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06/03/2019

Projet de loi santé : le numérique au cœur de la réorganisation et de la transformation du système de soins

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Projet de loi santé : le numérique au cœur de la réorganisation et de la transformation du système de soins
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

Le 18 septembre 2018, le président de la République Emmanuel Macron a présenté les axes forts de la stratégie de réforme de la santé sous le slogan "prendre soin de chacun". Le même jour, la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, accompagnée de la Ministre de l’Enseignement supérieur, Frédéric Vidal, avait pris la parole pour présenter une feuille de route opérationnelle appelée "Ma Santé 2022", déclinée en neuf chantiers. Cet important dispositif marquait la volonté d’inscrire la réforme de notre système de santé parmi les priorités du quinquennat et d’adresser tant les enjeux de formation des professionnels de santé, que l’amélioration de la qualité de soins ou encore le renforcement de l’offre de soins de proximité.

Qu’en est-il du projet de loi qui en découle, présenté par Agnès Buzyn en conseil des ministres le 13 février dernier ? Comme annoncé dans le plan Ma Santé 2022, cette réforme structurelle du système de santé a vocation à entamer une dynamique de décloisonnement entre ville, hôpital et structures médico-sociales afin de promouvoir la coordination et la coopération entre les professionnels de santé. Elle vise également à améliorer la sécurité et la pertinence des soins, mais aussi à réformer en profondeur la sélection puis la formation initiale et continue des professionnels de santé. Enfin et surtout, le numérique en santé et l’accès aux données sont au cœur de toutes les dynamiques visant à faire évoluer les pratiques médicales et le système dans son ensemble.

Libéraliser l’accès aux données de santé

D’après le projet de loi, la transformation du système de santé grâce au numérique doit se faire par et pour les patients, avec l’aide des professionnels de santé. L’article 11 du projet de loi confirme la création d’une plateforme des données de santé ou Health Data Hub, dont la mission de préfiguration a été lancée par le ministère des Solidarités et de la Santé en octobre dernier. Cette plateforme se substituera à l’Institut National des Données de Santé (INDS) et aura pour mission dans un premier temps de réunir, d’organiser puis de mettre à disposition les données du Système National des Données de Santé (SNDS). Elle devra ensuite favoriser l’utilisation des données de santé pour la recherche clinique et le développement de l’intelligence artificielle, notamment dans le champ de l’apprentissage profond ou deep learning avec les logiciels capables de repérer des cellules cancéreuses, ou celui de l’aide à la décision avec les logiciels d’aide à la prescription médicamenteuse par exemple.

Ce Health Data Hub devra favoriser l’utilisation des données de santé pour la recherche clinique et le développement de l’intelligence artificielle.

La constitution de ce hub de données vise aussi à rendre possible l'entraînement d'algorithmes qui permettront à la fois d’aider les médecins dans leur exercice (diagnostic, assistance administrative, etc.) mais aussi d’accompagner les patients en améliorant la prévention et le dépistage de certaines maladies, tout en renforçant leur autonomie par un suivi médical personnalisé et à distance.

Dans l’étude de l’Institut Montaigne publiée en janvier dernier IA et emploi en santé : quoi de neuf docteur ?, nous alertions les pouvoirs publics sur la nécessité de permettre le développement de solutions d’IA en santé performantes tout en élaborant une stratégie ambitieuse de formation des professionnels de santé à ces innovations. La loi prévoit une réforme en profondeur des études de santé qui devra intégrer de nouvelles matières, tournées vers la médecine algorithmique notamment. Ces disciplines doivent être enseignées aux soignants de demain pour qu’ils s’approprient ces nouveaux outils.

Créer un espace numérique en ligne pour tous les patients 

En parallèle de la constitution d’une plateforme des données de santé, l’article 12 du projet de loi prévoit la création d’un espace numérique de santé. Cet article s’inscrit dans la continuité du chantier Accélérer le virage du numérique du Plan Ma santé 2022. Dans cet espace, les patients pourront avoir accès à leur Dossier Médical Partagé ou DMP - carnet de santé numérique initialement créé en 2004, qui conserve et sécurise les informations de santé comme les traitements, les résultats d’examens, etc - mais également à des sites d’information et de prévention, comme celui de la Haute Autorité de Santé ou de Santé Publique France, ainsi qu’à des applications de santé. L’objectif est que tous les patients puissent s’informer plus facilement, et deviennent de réels acteurs de leur santé.

Cette ambition de créer un espace numérique s’inscrit en parallèle d’un projet européen de création d’un système numérique de santé sécurisé et transfrontalier, facilitant l’accès des citoyens européens à leurs données de santé où qu’ils se trouvent en Europe, et améliorant l’efficacité des médecins locaux via la connaissance immédiate du dossier en cas d’urgence. Cela permettrait également un meilleur partage des données pour la recherche clinique, si le patient donne son accord (en respect du Règlement Général sur la Protection des Données).

L’objectif est que tous les patients puissent s’informer plus facilement, et deviennent de réels acteurs de leur santé.

À ce jour, environ trois millions de patients ont créé leur DMP. Dans une note intitulée Réussir le DMP et publiée en 2010 (!), l’Institut Montaigne préconisait d’assurer le lancement du DMP à travers une campagne nationale de sensibilisation pour permettre aux utilisateurs de se préparer à l’arrivée de ce nouvel outil de gestion, pour en garantir les usages et prévenir des risques associés aux dossiers médicaux électroniques. Cette campagne enfin lancée, il faut désormais espérer que cet outil se généralise rapidement à l’ensemble de la population française.

Développer de nouvelles pratiques médicales

L’article 13 de la loi distingue et définit quant à lui le télésoin, pratique de soins à distance entre un patient et son pharmacien ou un auxiliaire médical, et la télémédecine, consultation médicale entre un patient et un professionnel de santé. Cette dernière notion recouvre quatre types d’actes : la téléconsultation (consultation à distance d’un médecin), la téléexpertise (sollicitation à distance de l’avis d’un autre médecin), la télésurveillance (surveillance médicale et interprétation des données du suivi médical du patient à distance), et la téléassistance (assistance à distance d’un médecin à un autre professionnel de santé pendant la réalisation d’un acte, par exemple en chirurgie).

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 (PLFSS) la téléconsultation et la téléexpertise sont entrées dans le droit commun, c’est-à-dire que le financement de ces actes va relever de l’Assurance maladie.

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 (PLFSS) la téléconsultation et la téléexpertise sont entrées dans le droit commun, c’est-à-dire que le financement de ces actes – aujourd’hui assuré au travers d’expérimentations – va relever de l’Assurance maladie. Cette disposition marque la volonté des pouvoirs publics de favoriser le déploiement de ces nouvelles pratiques de consultations à distance, notamment afin de faire évoluer la médecine pour répondre à des défis tels que la dépendance, la désertification médicale ou encore le suivi approfondi des maladies chroniques, le tout en permettant de faire le pont entre la prise en charge à l’hôpital et à domicile. Il s’agit en effet d’un moyen de mieux coordonner les interventions médicales, d’éviter les actes redondants et de permettre une meilleure évaluation de la prise en soins par le patient lui-même.

En parallèle, le cadre de la prescription dématérialisée est revu (article 14) afin de favoriser le développement des e-prescriptions. Ces prescriptions dématérialisées sont déposées directement sur une plateforme sécurisée et concernent la prescription de médicaments mais aussi de dispositifs médicaux, d'examens biologiques ou encore d’actes de soins. Ici se retrouve la volonté gouvernementale de favoriser le suivi à distance puisque la e-prescription est bien le corollaire de la e-consultation, rendue possible grâce à la télémédecine. En effet, de nombreuses plateformes de télémédecine proposent aux médecins de joindre à la fin de la consultation une prescription médicale dématérialisée, qui pourra être transmise directement au patient ou à son pharmacien.

En conclusion, il convient de rappeler que le numérique en santé est une véritable opportunité pour transformer notre système de soins, le rendre plus efficace et mieux répondre aux attentes des patients et des soignants. Dans un rapport de l’Institut Montaigne publié en mars 2018 Innovation en santé : soignons nos talents, nous rappelions que la révolution numérique annonce le développement à grande échelle d’une médecine préventive, personnalisée, participative et prédictive. Cependant, face à cette révolution, la France - longtemps considérée comme l’un des pays les plus innovants en matière médicale - peine à se distinguer dans la course internationale. Notre pays cumule plusieurs freins que la loi santé entend lever pas à pas. Une opération délicate.

 

Copyright : Fred TANNEAU / AFP

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