Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
12/01/2022

Santé mentale : mobiliser tous les acteurs de terrain

Imprimer
PARTAGER
Santé mentale : mobiliser tous les acteurs de terrain
 Frank Bellivier
Auteur
Délégué ministériel à la Santé Mentale et à la Psychiatrie au Ministère des Solidarités et de la Santé

À la faveur de la crise sanitaire, la santé mentale des Français s’est imposée comme un sujet de préoccupation inédit, pour les citoyens comme les pouvoirs publics. L’explosion des troubles anxieux et dépressifs, la hausse des idées suicidaires et l’essor des passages à l’acte, sans précédent chez les enfants, ont été observés à la loupe, mesurés et commentés.
 
Cette "autre vague" sanitaire a ainsi mis en lumière les failles de notre système de soins en santé mentale. Elle semble également avoir accéléré les prises de décision politiques et consolidé la politique engagée, dès 2018, avec l’adoption de la Feuille de route santé mentale et psychiatrie.
 
Après des années de sous-investissement chronique, la France est-elle enfin en passe de relever les défis de la prévention, du soin, de la recherche et de l’inclusion ? Le Pr Frank Bellivier, Délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, répond à nos questions et livre son analyse des changements à l’œuvre.

Quel diagnostic faites-vous de l’état de notre système de soins en santé mentale et quel impact a eu la pandémie ?

Nous vivons une situation à la fois exceptionnelle et paradoxale. Exceptionnelle car l’intensité des actions engagées ces dernières années et la mobilisation de l’ensemble des acteurs ont permis de fixer un cap et de placer la santé mentale au rang de priorité sociétale. Dans le même temps, les difficultés n’ont jamais été aussi nombreuses et les perspectives aussi incertaines : le manque d’attractivité comme la désertion des soignants des services hospitaliers de psychiatrie en sont un signe marquant et préoccupant. Le retard chronique pris en matière d’investissement pèse lourdement, notamment sur la recherche.

Notre système de soins en santé mentale souffre donc de certains handicaps mais un changement majeur est à l’œuvre : les acteurs de tous les champs se saisissent de cet enjeu. C’est une opportunité inédite.

La crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur dans la prise de conscience collective : la santé mentale est devenue l’affaire de tous.

La crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur dans la prise de conscience collective : la santé mentale est devenue l’affaire de tous. Elle a également permis de partager, au plus haut niveau, les constats sur les fragilités préexistantes de notre système de santé (virage ambulatoire inachevé, offre libérale peu accessible, hospitalocentrisme, savoirs expérientiels peu reconnus, usagers encore insuffisamment associés, persistance d’atteintes aux Droits des patients...). D’autres ministères ont commencé à s’emparer du sujet et se sont associés aux premières Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.

Ce travail de diagnostic national est allé de pair avec une coopération engagée sur la scène internationale. Le Sommet d’Athènes organisé en juillet 2021 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a permis un travail commun autour des standards de prise en charge et s’est conclu par une déclaration appelant à investir davantage dans les services de santé mentale. De même, le G20 qui s’est tenu à Rome en septembre 2021 inscrivait, pour la première fois, la santé mentale à l’agenda des discussions. En octobre 2021, la France a accueilli le Sommet mondial de la santé mentale sur les Droits et la Présidence française du Conseil de l’Union européenne s’accompagnera d’un événement dédié à la santé mentale des jeunes les 14 et 15 mars prochain.

Quelles sont les grandes avancées obtenues ces dernières années qui posent les fondements d’une nouvelle politique en faveur de la santé mentale et de la psychiatrie ?

Dès 2018, la feuille de route Santé mentale et Psychiatrie a donné le cap en reconnaissant la santé mentale comme une priorité d’action et en signant la fin du sous-investissement chronique que la discipline avait connu.
 
Cette feuille de route porte une vision politique forte de la santé mentale en défendant une approche holistique de la prise en charge et de l’accompagnement qui s’appuie sur trois piliers : la prévention, le soin et l’inclusion sociale. Elle est également profondément transformatrice en ce qu’elle promeut une approche par les droits des patients : l’amélioration des Droits est à la fois un objectif à atteindre et une opportunité pour transformer les pratiques médicales.
 
Enfin, la constitution en mai 2019 d’une équipe dédiée pour son pilotage témoigne d’une volonté politique claire. Nous assurons une mission d’animation et d’appui auprès de trois des grandes directions du ministère de la Santé et des agences régionales de la santé (ARS), qui a incontestablement facilité la mise en œuvre opérationnelle de la Feuille de route. Les chantiers ouverts ont été nombreux et les investissements consentis importants.

Une première séquence de mise en œuvre de la Feuille de route nous a permis de faire avancer plusieurs dossiers importants au premier rang desquels le déploiement de la politique de prévention du suicide avec la création du 3114, le numéro national de prévention du suicide.

Par ailleurs, l’augmentation de l’objectif de dépenses de l’Assurance maladie (Ondam) pour les activités en psychiatrie a constitué un premier effort pour renforcer l’offre de soins et lutter contre les inégalités territoriales. Des dispositifs concourant à une meilleure inclusion sociale des patients ont également été soutenus, et le Fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie a témoigné de la grande vitalité des initiatives de terrain et de leurs acteurs dans tous les domaines. Toutes ces mesures ont représenté un investissement de 1,4 milliards d'euros supplémentaires ventilés au travers de ces différentes actions entre les années 2018 et 2021.

Près de 2 milliards d'euros ont ainsi été programmés entre 2022 et 2025 pour la mise en place des différentes actions dans les champs de la prévention, du soin, de l’inclusion et de la recherche.

Les mesures prises dans le cadre du Ségur de la Santé en juillet 2020, mais surtout les mesures annoncées par le président de la République dans le cadre des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre dernier, ont permis d’accélérer la dynamique engagée. Près de 2 milliards d'euros ont ainsi été programmés entre 2022 et 2025 pour la mise en place des différentes actions dans les champs de la prévention, du soin, de l’inclusion et de la recherche.
 
Un autre indicateur de réussite tient enfin à l’impulsion d’une dimension interministérielle à l’occasion des Assises. L’adoption d’un plan de prévention du suicide par le ministère de l’Agriculture et de l'Alimentation ou encore au sein de la Police et l’intérêt porté par l’Éducation nationale au dispositif des Premiers secours en santé mentale ou sur le développement des compétences psycho-sociales sont autant de signes encourageants qui témoignent du chemin parcouru.

Nous n’avons plus besoin de convaincre de l’importance du sujet de la santé mentale et le principe de l’articulation entre les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux fait aujourd’hui consensus, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques mois.

Quels sont les grands défis qui restent à relever ?

Un cap a été donné mais il nous reste à consolider les actions entreprises. Nous attendons beaucoup de trois grandes réformes structurelles dont le déploiement reste devant nous. Les réformes des modes de financement et des autorisations, dont la mise en œuvre est attendue dès 2022, sont deux réformes assez techniques mais qui devraient permettre de soutenir l’innovation au sein des hôpitaux et d’accompagner des dynamiques de coopération entre les acteurs du secteur public, du secteur privé et du secteur privé non lucratif, ainsi qu’entre les différents secteurs sanitaire, médico-social, social, le logement, la formation, la justice…. De même, la poursuite de la réforme des organisations territoriales, à travers les Projets territoriaux de santé mentale (PTSM), est un axe essentiel de transformation des pratiques.
 
L’effort doit être maintenu sur de nombreux chantiers parmi lesquels la déstigmatisation des troubles psychiatriques, la mobilisation des usagers et de leurs familles, le décloisonnement des pratiques ou encore le soutien à la recherche, sans oublier l’attractivité des carrières qui est une préoccupation majeure.
 
Mais il serait illusoire de penser que l’action du pouvoir central constitue l’unique réponse aux défis auxquels nous faisons face. L’impulsion donnée par l’État est absolument essentielle mais elle n’est pas  suffisante. La mobilisation collective, au plus près des territoires et en lien avec les collectivités territoriales, est tout aussi décisive dans la bonne appropriation et diffusion des réformes. La coopération, le décloisonnement et la mise en œuvre de pratiques centrées sur les personnes concernées se pensent, s’inventent et se construisent à l’échelon local avec les acteurs associatifs et des secteurs sanitaire, social et médico-social. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une approche territorialisée.
 
L’avenir de la santé mentale et de la psychiatrie est en train de s’écrire et nécessite la contribution de tous.

 

Copyright : Loic Venance / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne