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27/04/2018

Un Américain à Paris, un Français à Washington : Strobe Talbott commente la visite d’Etat d’Emmanuel Macron

Un Américain à Paris, un Français à Washington : Strobe Talbott commente la visite d’Etat d’Emmanuel Macron
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Strobe Talbott, ancien président de la Brookings et Visiting Fellow à l’Institut Montaigne, a suivi depuis Paris la visite d’Emmanuel Macron à Washington. Quels ont été les enjeux de ce déplacement et quels sont les résultats de cette première rencontre de l’autre côté de l’Atlantique ? Analyse exclusive. 

Quelle est votre perception de la visite d’Etat d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis et, plus spécifiquement, du discours qu’il a prononcé devant le Congrès ? 

Regarder le discours d’Emmanuel Macron au Congrès depuis Paris mercredi a rendu l’expérience plus intéressante - pour ne pas dire plus exaltante - qu’elle ne l’aurait été depuis la capitale américaine. Son discours au Congrès s’insère dans une longue et prestigieuse séquence de visites de chefs d’Etat et de gouvernement, mais je suis convaincu que celle-ci marquera les esprits. Lors de son discours, Emmanuel Macron a réussi à trouver le ton juste, le bon degré de candeur et de respect. Même si le président Trump ne change pas d’avis, accordons à ce discours le crédit d’en faire infléchir d’autres. Après tout, les Etats-Unis sont une démocratie respectant la séparation des pouvoirs et il est important que les détenteurs du pouvoir législatif entendent ce que le président Macron avait à leur dire mercredi. 

Je ne serais pas surpris qu’aucun visiteur par le passé n’ait utilisé ce forum afin de réfuter, poliment mais très clairement et rationnellement, la position de son hôte à Washington. Le président prenait le risque d’être malpoli ou contre-productif, mais Emmanuel Macron est resté habile dans son propos, sans adresser nommément ses préoccupations à Donald Trump et en conservant sa franchise

Jusqu’à maintenant, le président américain n’a pas lancé de tweetstorms à l’encontre de M. Macron. Du moins pas encore. L’impulsivité fait partie de la nature de Donald Trump et de son mode de gouvernance. Mais il ne prendra pas le risque cette fois-ci d’être celui qui agit de manière contre-productive. Espérons qu’il avale simplement la pilule. Cela ne signifie pas qu’il respectera son conseil ou changera ses positions. Reste désormais à attendre !

De nombreux commentateurs sont sceptiques et attendent de voir si oui ou non le franc-parler d’Emmanuel Macron changera réellement quelque chose. Je suis un grand optimiste mais aussi un grand inquiet, surtout quand il est question de mon président ! Là où mon optimisme reste entier c’est dans la capacité d’une nouvelle figure à émerger et à entreprendre une démarche aussi inédite sur la scène internationale. Bien sûr, l’inédit n’est pas l’apanage de M. Macron et nous n’avions jamais vu non plus de président américain aussi perturbant, pour les Américains comme pour le reste du monde. Mais la bonne nouvelle est qu’il existe désormais un contrepoids face à ce phénomène. Un président français vient à Washington pour une visite d’Etat, il a une relation cordiale avec son homologue américain, et tient un discours de vérité

Et il ne s’exprimait pas seulement en son nom ou au nom de la France - sa voix était aussi celle de nombreux Américains, opposés à leur président. 

Les positions des deux présidents diffèrent sur un certain nombre de sujets, notamment sur l’accord nucléaire iranien, le commerce international et le changement climatique. Comment voyez-vous ces dossiers évoluer ? 

Le commerce est le sujet sur lequel on peut attendre le plus de souplesse. Il semble par exemple que Donald Trump soit en train de considérer les manières d’arrondir les angles sur l’ALENA. Ajoutons à cela que le président Trump, arrivé au pouvoir en promettant de se retirer du PPT, envisage désormais de revenir en arrière, suite aux pressions exercées par les milieux politiques et économiques américains.

Attaquer les accords commerciaux signés sous la présidence de ses prédécesseurs semble néanmoins être un élément récurrent de son administration. Donald Trump cultive une animosité particulière envers l’ALENA car il est associé dans de nombreux esprits aux controverses sur l'immigration

Cela étant, il est utile de souligner que l’ALENA ne concerne pas que le Mexique mais également le Canada, qui cherche farouchement à protéger le traité. Sur cette question du Canada, il est intéressant de noter que Donald Trump semble avoir - au moins superficiellement - une relation avec Justin Trudeau similaire à celle qu’il entretient avec Emmanuel Macron. En effet, il semble que Justin Trudeau ait adopté une stratégie comparable à celle du président français sur la manière d’appréhender son homologue américain. 

La question la plus immédiate et la plus dangereuse concerne bien sûr l’accord sur le nucléaire iranien. En début de semaine, les pourparlers ne s’engageaient pas particulièrement bien entre les deux chefs d’Etat. Je m’interrogeais alors : Macron se dérobera t-il de cette problématique ou l'amènera t-il sans détour ? Et c’est bien sans détour qu’il l’a présentée au Congrès. Malgré sa défense fervente de l’accord, je crains qu’il n’ait pas réussi à incliner la position du président Trump. 

Le retrait américain du JCPOA serait une catastrophe. Il bénéficierait à l’aile dure du régime qui n’a jamais été favorable à l’accord. Il serait alors bien difficile pour le président Rohani de gérer ce contre coup dans son pays. Cela aurait également pour conséquence d'agrandir le fossé entre les Etats-Unis et ses principaux alliés, France incluse. 

Concernant le changement climatique enfin, il y a à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est que le président ne croit pas en la science et s’est entouré de conseillers environnementaux n’ayant aucune légitimité, des individus qui, comme lui, sont des obscurantistes, anti-environnement, anti-médiation sur le changement climatique. La bonne, cependant, est la suivante : les accords de Paris constituent une avancée majeure et la grande majorité de la planète y adhère toujours. Depuis, grâce au système fédéral américain, nous avons des gouvernements d’Etats et de villes qui prennent des mesures contre le changement climatique au moment même où nous parlons et qui continuerons dans cette voie. 

Comment percevez-vous l’évolution de la relation franco-américaine depuis ces deux nouvelles présidences ? 

Nous, Américains, avons longtemps regardé en priorité notre relation privilégiée avec le Royaume-Uni. Nous conservons ce lien. Cependant, pour de nombreux Américains, elle risque de s’affaiblir à cause du Brexit et du repli sur soi britannique. Récemment, nous avions davantage compté sur Berlin mais Angela Merkel est malheureusement empêtrée dans des difficultés internes et domestiques. Désormais, je pense que beaucoup d’Américains se tourneront vers la France. Et la visite d’Emmanuel Macron à Washington en sera en grande partie responsable. 

Une dernière chose : les républiques française et américaine sont nées des Lumières. Si Emmanuel Macron ne s’est pas référé explicitement aux Lumières dans son discours, son langage et ses idéaux l’évoquaient indéniablement. Il a mis l’accent sur la raison, la science, la vérité, la liberté, la démocratie. Descartes, Jefferson, Montesquieu, Franklin seraient fiers. 

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