Comme nous le remarquions pour la Russie, les conséquences du choc stagflationniste dépendent fortement de sa durée. Dans le cas économiquement bénin - sauf pour l’Ukraine dont les infrastructures font l’objet d’une destruction massive - d’un règlement rapide, le retour à la normale envisagé avant l’invasion serait seulement retardé. Les banques centrales auraient à gérer une montée plus forte de l’inflation, mais leur problématique serait la même : comment faire baisser l’inflation sans casser la reprise. Dans le cas d’un enlisement et d’une extension dans le temps des sanctions, l’économie mondiale aurait plus de mal à retrouver le chemin d’une croissance équilibrée, en raison d’ajustements coûteux et longs des appareils productifs.
Ce schéma vaut pour tous les pays, mais à des degrés différents. En Europe, par exemple, la France et le Royaume-Uni importent moins de ressources de Russie et y exportent moins de biens et services que l’Allemagne et l’Italie, qui seront donc plus durement touchées.
Le ministre des finances a parlé d’un choc d’une ampleur similaire à celle de 1973, êtes-vous d’accord ?
Le choc pétrolier de 1973-1974 était bien un choc d’offre négatif pour l’économie mondiale. En effet, le transfert de revenu des importateurs de pétrole vers l’Opep ne fut pas un jeu à somme nulle, du fait de la faible propension des nouveaux rois du pétrole à consommer leurs nouveaux et immenses revenus. Il était de nature stagflationniste et ce sont d’ailleurs ses conséquences, inflation endémique et faible croissance, qui ont forgé le terme barbare "stagflation", même si d’autres facteurs de ralentissement de la productivité étaient à l’œuvre avant le choc pétrolier. La comparaison du ministre peut donc se comprendre.
Je vois cependant trois différences importantes avec 1973-1974.
- L’ampleur initiale du choc que nous vivons est moindre. En 1973-1974, le prix du pétrole brut avait bondi de 370 %. En supposant que le prix du pétrole se stabilise autour de 110 $/bl (au 17 mars, le baril de Brent s’échangeait à 106 $), l’augmentation sur 2021 et 2022 serait de 180 %, un bond très sérieux, mais n’atteignant que 60 % de celui de 73-74.
- Les économies développées sont beaucoup moins dépendantes du pétrole, et moins énergivores en général qu’elles ne l’étaient en 1973. Le cas de la France est particulièrement intéressant : en 2019, la consommation de pétrole par unité de PIB était 71 % plus basse qu’en 1973, ce qui vaut d’ailleurs pour l’ensemble des énergies fossiles. Toutes choses égales d’ailleurs, l’économie française est aujourd’hui 3,5 fois moins sensible aux variations du prix des énergies fossiles. Même si le prix de l’électricité a également beaucoup augmenté, ce qui n’avait pas été le cas à l’époque où les prix étaient administrés, l’ampleur du choc serait trois fois moindre qu’en en 1973-74, dans une estimation conservatrice.
- En 1973, l’économie mondiale était bien moins interdépendante qu’aujourd’hui. Si les chocs pétroliers des années 70 ont entraîné une sorte de mondialisation en ouvrant au commerce mondial de nouveaux marchés solvables (les pays de l’Opep), la Chine, l’URSS et l’Inde restaient en dehors. Le commerce mondial d’aujourd’hui est dominé par la Chine, aussi bien pour les exportations (12,2 % des exportations mondiales) que les importations (11,2 %). A supposer que la Chine soit moins touchée que les pays de l’Ocde, l’économie mondiale bénéficierait d’une sorte d’amortisseur qui n’existait pas en 1973.
Pour ces raisons, la comparaison avec 1973 a ses limites. En ce qui concerne l’économie française, l’Insee apporte une perspective équilibrée dans sa toute récente Note de Conjoncture. A ce propos, signalons le remarquable travail des experts de l’Insee, qui ont réussi à extraire un maximum d'informations d’enquêtes de conjoncture en cours de traitement pour éclairer les perspectives. Soulignant à juste titre les grandes incertitudes créées par la guerre, avant tout celle de la durée des sanctions, ils apportent néanmoins deux informations importantes.
Les chefs d’entreprise interrogés après le 25 février ont immédiatement révisé à la baisse leurs perspectives d’activité, très fortement dans le commerce de détail, et significativement dans l’industrie. Notons d’ailleurs que l’enquête méthodologiquement comparable de la Fed de New York avait déjà montré des réactions similaires. En revanche et à ce stade, les services et le bâtiment seraient bien moins touchés. La forte hausse des prix et son impact anticipé sur la consommation expliquent le pessimisme des commerçants tandis que du côté des industriels, c’est plus probablement le risque de pénurie d’intrants essentiels qui l’explique.
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