rôle déterminant de la chaîne "tester alerter, protéger", définie comme "l’outil le plus important dans les prochaines semaines". De fait, si les mesures restrictives sont maintenues jusqu’au moment où le virus revient à un niveau de circulation suffisamment faible, cette chaîne d’action pourra être un outil de contrôle de l’épidémie. Mais pourquoi peut-elle réussir là où elle a échoué en septembre et en octobre ? 

D’abord, parce que notre arsenal de tests sera élargi et rendu plus efficace. Emmanuel Macron a promis des tests PCR avec, en janvier, un délai inférieur à 24h entre la demande de test et son résultat. Une rapidité effectivement déterminante pour assurer l’efficacité du dispositif, et qu’il faudra contrôler avec l’ensemble des données disponibles. Surtout, les tests antigéniques, bientôt utilisés massivement, ont effectivement le potentiel de changer la donne face à la maladie, s’ils sont mis au service d’un ciblage intelligent et évolutif, construit en commun par les ARS et les acteurs territoriaux, et décliné dans l’ensemble des structures capables de mener à bien ces campagnes de tests, depuis les entreprises jusqu’aux établissements scolaires et universitaires, en passant par les collectivités locales, et bien sûr les établissements hospitaliers et médico-sociaux, en particulier les EHPAD. Les dispositions réglementaires récemment publiées ouvrent la voie à cette souplesse tout en garantissant l’indispensable remontée des informations dans le fichier SI-DEP. Mais tout reste à faire pour constituer, dans chaque territoire, cette coalition d’acteurs mettant en commun leur expertise sanitaire, leur connaissance du terrain et leur capacité à susciter l’adhésion de la population dans un contexte de grande lassitude. Tout reste à faire aussi pour accélérer le déploiement des tests salivaires, dont certains conçus et produits en France, qui pourraient constituer un atout précieux dans l’acceptabilité de ces tests. 

La stratégie d’alerte, c’est-à-dire de traçage, est elle aussi appelée à évoluer profondément, même si le Président l’a peu évoquée dans son intervention. Au-delà du renforcement des volontaires dédiés à cette tâche, et de l’accent mis sur le rôle de l’application TousAntiCovid (téléchargée par 10 millions de Français), la mise en œuvre d’une stratégie de traçage rétrospectif (backward tracing) est le corollaire indispensable d’une stratégie volontariste de tests des lieux et des communautés à risques. Ce qui implique une refonte du système d’information utilisé pour mener à bien cette recherche, mais aussi un décloisonnement entre les équipes de l’assurance-maladie, celles de l’ARS, et l’ensemble des acteurs locaux qui peuvent concourir à cette identification des lieux à risque, dans une logique préventive et dans un effort constant d’anticipation. C’est sans doute sur ce terrain que l’application TousAntiCovid sera la plus utile, quand elle sera dotée d’un système de scannage de QR code permettant de garder trace des principaux lieux à risque, comme actuellement exploré en Suisse

Dernier volet de ce triptyque, la question de l’isolement, longtemps restée le maillon faible de cette chaîne sanitaire, va devenir un élément prioritaire.

Dans son intervention, le chef de l’État a évoqué pour la première fois la possibilité de mettre en place des mesures contraignantes, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays européens, mesures pourtant écartées par la décision du Conseil constitutionnel du 11 mai. Proposer un débat au Parlement paraît à cet égard indispensable : plus qu’aux juges constitutionnels, c’est aux représentants de la Nation de s’emparer de la question de l’arbitrage entre la contrainte collective subie par le pays pendant les confinements, et la contrainte individuelle et temporaire qui pourrait contribuer à l’éviter.

Le Président a réaffirmé le rôle déterminant de la chaîne "tester alerter, protéger", définie comme "l’outil le plus important dans les prochaines semaines".

Mais la contrainte ne peut de toute façon que venir consolider un dispositif opérationnel complet dont il manque pour l’instant presque chacun des éléments, depuis un cadre national clair et cohérent, garantissant notamment le maintien de la rémunération des personnes concernées, jusqu’à la coalition d’acteurs locaux nécessaire à un accompagnement personnalisé. Autant que dans les interdits juridiques, le diable est dans les détails, notamment matériels, depuis la question du jour de carence pour les fonctionnaires jusqu’à l’absence de budget dédié dans les préfectures pour permettre aux services de l’État, aux élus locaux et aux associations de mettre rapidement en place des dispositifs adaptés. C’est le même principe de réalité qui devrait guider nos efforts dans la mise en place de dispositifs visant la protection des personnes fragiles, un point que n’a pas abordé hier le président de la République. 

Les vaccins, "une formidable lueur d’espoir", et un immense défi collectif

Enfin, l’élément nouveau, dans l’intervention du Président, a trait à l’arrivée prochaine des vaccins, qui permettront, non seulement de tenir face au virus, mais de le vaincre. Le Président a donné d’importants éléments sur l’esprit dans lequel cette campagne serait menée : un dispositif transparent, avec un comité scientifique, et un collectif de citoyens "pour associer plus largement la population", selon la recommandation faite de longue date par le Conseil scientifique. Avec comme objectif "une campagne rapide et massive au plus près des personnes", dont "les autorités sanitaires, avec l’État et les collectivités locales, définiront les modalités pratiques". 

Comme pour la gestion du virus lui-même, la préparation de la vaccination est confrontée au double défi de la vitesse et de l’incertitude, tant les inconnues restent nombreuses, sur les caractéristiques des différents vaccins, comme sur leur disponibilité ou la logistique à mettre en œuvre.

L'élément nouveau, dans l’intervention du Président, a trait à l’arrivée prochaine des vaccins, qui permettront, non seulement de tenir face au virus, mais de le vaincre. 

Ici encore, l’urgence n’est pas de faire des plans, mais de planifier, et de le faire avec l’ensemble des partenaires qui ne seront pas les exécutants, mais les acteurs de cette gigantesque opération : les médecins généralistes et les infirmiers, les collectivités locales, les grandes associations de sécurité civile, les pompiers, autant d’acteurs qui ont eu le sentiment de ne pas avoir été associés suffisamment pendant les premières phases de la crise, et qui détiennent ensemble les clés de la réussite de la campagne vaccinale.

Sans oublier, bien sûr, les acteurs du secteur privé, depuis les producteurs du vaccin jusqu’aux grands logisticiens et aux entreprises du numérique. 

Autant qu’un défi logistique ou sanitaire, la mise en œuvre de la vaccination sera donc un défi politique : ouvrir le cercle de la confiance et de la décision, capitaliser sur les compétences d’un grand nombre d’acteurs, susciter une dynamique capable de répondre à la fois à l’urgence et à l’incertitude. Autant que la communication sur le vaccin lui-même, c’est la force de cette action collective qui inspirera la confiance et suscitera l’adhésion. 

"Chacun a un rôle à jouer, chacun a une responsabilité à tenir", nous a dit hier le président de la République. Une fois posée cette vision présidentielle, c’est au gouvernement d’en exposer, dans quelques jours, les déclinaisons concrètes. Plus qu’en se perdant dans la casuistique du confinement ou du couvre-feu, c’est en exposant les principes et les moyens qui nous permettront de relever collectivement ces défis qu’il tracera la perspective dont le pays a besoin : une mobilisation collective, nationale et territoriale, pour faire face ensemble à une incertitude qu’aucun plan de déconfinement ou de vaccination, si parfaitement conçu soit-il, ne parviendra à conjurer. 

 

 

Copyright : THOMAS COEX / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne