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27/10/2017

Travailleurs détachés : la bataille du président

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Travailleurs détachés : la bataille du président
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Dans la nuit du lundi 23 octobre, les ministres du travail des différents États membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur une réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Depuis de longs mois, le dossier opposait les gouvernements européens entre eux. Ardemment soutenue par Emmanuel Macron, cette réforme vise à encadrer davantage le travail détaché au sein du marché intérieur et à limiter les situations de dumping social. Trois questions à Morgan Guérin, spécialiste des questions européennes à l’Institut Montaigne. 

Que prévoit la directive sur les travailleurs détachés ? Quels changements attendre de l’accord conclu ? 

La directive sur les travailleurs détachés a été adoptée en 1996. Depuis 2004 et l’élargissement de l’Union européenne (UE) aux pays d’Europe centrale et orientale, ce texte fait l’objet de débats aussi virulents que récurrents. La directive permet en effet à un employeur de “détacher” un de ses salariés afin qu’il effectue une mission dans un autre État membre de l’UE. Le travailleur continue à relever de la couverture sociale de son pays d’origine et ne bénéficie pas automatiquement de tous les droits du pays d’accueil, en particulier les primes lorsque celles-ci sont prévues par une convention collective. Pour un employeur, il est donc parfois moins coûteux d’avoir recours au travail détaché en provenance d’un autre État membre plutôt que d'embaucher une main d’oeuvre locale. 

Dans les faits, la France et l’Allemagne sont les principaux pays d’accueil de travailleurs détachés. En 2015, selon la direction générale du travail, on comptait près de 286 025 travailleurs détachés dans l’Hexagone et 420 000 de l’autre côté du Rhin. Du fait du faible taux de chômage en Allemagne, le travail détaché y est un sujet beaucoup moins sensible politiquement. En France, de nombreux responsables politiques, à commencer par le président de la République, y voient une forme de dumping social et le symbole d’une Europe ultra-libérale. 

La réforme obtenue par Emmanuel Macron prévoit de limiter à douze mois la durée de détachement, prolongeable un semestre à la demande de l’entreprise. Le principe selon lequel “à travail égal, rémunération égale” est reconnu : les conventions collectives des pays d’accueil s’appliqueront donc également aux travailleurs détachés. Cette réforme n’entrera toutefois en vigueur que dans quatre ans, à la demande des pays d’Europe de l’Est. 

Comment Emmanuel Macron est-il parvenu à obtenir un accord sur ce dossier épineux ? 

Le président de la République aurait sans doute préféré obtenir l’accord de ses partenaires européens dès les premières semaines de son mandat. Lors d’une visite des chantiers navals de Saint-Nazaire début juin 2017, il avait indiqué que la directive serait corrigée dans les prochaines semaines. La question n’a pourtant pas été tranchée lors du Conseil européen des 22 et 23 juin. 

En amont de cette rencontre, Emmanuel Macron avait donné un long entretien à plusieurs journaux européens dans lesquels il avait fortement critiqué certains pays d’Europe centrale et orientale - en premier lieu la Pologne et la Hongrie -, les accusant de tourner le dos à l’Europe et de ne pas respecter ses valeurs. Quelques phrases plus loin, le président déclarait “En raisonnant comme on le fait sur le travail détaché depuis des années, on prend l’Europe à l’envers.” Le rapprochement entre travailleurs détachés et non respect de l’État de droit a été particulièrement mal accueilli par Budapest et Varsovie. Certains y ont vu postérieurement une manoeuvre tactique ne visant qu’à défendre les intérêts français. 

Quelques semaines après ce Conseil, le président a entrepris une tournée en Europe centrale, se rendant en Autriche, rencontrant les chefs de gouvernement slovaque et tchèque, puis se rendant en Bulgarie et en Roumanie. L’omission - calculée ? - de la  Hongrie et de la Pologne lors de cette tournée a été analysé par la presse polonaise comme une tentative de diviser le puissant “groupe de Visegrad” (regroupant la Slovaquie, la République Tchèque, la Hongrie et la Pologne). Il est intéressant de constater que Budapest et Varsovie figurent parmi les rares gouvernements à avoir voté contre la réforme adoptée en début de semaine, Bratislava et Prague ayant, quant à  eux, voté pour.  

Ce premier succès en appelle-t-il d’autres ? 

Cet accord arrive à point nommé pour le chef de l’État. Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle en défendant un programme ouvertement européiste et en faisant de ses ambitions européennes l’une des priorités de son quinquennat. Pour ce faire, il  souhaitait relancer le couple franco-allemand en espérant que la grande coalition au pouvoir en Allemagne depuis 2013 serait reconduite. Les élections allemandes de septembre 2017 ont contrecarré ses plans. Déstabilisé par des résultats décevants, le Parti social-démocrate (SPD) défait ne souhaite plus prendre part au gouvernement, obligeant l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel à s’allier avec le Parti libéral-démocrate (FDP) et Les verts. Une telle coalition, encore inconnue au niveau fédéral, pourrait obliger la chancelière à faire évoluer sa politique européenne. 

Emmanuel Macron souhaite faire de la réforme de la zone euro le coeur de son projet de refondation de l’UE. Pour cela, il veut convaincre l’Allemagne d’instaurer un budget de la zone euro permettant - selon des modalités encore à définir - de réaliser des transferts budgétaires entre les différentes économies de la zone. Un tel projet est loin de faire l’unanimité en Allemagne et l’Elysée a bien conscience que la nouvelle coalition sera bien plus difficile à convaincre que la précédente. Les libéraux du FDP ont ainsi fait savoir dès le lendemain de l’élection qu’ils étaient opposés à toute réforme allant dans ce sens. Pour parvenir à ses fins, Emmanuel Macron est donc en grande partie dépendant de l’issue de la négociation entre Angela Merkel et ses partenaires, celle-ci pouvant encore durer plusieurs mois. 

Avec cet accord, le président de la République a fait la preuve de l’efficacité de sa méthode politique. Beaucoup de pays au sein de l’UE espèrent le retour d’une France influente, afin de rééquilibrer les rapports de force entre grands États membres. En remportant un succès en cette période, il montre que l’Europe n’est pas suspendue à l’issue des négociations gouvernementales en cours à Berlin.
 

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