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27/07/2018

Les nouvelles routes de la soie passent par le Cambodge. Trois questions à Philippe Le Corre

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Les nouvelles routes de la soie passent par le Cambodge. Trois questions à Philippe Le Corre
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Le 29 juillet prochain, les Cambodgiens sont appelés aux urnes pour des élections législatives vivement critiquées par les observateurs internationaux. La légitimité même de cette élection est remise en question depuis que l’actuel Premier ministre Hun Sen a dissous le principal parti d'opposition, le Parti du sauvetage national (CNRP) fin 2017. Le rapporteur des Nations Unies Rhona Smith a ainsi déclaré le 30 avril : "Aucune élection ne peut être authentique si le principal parti d’opposition est empêché d’y participer". S’il est reconduit à l’issue de ce scrutin, Hun Sen, au pouvoir depuis 33 ans, entamerait un nouveau quinquennat. Philippe Le Corre, spécialiste de l’Asie, Senior Fellow à la Harvard Kennedy School et Non-resident Senior Fellow à la Carnegie Endowment for International Peace, répond à nos questions.

Alors que les élections législatives cambodgiennes du 29 juillet semblent peu propices à une véritable opposition au Premier ministre Hun Sen, quels sont les enjeux de ce scrutin ?

Les enjeux sont, hélas, très diminués du fait de la "dissolution" fin 2017 de la principale formation d’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), née d’une fusion entre plusieurs autres partis et accusée par une justice aux ordres du gouvernement de "conspiration avec les Etats-Unis et d’autres puissances étrangères" dans le but de fomenter une "révolution". Ses dirigeants sont aujourd'hui en exil ou en prison. Le parti royaliste (Funcinpec) est quant à lui aux abois. 

En route vers un raz de marée électoral avec son Parti du peuple cambodgien, le Premier ministre Hun Sen, ancien Khmer rouge dans les années 1970 devenu pro-vietnamien dans les années 1980, est maintenant ouvertement pro-chinois et fait tout pour conserver le pouvoir qu’il occupe depuis 33 ans. Après avoir refusé les résultats de la seule élection organisée de manière indépendante en 1993 (sous contrôle des Nations Unies), il s’est imposé dans des conditions plus que douteuses lors de tous les scrutins suivants, en 1998, 2003, 2008 et 2013. Il s’appuie sur l’armée, à la tête de laquelle il a placé son fils Hun Manet. C’est un véritable clan qui dirige le Cambodge depuis trois décennies, et s’est enrichi de manière éhontée aux dépens d’un peuple qui avait pourtant subi l’un des plus grands génocides du XXème siècle, sous la férule du régime des Khmers rouges.

L’enjeu, aujourd’hui, est justement de ne pas abandonner ce peuple, avec lequel la France entretient depuis longtemps des liens d’affection. Le fossé ne cesse pourtant de se creuser entre ce petit pays d’Asie du Sud-Est et le monde démocratique. Le gouvernement a beau jeu de dire que le PNB est passé de 10 milliards en 1999 à 29 milliards en 2010 : dans les années 90, le pays était encore exsangue et l’économie a toujours été contrôlée par quelques-uns, souvent proches de Hun Sen. 

Quelle est la place de la Chine dans ces élections, et au Cambodge de manière générale ?

Quelques années après le départ des forces onusiennes en 1994, la Chine s’est peu à peu rapprochée du régime de Phnom Penh. Ce furent d’abord des entrepreneurs "pionniers" venus de Hong Kong ou du sud de la Chine, envoyés en éclaireurs et depuis dix ans, c’est l’Etat chinois qui est présent à tous les niveaux. Avec des investissements de plus 4,8 milliards de dollars, la Chine est devenue le premier partenaire économique du royaume. Et ce n’est qu’un début : des projets chinois de 7 milliards de dollars (dont un nouvel aéroport, qui accueillera encore davantage de touristes chinois : en 2017, ils étaient 1,2 million) ont été annoncés. Des villes comme Phnom Penh ou Sihanoukville ont vu les prix de l’immobilier exploser à cause des spéculateurs. Des groupes mafieux, venus de Hong Kong ou de Chine du sud, se sont imposés. Des dizaines de casinos ont vu le jour à Sihanoukville. 

Contrairement à d’autres pays, la Chine n’exige aucune contrepartie à son aide économique, au sujet par exemple des droits de l’Homme ou de l’organisation d’élections pluralistes, dont Pékin n’a que faire. En revanche, Phnom Penh joue désormais un rôle-clé dans la région, soutenant les projets chinois comme “Les nouvelles routes de la soie” et prenant systématiquement le parti de Pékin dans les discussions internationales. Il n’y a guère que le Japon qui cherche à jouer un rôle au Cambodge, mais face à la Chine, Tokyo ne fait pas le poids politiquement.

Quelle place occupe l’Asie du Sud-Est dans la stratégie de renaissance nationale chinoise ?

L’Asie du Sud-Est est essentielle dans la stratégie chinoise car elle est la région la plus proche et la plus importante pour Pékin, avec l’Asie du Nord-Est. Tout d’abord, Pékin s’efforce de prendre le contrôle de la mer de Chine du sud, au grand dam du Vietnam ou des Etats-Unis. La Chine entend développer sa "route de la soie" maritime, économiquement mais aussi sur un plan stratégique. L’Association des Nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) est devenue en grande partie silencieuse sur tous ces sujets, notamment grâce au blocage opéré par Hun Sen et d’autres dirigeants de pays voisins où la Chine investit massivement. C’est notamment le cas du Laos. Un auteur aussi respecté que David Shambaugh estime ainsi queles oppositions à la montée en puissance chinoise en Asie du Sud-Est se sont désormais évanouies, sous l’influence des investissements (réalisés ou promis) et de la politique chinoise. Pékin est particulièrement actif à travers la "diplomatie des forums" en Asie, le format ASEAN + 1 étant le lieu le plus évident de la présence renforcée de la Chine dans la région. Enfin, la plupart des pays d’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, Philippines, Vietnam, etc.) comptent de puissantes communautés chinoises dont certaines se sont rapprochées de la Chine. Elles sont placées sous la coupe d’organisations à Pékin en charge des Chinois d’outre-mer.

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