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27/01/2021

Trois priorités pour la santé mentale

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Trois priorités pour la santé mentale
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

La santé mentale des Français est mise à mal depuis le début de la pandémie : peur de la maladie, incertitude, stress, isolement social, perte de revenu, deuils, etc. engendrent une hausse particulièrement inquiétante des souffrances psychiques depuis quelques mois. Malgré les moyens consacrés à la psychiatrie (premier poste de dépenses de l’Assurance maladie), notre système de santé est mal préparé pour répondre à ces défis. Pour y faire face, les pouvoirs publics ont annoncé des "Assises de la psychiatrie et de la santé mentale avant l’été". Trois priorités doivent guider l’action publique : la prévention, la réforme de l’organisation des soins et la recherche. 

La santé mentale des Français mise à mal 

Santé Publique France, qui suit l’évolution de la santé mentale des Français depuis le premier confinement grâce à l’enquête CoviPrev, note ainsi que la prévalence des états dépressifs a plus que doublé entre fin septembre et fin novembre 2020. Les états anxieux se maintiennent à un niveau élevé, de même que les problèmes de sommeil, qui touchent plus de 65 % de la population. En décembre, 30 % des personnes interrogées présentaient un état anxieux ou dépressif. 

Cette hausse des troubles touche toute la population mais est particulièrement marquée pour les personnes qui avaient déjà des antécédents psychiatriques, celles déclarant une situation financière très difficile, les femmes, les 18-24 ans et les étudiants.

Face à cette situation qui va constituer l’un des grands défis des prochaines années, des mesures fortes doivent être envisagées pour déstigmatiser la psychiatrie, faciliter le repérage et l’accès aux soins et améliorer leur qualité. 

Cette hausse des troubles touche toute la population mais est particulièrement marquée pour les personnes qui avaient déjà des antécédents psychiatriques, celles déclarant une situation financière très difficile, les femmes, les 18-24 ans et les étudiants.

Déstigmatiser et mieux prévenir 

75 % des maladies psychiatriques débutent avant l’âge de 25 ans et la plupart des troubles sévères apparaissent à l’adolescence. Malheureusement, bien souvent les maladies ne sont pas détectées suffisamment tôt du fait de la stigmatisation qui entoure les troubles, de leur complexité, mais aussi de l’absence de dépistage systématique par les professionnels de première ligne qui sont peu formés à ces enjeux.

Dans l’ouvrage Psychiatrie : l’état d’urgence, les Professeurs Leboyer et Llorca de la Fondation FondaMental mettaient l’accent sur l’importance de campagnes d’information grand public ciblées pour faciliter la parole et améliorer le repérage précoce.

Ces campagnes doivent avoir trois cibles : 

  • Les 15-25 ans : le déploiement de campagnes de sensibilisation dans les collèges, les lycées et l’enseignement supérieur est essentiel, accompagné d’actions de destigmatisation pour parler de la psychiatrie autrement afin de faciliter la prise de parole et la compréhension des troubles.
     
  • Le monde professionnel pour faciliter d’une part le repérage précoce des personnes présentant un trouble et d’autre part une meilleure intégration de ces personnes dans le monde du travail. La médecine du travail pourrait jouer un rôle essentiel dans ces actions. 
     
  • Les médias, qui jouent un rôle majeur dans la perpétuation des préjugés aussi bien que dans la déconstruction de ces derniers. 

Du côté des professionnels de santé, c’est les actions de repérage et la coordination entre professionnels qui doit être priorisée. Aujourd’hui, entre 40 et 60 % des personnes en souffrance psychique ne reçoivent aucun soin. Le repérage des troubles est donc essentiel et la déstigmatisation doit s’accompagner de campagnes massives de dépistage des troubles les plus fréquents qui peuvent être réalisés en pédiatrie, en médecine générale, en médecine du travail et universitaire notamment.

Agir précisément est essentiel : en psychiatrie, comme dans la plupart des disciplines médicales, la précocité du diagnostic et de la prise en charge évitent l’aggravation des symptômes et les complications qui découlent d’un diagnostic tardif. Les cinq premières années de la maladie constituent une phase cruciale, durant laquelle les chances de rémission sont les plus grandes. Elles permettent aussi une meilleure réponse au traitement.

Proposer une prise en charge adaptée aux patients 

Les services de psychiatrie sont bien souvent saturés et n’arrivent pas à répondre à une demande de soins toujours croissante. Face à cette situation, de nombreux pays ont imaginé une organisation des soins graduée et plus intégrée, dans laquelle la santé mentale fait partie intégrante de la prise en charge de la santé. 

Dans ces pays, la médecine générale est au cœur du dispositif. En effet, les généralistes constituent la porte d’entrée naturelle pour les premiers troubles et 60 % des consultations pour souffrance psychique se font d’ores et déjà chez les médecins généralistes qui prescrivent 90 % des antidépresseurs et des anxiolytiques. Malheureusement, ils sont le plus souvent démunis face à la souffrance psychique de leurs patients, avec peu de temps à leur consacrer, une formation parfois insuffisante et des liens quasi-inexistants avec la psychiatrie. 

Les cinq premières années de la maladie constituent une phase cruciale, durant laquelle les chances de rémission sont les plus grandes.

Dans l’étude Santé mentale : faire face à la crise, nous formulons plusieurs propositions pour une meilleure gradation des soins, adaptée aux besoins des patients. L’approche graduée, mise en place de nombreux pays (dont la Nouvelle-Zélande ou les Pays-Bas) permet d’éviter la saturation des services, de proposer une offre large et de s’adapter aux besoins du patient. Ainsi, dans le cas de difficultés psychologiques plus légères, la personne peut gérer son trouble de façon autonome avec des ressources digitales, associatives, etc., puis c’est la médecine générale qui prend en charge les troubles légers à modérés grâce à une organisation innovante et intégrée, et enfin les soins spécialisés sont dédiés aux troubles les plus sévères. 

Plusieurs actions peuvent être entreprises pour permettre de réformer l’organisation et faciliter l’accès aux soins : tout d’abord, faciliter l’accès aux outils de e-santé pour rendre le patient acteur de son traitement et permettre le remboursement des psychologues de ville dans le cadre de parcours de soins intégrés. Ensuite, inciter les médecins généralistes à détecter les souffrances psychiques grâce à des questionnaires validés, et créer des métiers de coordinateurs de santé mentale aux côtés de médecins généralistes pour favoriser les prises en charge collaboratives. Enfin, pour permettre des parcours plus fluides et coordonnés, faciliter les échanges d’information et la coordination entre les professionnels de santé grâce au numérique.

Soutenir la recherche en psychiatrie

La recherche en psychiatrie constitue une source d’espoir majeure pour les patients et leurs proches. Les priorités sont nombreuses : identification de biomarqueurs diagnostiques et pronostiques, meilleure compréhension des causes et mécanismes des pathologies, développement de la e-santé, innovations thérapeutiques, études épidémiologiques et médico-économiques, etc.

La recherche en santé mentale est pourtant peu financée en France comparativement à son impact social et économique. Notre pays se trouve ainsi loin derrière les Pays-Bas, l’Allemagne ou les pays nordiques en matière de recherche et de publications sur la santé mentale. 

Plusieurs mesures peuvent être mises en place, en mettant l’accent notamment sur les partenariats entre recherche publique et privée et le développement des travaux médico-économiques et d’épidémiologie grâce à une meilleure exploitation des données de santé. 

 

 

Copyright : Loic VENANCE / AFP

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