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30/08/2017

Politique étrangère : vers une "doctrine Macron" ?

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Politique étrangère : vers une
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

 

Michel Duclos, ancien Ambassadeur de France à Damas et auteur de la note Syrie : en finir avec une guerre sans fin, décrypte, pour l'Institut Montaigne, l'intervention du président de la République lors de la semaine des ambassadeurs. Il revient notamment sur les éléments qui pourraient indiquer qu'Emmanuel Macron souhaite mener une politique étrangère différente de celle de ses prédécesseurs.

Le président de la République s’est livré hier à l’exercice rituel de l’allocution devant les ambassadeurs français réunis annuellement à Paris, avant qu’ils ne rejoignent leurs postes respectifs.

Emmanuel Macron avait présenté jusqu’ici, trois facettes de son profil en matière de politique étrangère : d’abord le partisan de la globalisation et de l’Europe qui, pendant la campagne présidentielle, avait eu le courage d’aller à contre-courant du repli sur soi souverainiste ambiant dans le pays ; ensuite le "gaullo-mitterrandien" affiché, se démarquant du "néo-conservatisme" supposé de ses deux prédécesseurs ; enfin, l’homme d’Etat faisant ses premiers pas sur la scène internationale en recevant avec éclat – et un indéniable talent – Vladimir Poutine puis Donald Trump.

Pour un certain nombre d’observateurs, l’enjeu du "discours devant les ambassadeurs" était d’aller plus loin dans le contenu possible d’une politique étrangère "macronienne". Autrement dit, au-delà des quelques prises de position ou initiatives des premiers mois de mandat, y aura-t-il une "doctrine Macron" sur les questions internationales et quelle sera-t-elle ?

Le discours du président n’a que partiellement répondu à cette interrogation. Et cela sans doute au moins dans une certaine mesure de manière volontaire : Emmanuel Macron a d’emblée écarté l’approche traditionnelle consistant pour le président de la République à présenter un décryptage de l’état du monde. Il s’en est expliqué en remarquant élégamment que son public était parfaitement informé du "cours du monde". On ne trouvera dans le discours présidentiel par exemple aucune clef de lecture sur l’évolution de l’Amérique ou des relations du triangle Russie-Etats-Unis-Chine, ou encore du poids actuel des grands émergents, ni même d’ailleurs des ressorts profonds des crises dont le président a par ailleurs beaucoup parlé. Il a voulu aussi manifestement sortir du débat théorique sur les concepts associés à telle ou telle figure tutélaire de la Vème République. Il a renoncé dans ce discours à se démarquer de son ou de ses prédécesseur(s) immédiat(s). Le président a rendu hommage à certaines actions de la diplomatie de François Hollande - intervention au Mali, "amélioration" de l’accord avec l’Iran, COP 21 – pour mieux indiquer, en se situant dans une continuité de bon aloi, ce qu’il comptait faire lui-même.

Il a pris ainsi le risque, de toute façon inhérent à ce type de discours, d’énoncer une liste forcément hétéroclite d’initiatives, de projets, d’annonces en tous genres. Au fil du discours, on apprenait que le "changement de méthode sur la Syrie" allait permettre la première réunion d’un nouveau "groupe de contact" en septembre à New-York, que l’initiative sur la Libye (note : rencontre à la Celle Saint Cloud le 25 juillet des deux principaux protagonistes libyen, Fayez Sarraj et Khalifa Haftar) allait faire l’objet d’un suivi là aussi à New-York, qu’un envoyé spécial pour le Sahel serait nommé, un ambassadeur chargé des négociations sur les migrations désigné, un "Conseil présidentiel pour l’Afrique" mis en place, différentes conférences, là aussi dans la grande tradition française, seraient convoquées à Paris (sur le changement climatique, sur le financement du terrorisme, sur le Liban). Un "cycle de conférences internationales annuelles diplomatiques et juridiques consacrées à l’organisation de notre monde sera lancé, la première se tenant à Paris l’été prochain".

Des engagements ont été pris ou réaffirmés sur la relance de l’effort de défense (2 %du PIB en 2025) ou le rehaussement de l’aide publique au développement (0, 55 % de notre revenu national d’ici à 2022) – ainsi que sur la "stabilisation du budget du Quai d’Orsay" (propos guère rassurant pour les diplomates qui ont vu un budget déjà étique sérieusement écrêté en 2017). S’agissant de l’Europe, au-delà de la défense et de l’illustration de l’action qu’il a déjà menée ("agenda de la protection" avec Angela Merkel, réforme de la directive sur les travailleurs détachés), le président a indiqué qu’il attendait les résultats des élections générales allemandes pour proposer de nouvelles initiatives, tournées vers des projets concrets plutôt que vers des changements institutionnels.

Il serait erroné pour autant de réduire le discours du président à une série d’annonces, encore une fois inévitables puisqu’il s’agit de délivrer une feuille de route aux ambassadeurs. Emmanuel Macron ne se situe jamais exactement là où on croit le trouver. Certains commentateurs ont cru voir la marque personnelle du nouveau président dans son pragmatisme, dans son volontarisme, ou dans son franc-parler, ce qui est oublier un peu vite qu’il n’est pas le premier président de la République à pratiquer ces vertus. S’il a écarté toute "vision globale", il a devant les ambassadeurs articulé son propos autour des axes d’action qui doivent guider notre diplomatie : la sécurité, "qui se conjugue avec la stabilité du monde" ; l’indépendance, "qui impose de revisiter les termes de la souveraineté, y compris européenne" ; le retour de notre influence, "qui va de pair avec la défense des biens communs universels". Et les pistes d’action qu’il a évoquées s’insèrent souvent dans une série de concepts relativement élaborés, parfois originaux, parfois moins : le refus de choisir un camp dans la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, l’approche des "trois D" (défense, développement, diplomatie) pour traiter des crises et notamment celles du Sahel, l’axe Europe-Maghreb-Afrique qui doit permettre l’"arrimage" de l’Afrique à l’Europe, une articulation de plusieurs actions pour contenir l’immigration en provenance d’Afrique de l’Ouest, dans la lignée de la rencontre qui avait eu la veille même à l’Elysée sur le sujet dans un format inédit, l’Europe à géométrie variable, totalement assumée, la souveraineté à redéfinir en fonction des nouvelles contraintes technologiques et autres, ou encore la "diplomatie étudiante", pour mettre notre pays à la hauteur de nos grands rivaux dans la compétition internationale dans la formation supérieure des élites.

Sur un chapitre qu’il avait jusqu’à présent peu exploré – celui des "valeurs" – le président a manifestement tenu à combler une lacune dans son discours. Il a complété son approche de la Syrie en précisant que "la reconstitution un jour en Syrie d’un état de droit... devra s’accompagner de la justice pour les crimes commis, notamment par les dirigeants de ce pays". Surtout, il a habilement repris le thème de la vocation de la France à défendre les droits de l’homme et le multilatéralisme en indiquant que l’identité même de notre diplomatie reposait sur la défense de "biens mondiaux" qui sont l’environnement (dont le nouveau "pacte mondial pour l’environnement" proposé par Laurent Fabius), la paix, la justice et les libertés, la culture. Sur les droits de l’homme proprement dits, le président a dit qu’ils "ne sont pas seulement des valeurs occidentales. Ce sont des principes universels, des normes juridiques librement adoptées par tous les pays du monde que nous devons sans cesse expliquer, défendre, améliorer".

Tout cela fait-il une "nouvelle politique étrangère" ? Ne s’agissait-il pas hier d’un discours avant tout politique, dans lequel la lutte contre le terrorisme "islamiste" (M. Macron a souligné l’adjectif) et l’"Europe protectrice" constituaient les prismes dominants ? Comment discerner dans les propos du président la veine novatrice et l’acceptation d’un certain héritage ? A chacun de juger, mais on l’a déjà dit : le nouveau chef de l’Etat se laisse difficilement enfermer dans des catégories préétablies. Il aime surprendre et garder la possibilité de surprendre. On retiendra de son discours aux ambassadeurs un engagement personnel manifeste dans les affaires internationales, ainsi qu’une volonté affirmée de défendre par tous les moyens la voix et le rang de la France. Retour en ce sens à un certain classicisme, sous des couleurs plus modernes ? En exorde, presque en passant, Emmanuel Macron a observé que "le monde a les yeux rivés sur la France. La transformation que nous avons engagée est une condition centrale de la transformation de l’Europe, tournée vers l’avenir et vers les peuples. Et la transformation de l’Europe autour d’une vision partagée est la condition d’un nouvel ordre mondial plus stable, apaisant les rivalités des puissances". Il y a certainement là le point de départ possible d’un "grand dessein", susceptible de recréer autour d’une politique extérieure forte, un consensus et un élan qui lui ont fait défaut au cours des dernières années.

 

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