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30/10/2017

Sociale et solidaire, collaborative ou circulaire : l’économie dans tous ses états

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Sociale et solidaire, collaborative ou circulaire : l’économie dans tous ses états
 Marc-Antoine Authier
Auteur
Chargé d'études - Energie, Développement durable

Une consultation vient d’être lancée par le gouvernement afin d’établir une feuille de route nationale pour l’économie circulaire. Dans le même temps, l’économie sociale et solidaire (ESS) est à l’honneur. En novembre, pour la dixième année consécutive, l’ESS est célébrée un mois durant partout en France. Une initiative publique propose de faire “découvrir une économie qui a du sens”. Mais au fait, quel est le sens de ces expressions qui visent à présenter l’économie sous un jour nouveau ? Économie(s) sociale, solidaire, collaborative ou encore circulaire : on essaie d’y voir plus clair.

L’économie sociale et solidaire

L'ESS s’est progressivement imposée dans les discours des responsables politiques au point de devenir incontournable. Il semble désormais difficile de parler d’évolution du monde économique sans évoquer cette forme particulière d’activité. En tout état de cause, il ne s’agit pas d’un épiphénomène : avec quelque 2,38 millions de salariés en France, soit près de 13 % des emplois privés, l’ESS constitue un pan significatif de l’économie.

Mais il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un "secteur" de l’économie, comme l’industrie, l’agriculture ou encore la restauration. Et pour cause : les organisations qui composent l’ESS n’opèrent pas dans un seul champ d’activité. Une distinction existe ainsi dans l’ESS entre l’économie sociale, qui se caractérise par des formes juridiques particulières, d’une part, et l’économie solidaire, dont l’objet vise à résoudre un problème social ou environnemental affectant les populations plus vulnérables, d’autre part.

L’économie sociale recouvre toutes les organisations acapitalistiques, c’est-à-dire qui ne consistent pas en des sociétés de capitaux mais de personnes. On intègre dans cette catégorie les associations, les coopératives, les mutuelles et les fondations. Parmi ces différentes formes juridiques, les coopératives et les mutuelles sont des entreprises à proprement parler ; cependant, leur objet social ne se fonde pas sur la lucrativité, c’est-à-dire la recherche du profit, mais sur l’utilité économique respectivement des coopérateurs ou des sociétaires. 

Dans tous les cas, ces organisations présentent une gouvernance démocratique fondée sur le principe "une personne, une voix". Dans les sociétés capitalistiques, les droits de vote attribués aux personnes physiques ou morales dépendent de la part des capitaux qu’ils y détiennent. Cette différence fondamentale se traduit par des cultures d’entreprises différentes et une autre vision de la création de valeur économique et sociale. L’Institut Montaigne a ainsi étudié la spécificité de ce type d’organisation dans le rapport Concilier économie et démocratie : l’exemple mutualiste, rendu public en décembre 2014.

L’économie solidaire se caractérise par l’objectif qu’elle poursuit. Les organisations qui la composent visent effectivement à résoudre un problème social pour lequel les pouvoirs publics n’ont pas apporté de réponse satisfaisante. L’initiative privée se substitue dans ce cas à l’action publique afin de fournir aux populations les plus vulnérables des services ou des produits dont elles ne disposent pas. L’économie solidaire s’attaque ainsi à des problèmes sociaux ou environnementaux pour lesquels les perspectives de rentabilité pour les entreprises privées lucratives et l’intérêt politique pour les pouvoirs publics demeurent limités. 
 
En France, on tend souvent à confondre dans un même acronyme ces deux réalités qui se recoupent très largement. En particulier, la loi éponyme, adoptée fin juillet 2014, se donnait pour objectif d’ “encourage[r] un changement d'échelle de l'économie sociale et solidaire, fonde[r] une stratégie de croissance plus robuste, donne[r] aux salariés le pouvoir d’agir et [soutenir] le développement durable local.” Cette loi a élargi la notion d’ESS à toute structure répondant à trois critères :

  • elle poursuit un but autre que le partage des bénéfices,
  • la gouvernance est démocratique
  • les bénéfices de l’entreprise sont prioritairement utilisés pour le maintien ou le développement de l’activité.

Cette acception large de l’ESS fait écho à la notion de social business, popularisée notamment par Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh et Prix Nobel de la Paix en 2006. Mais elle peut aussi porter à confusion en ceci qu’elle regroupe sous une même dénomination des réalités économiques très différentes, depuis l’association sportive soutenue par la municipalité jusqu’aux grandes coopératives agricoles en passant par les banques mutualistes ou les start-ups à vocation sociale. En tout cas, les organisations de l’ESS font de la rentabilité financière une condition d’existence plutôt qu’une finalité absolue.

L’économie collaborative

Comme son nom l’indique, cette forme d’économie se caractérise par des modèles d’affaires fondés sur la collaboration des agents. Elle n’est pas nouvelle en soi - car la collaboration constitue un pilier de l’économie - mais la révolution numérique a démultiplié les possibilités de mise en contact entre individus. En particulier, l’émergence de plateformes opérant une intermédiation entre un particulier exprimant un besoin et un particulier proposant la prestation d’un service ou mettant à disposition un bien qu’il possède.

L’économie collaborative recouvre des réalités économiques diverses, depuis des organisations issues de l’ESS jusqu’à des entreprises capitalistiques déployant des solutions numériques qui restructurent des marchés établis et en créent de nouveaux. Ainsi, elle perturbe de plus en plus souvent le jeu des acteurs déjà en place. Dans le rapport sur l'économie collaborative qu’il a remis au Premier ministre le 8 février 2015, Pascal Terrasse, alors député (PS) de l’Ardèche, distingue trois types d’acteurs suivant la distribution de la richesse produite

  • l’économie du partage, qui organise des échanges de particulier à particulier adossés à un actif ou à un service préexistant ;
  • les services à la demande, dans lesquels la plateforme propose un nouveau service, qu’elle définit, et dans lesquels elle apparie elle-même utilisateur professionnel et consommateur ;
  • les places de marché, qui peuvent mettre en relation des particuliers comme des professionnels.

Le développement de cette économie diverse perturbe des équilibres en place en faisant coexister sur un même marché des acteurs qui ne répondent pas toujours des mêmes cadres réglementaires et fiscaux. Dans le rapport Tourisme : cliquez ici pour rafraîchir, rendu public en mars 2017, l’Institut Montaigne a ainsi formulé des pistes de propositions qui permettent d’augmenter la valeur économique et sociale créée tout en favorisant l’émergence des acteurs de l’économie collaborative, et notamment de l’économie du partage. C’est notamment sur l’application effective des cadres qui ont été élaborés ces dernières années que l’application des pouvoirs publics devrait se concentrer.

L’économie circulaire

L’économie circulaire renvoie à une nouvelle approche des modèles économiques qui s’oppose à une acception linéaire de l’économie. Le concept, que l’on peut schématiser par la chaîne extraction de ressources - transformation en produits finis - consommation de masse - production de déchets, est hérité de la révolution industrielle mais il continue de structurer notre économie. Il pose aujourd’hui deux problèmes majeurs qui apparaissent aux deux bouts de cette chaîne : d’un côté, la raréfaction de certaines ressources naturelles nous incite à comprendre comment se consomment et se renouvellent les stocks desdites ressources ; de l’autre, de nombreux signaux nous imposent de limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. 

L’économie circulaire propose de repenser les modèles économiques existants afin qu’ils intègrent au mieux les externalités négatives. Concrètement, cela signifie que les entreprises doivent intégrer dans leur modèle d’affaires leurs émissions de gaz à effet de serre (par exemple en donnant un prix au carbone) ou qu’elles doivent évaluer les rejets de polluants dans la nature (par exemple en effectuant une analyse complète du cycle de vie de ses produits). 

Mais l’économie circulaire demeure un modèle théorique qui permet d’abord de penser autrement l’économie. Aussi préférons-nous parler d’une transition vers l’économie circulaire que d’une révolution économique à proprement parler. Dans le rapport rendu public à l’occasion de la COP22, Économie circulaire : réconcilier croissance et environnement, l’Institut Montaigne la désigne ainsi comme l’ensemble des transformations qui permettent de poursuivre la création de valeur pour les différents acteurs économiques (dont les consommateurs finaux), en préservant le capital naturel et en utilisant de moins en moins de ressources existant en quantité limitée.

Il existe différentes acceptions de l’économie circulaire. Le concept puise ses racines dans les théories de la décroissance qui opposaient une croissance infinie et un monde aux ressources finies. Mais d’autres évolutions, issues de ce concept, ont réconcilié l’économie circulaire avec la croissance et contribuent à accélérer cette transition. Ainsi de l’économie de la frugalité, qui propose des modèles de croissance fondés sur la limitation des ressources utilisées, ou encore l’économie de la fonctionnalité, qui accélère la transition d’une consommation basée sur la propriété (je possède ce que j’achète) à une consommation basée sur l’usage (j’utilise ce que j’achète) afin d’optimiser la création de valeur économique par unité de matière transformée. Enfin, l’éco-conception promeut des modes de production qui permettent de produire des biens qui pourront être entièrement recyclés ou réutilisés afin de limiter leur impact sur l’environnement. Elle concerne tous les secteurs de l’économie, même les industries de services.

Pour l’Institut Montaigne, l’économie circulaire constitue une formidable opportunité de poursuivre la croissance tout en développant des solutions ambitieuses pour répondre aux défis du changement climatique. Nous avons à cette fin formulé huit propositions d’action concrètes pour accélérer cette transition majeure qui doit embarquer tous les acteurs, qu’ils soient privés ou publics.
 

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