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08/12/2017

Niveau de lecture : bonnet d’âne pour la France. Entretien avec Laurent Cros

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Niveau de lecture : bonnet d’âne pour la France. Entretien avec Laurent Cros
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L’étude PIRLS, publiée ce mardi 5 décembre, révèle le faible niveau de lecture en France des enfants  de CM1. Cette évaluation, dont l’objet est d’établir une comparaison du niveau de lecture des enfants dans 50 pays à travers le monde, révèle une baisse du niveau des enfants français depuis le début des années 2000 et place la France en retrait par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE.

Que signifient ces résultats ? A quoi peuvent-ils être attribués ? Laurent Cros, spécialiste des questions d’éducation et directeur de l’association Agir pour l’école nous livre son décryptage. 

Quel objectif l’évaluation PIRLS recouvre-t-elle ?

L’évaluation internationale PIRLS se distingue car elle intervient précocement dans la scolarité de l’élève : elle évalue les compétences en lecture et compréhension des élèves de CM1. Elle présente ainsi l’avantage par rapport à l’évaluation PISA, qui teste les élèves en lecture, mathématiques et sciences à l’âge de 15 ans de distinguer les acquis fondamentaux, qui relèvent du primaire, des savoirs enseignés au collège. L’enjeu d’une telle évaluation est de savoir si les élèves ont acquis les bases nécessaires de leur langue pour poursuivre leur scolarité au collège et y élargir leur spectre de connaissances. 

PIRLS et TIMSS - autre étude internationale qui évalue les compétences mathématiques - constituent les épreuves les plus fines pour analyser la capacité du système scolaire à transmettre les compétences fondamentales aux enfants. Ces compétences sont essentielles à leur autonomisation ultérieure, que ce soit dans leur parcours scolaire ou professionnelle d’apprentissage. Nous savons  désormais qu’un faible niveau dans ces compétences conduit souvent à mal vivre le collège et, in fine dans nos sociétés modernes, gourmandes en capacités cognitives, à générer du chômage. 

En France, le nombre d’heures consacré à l’enseignement de la langue française est largement supérieur à la moyenne européenne. Comment expliquer la dégradation du niveau des élèves en lecture depuis vingt ans ? 

Deux constats majeurs méritent d’être rappelés : 

  • D’une part, la France, qui dispose d’un système éducatif mature, présente l’un des scores les plus bas d’Europe : elle se situe à la 34ème place sur 50 pays étudiés et avec un score moyen de 511. Le Royaume-Uni et l’Allemagne, quant à eux, se positionnent avec des scores respectifs de 559 et 537 à la 10ème et 26ème place. 
  • D’autre part, en dépit de la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'École qui a fait de l’école primaire une priorité, les résultats ne vont pas en s’améliorant.

Consacrer beaucoup de temps au français est nécessaire, mais n’est pas suffisant. En effet, les suivis de cohortes montrent qu’un élève en échec en fin de CP rattrape rarement son retard ensuite. Il y a donc un problème de prise en compte des enfants en difficultés, à un moment de leur scolarité. Comme en Finlande, il faudrait s’alarmer quand un élève a eu des difficultés au CP et lui donner beaucoup plus de temps pour apprendre dès le CE1. Cela doit remplacer le discours actuel qui consiste à considérer que l’important est que l’enfant sache lire à la fin du CE1. 

Une bonne pédagogie d’enseignement de la lecture est celle qui permet une différenciation entre les élèves, selon leurs besoins spécifiques d’apprentissage, sans toutefois que ne soit perdue de vue l’ambition de porter l’ensemble des élèves à un niveau supérieur à la moyenne nationale en lecture. Les expérimentations montrent qu’une telle pédagogie est possible, cela nécessite néanmoins d’y consacrer davantage de moyens. Le dédoublement des classes a le potentiel d’être une des clés, car il permet de multiplier par deux le temps consacré à chaque enfant.

La compétence sur laquelle la baisse du niveau des élèves est la plus significative est celle de la compréhension, pour quelles raisons ? Comment remédier à cette situation ?

La compréhension est un aboutissement, elle fait intervenir plusieurs compétences simples qui sont la fluidité de la lecture, le vocabulaire et les stratégies de compréhension - par exemple, se demander à qui renvoie le pronom "il". 

La faiblesse française dans ce domaine provient vraisemblablement des trois compétences. Un grand nombre d’enfants sont toujours en retard, du CP au CM2, sur leur vitesse de lecture. Ils manquent d’entraînement en la matière. 

L’entrée au CP est également marquée par un retard de vocabulaire significatif pour de nombreux enfants. Apprendre du vocabulaire est un exercice long et fastidieux car il faut rencontrer le même mot plusieurs fois pour le mémoriser. Or, aujourd’hui nous ne parvenons pas à enseigner correctement la compréhension aux enfants de milieux défavorisés. Les stratégies de compréhension sont très peu enseignées aux professeurs, qui pensent souvent que la compréhension s’acquiert avec le temps, à force de lecture. 

Des chercheurs, dont Maryse Bianco en France, ont démontré qu’il fallait développer une véritable pédagogie de la compréhension, qui se structure selon elle autour des six principes suivants: la révision journalière des notions abordées, l’introduction d’une nouvelle notion en fixant clairement les objectifs du jour, l’incitation à utiliser la nouvelle notion et à expliciter sa démarche, la réexplication à travers plusieurs exercices adaptés, la pratique individuelle de l’élève, et la mise en place de périodes de révision. 

Il est ainsi nécessaire d’adapter notre pédagogie d’enseignement, de former et d’accompagner les enseignants dans ces changements, tout en capitalisant sur les outils numériques désormais à notre disposition. 


 

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