Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
18/06/2020

Systèmes de santé de l'OCDE : quel bilan face au Covid-19 ?

Trois questions à Francesca Colombo

Imprimer
PARTAGER
Systèmes de santé de l'OCDE : quel bilan face au Covid-19 ?
 Francesca Colombo
Responsable de la Division de la santé à l'OCDE
 Laure Millet
Experte Associée - Santé

Francesca Colombo, responsable des politiques de santé à l’OCDE, est intervenue lors du webinar "Les systèmes de santé de l'OCDE face au Covid-19 : comment ont-ils géré l'urgence et comment préparent-ils l'après ?" organisé par l’Institut Montaigne, le 9 juin dernier. Elle a dressé un bilan de la gestion sur la crise Covid-19 dans les pays membres de l’OCDE et est revenue sur les missions qui incombent à cet organisme. Interrogée par Laure Millet, responsable du Programme santé, elle a notamment livré son analyse sur trois éléments clés de la sortie de crise : la réorganisation des soins, les politiques de tests et les chaînes d’approvisionnement.

Quelle articulation entre la médecine de ville et l’hôpital a été mise en place au sein des pays de l’OCDE dans la lutte contre le Covid-19 ?

Les pays ayant les systèmes de santé les plus résilients sont ceux qui ont utilisé davantage les soins de ville, comme l’ont fait certains pays nordiques, l’Australie ou encore la Slovénie. L’Australie et la Slovénie ont par exemple mis en place des centres de consultations ambulatoires spécifiquement dédiés au Covid-19 pour ne pas engorger les hôpitaux et proposer une prise en charge sécurisée des patients dans les autres cabinets de médecine de ville. Ces centres ambulatoires travaillent en étroite coordination avec les hôpitaux et les centres de soins de premiers recours. Mais le recours aux soins primaires pour lutter contre la pandémie dépend de son développement préalable dans le pays.

Il est également essentiel de veiller à maintenir les services pour les autres patients qui n’ont pas le Covid-19, mais qu’on ne doit pas pour autant laisser de côté au risque que leurs symptômes et maladies s’aggravent. Pour améliorer la résilience du système de santé, les soins primaires doivent être renforcés pour un meilleur suivi des patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques. Le confinement et la crainte d’être contaminés dans les salles d’attente ont conduit trop de patients à retarder ou renoncer aux soins, y compris lorsqu’ils sont atteints de pathologies nécessitant un suivi régulier telles que les maladies chroniques et le cancer. Le renforcement des soins primaires doit permettre une meilleure continuité des soins, en lien avec les autres professionnels de santé, pour prendre en charge les besoins de l’ensemble de la population.

La France a, par exemple, eu recours à la téléconsultation pour assurer le suivi des patients à distance sans aucun risque de contamination. Il faut éviter des retards de diagnostic, et des complications pouvant conduire à des hospitalisations évitables.

Avec une médecine de premier recours plus structurée, associée à des dispositifs numériques de suivi des patients à distance, les pays pourraient éviter un grand nombre d’hospitalisations.

Avant l’épidémie, les hospitalisations évitables étaient déjà trop nombreuses dans plusieurs pays de l’OCDE. En France, par exemple, le taux d’admissions potentiellement évitables liées au diabète était d’environ 15 % plus élevé que la moyenne de l’OCDE avant la crise du Covid-19, alors même que la prévalence du diabète était plus faible en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE. Avec une médecine de premier recours plus structurée, associée à des dispositifs numériques de suivi des patients à distance, les pays pourraient éviter un grand nombre d’hospitalisations.

Par ailleurs, pour que les systèmes de santé soient plus résilients face aux crises sanitaires, il faut non seulement qu’un minimum de lits en réanimation soient disponibles dans les hôpitaux, mais aussi avoir la capacité de mobiliser rapidement des ressources humaines et équipements supplémentaires pour répondre à la forte augmentation de la demande comme celle que nous avons vécu au pic de l’épidémie.

Avant la crise, la France avait bien plus de lits en soins intensifs que l’Italie et l’Espagne (mais moins que l’Allemagne et l’Autriche) et nous avons réussi à mobiliser et réallouer en urgence un grand nombre de lits additionnels. Mais avoir suffisamment de lits, de ventilateurs et du matériel de réanimation sans disposer d’une main d’œuvre suffisante et qualifiée n’est pas si utile. Cela a été le cas en Italie et au Royaume-Uni, où certains hôpitaux disposaient de lits mais manquaient cruellement de personnel. Il existe donc un véritable enjeu autour de la disponibilité et la flexibilité de la main d’œuvre et de ses compétences, et sur la nécessité de constituer une "réserve" suffisante pour ne pas souffrir de pénurie en cas d'augmentation soudaine de la demande. Aussi, pour augmenter rapidement la capacité d’accueil de l’hôpital en cas d’épidémie, il y a eu des accords dans l’urgence entre régions voire entre États, pour répartir au mieux les patients selon les capacités d’accueil. Ces mécanismes d'ajustement doivent être bien planifiés en amont à l’avenir.

Comment peut-on expliquer de telles différences dans les stratégies de tests entre les pays de l’OCDE ?

La crise du Covid-19 va engendrer des conséquences économiques importantes dans tous les pays qui ont dû prendre des mesures de confinement très strictes. Mis à part certains pays comme la Corée du Sud, la plupart des pays de l’OCDE ont été lents à mettre en place des mesures de réduction de la transmission du virus et pour minimiser le risque d’un confinement strict et prolongé, telles que les systèmes de détection, de traçage et de surveillance efficaces. Ces systèmes permettent de déceler au plus tôt un début d’épidémie ou un foyer de contamination, isoler les personnes infectées et ainsi en minimiser l’impact.

Pendant les premières semaines de l’épidémie, la capacité de dépistage, de traçage et de surveillance était clairement inégale entre les pays, mettant à mal la possibilité de rompre les chaînes de transmission et de contenir l’épidémie.

La politique de dépistage est fondamentale pour lutter contre une épidémie aussi grave que celle-ci. Face à un virus qui se propage très rapidement avec un nombre de cas asymptomatiques élevé, il faut tester le plus rapidement possible toutes les personnes susceptibles d’être infectées par le virus de façon systématique, ainsi que les personnes "contacts". Presque tous les pays de l’OCDE reconnaissent aujourd’hui qu’ils ont été lents en la matière pendant les premières semaines de l’épidémie.

La capacité des systèmes de santé à contenir cette vague est donc directement liée à l'existence de mesures de réduction de la transmission par la poursuite des mesures d’hygiène et les gestes barrières, le dépistage et l’isolement.

Actuellement, on peut considérer que la première vague est passée en Europe, et grâce aux mesures mises en place par les pays, le taux effectif de reproduction du virus est inférieur à un, ce qui signifie que le nombre de nouveaux cas diminue progressivement. Mais le virus est toujours présent et nous ne pouvons pas exclure la possibilité de nouvelles vagues. Nous devrons vivre avec le virus tant qu’aucun vaccin efficace n’aura été découvert, mis sur le marché et accessible pour tous. La capacité des systèmes de santé à contenir cette vague est donc directement liée à l'existence de mesures de réduction de la transmission par la poursuite des mesures d’hygiène et les gestes barrières, le dépistage et l’isolement. Le coût pour l’économie de ne pas mettre en place ces mesures et de devoir à nouveau confiner est énorme et bien supérieur à celui du dépistage massif de tous les cas suspects et leurs contacts.

Quelles solutions apportées pour une relocalisation des activités stratégiques au niveau européen et français pour favoriser l’innovation ?

Cette crise a déclenché une réflexion autour des chaînes d’approvisionnement et leur concentration. La production de biens liés au Covid-19, tels que le matériel de protection individuelle par exemple, est concentrée dans certains pays. Plus de 86 % des exportations mondiales des biens liés au Covid-19 proviennent de 20 pays seulement. Les cinq principaux exportateurs mondiaux, qui représentent ensemble 49 % des échanges, sont l'Allemagne, les États-Unis, la Suisse, la Chine et l'Irlande.

Cette concentration rend les chaînes d'approvisionnement vulnérables aux chocs. La question de la diversification des chaînes d’approvisionnement pour les marchandises et médicaments est donc fondamentale. La relocalisation de la production n’est pas la seule solution, elle serait trop coûteuse à chaque pays. Une solution alternative, à long terme, serait de diversifier les sources d’approvisionnement, de définir en amont des accords avec les entreprises pour une transformation rapide des chaînes de production en cas de crise (avec éventuellement des incitations et une coordination gouvernementale), ainsi que de constituer des stocks de réserves stratégiques, notamment pour des équipements de protection individuelle.

Au niveau national, les pays de l’OCDE doivent prendre conscience du caractère stratégique du secteur de la santé, ainsi que ses entreprises. À l’échelle internationale, il faut réfléchir à de nouvelles modalités de dialogue entre les pays pour mieux collaborer et partager les ressources selon les besoins des pays. Cette coopération doit aussi s’articuler autour des besoins régionaux et locaux pour anticiper au mieux et réagir au plus vite en cas d'augmentation soudaine de la demande.

 

 

Copyright : Jonathan NACKSTRAND / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne