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26/01/2018

Les nouvelles routes de la soie passent aussi par l’espace

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Les nouvelles routes de la soie passent aussi par l’espace
 Arthur Sauzay
Auteur
Avocat Counsel, Allen & Overy

Le voyage présidentiel en Chine en janvier a aussi été l’occasion pour la France de renforcer ses liens avec la puissance émergente dans le spatial. Sur le plan scientifique, le CNES (l’agence spatiale française) a signé avec son homologue, la CNSA (China National Space Administration), et en présence du président de la République, un mémorandum d’entente concernant la lutte contre le changement climatique et l’exploration spatiale, comprenant notamment le développement de satellites. Sur le plan commercial, Eutelsat, l’opérateur français de satellites de communication, a conclu un accord pour fournir dans la région Asie-Pacifique des services de télécommunication à China Unicom – un opérateur public de télécommunications, quatrième mondial en nombre de clients.

L’accord d’Eutelsat s’inscrit dans le cadre de l’initiative chinoise des “nouvelles routes de la soie” lancée en 2013 et qui monte désormais rapidement en puissance, avec de multiples projets d’infrastructures et de coopération. Emmanuel Macron a indiqué à Xian – ville désignée comme point de départ des nouvelles routes de la soie – que ces dernières “ne peuvent être univoques”. Certes, mais reste à savoir comment la France, dont le PIB est désormais cinq fois inférieur à celui de la Chine, pourra résister à la rapide montée en puissance commerciale de cette dernière. Ceci vaut aussi pour le spatial, secteur dans lequel la Chine semble s’être affirmée, en quelques années, comme le vrai concurrent des Etats-Unis et de l’Europe.

Que s’est-il passé et que peut-on attendre ?

Une ambition spatiale chinoise longtemps contrariée

La Chine mène une politique spatiale active depuis les années 1960. Cinquième pays à avoir réussi à placer un satellite en orbite, en 1970, la Chine est aussi la troisième puissance à avoir lancé un humain dans l’espace (en 2003), après l’URSS et les Etats-Unis – l’Europe ayant pour l’instant renoncé à cette capacité.

Bien qu’elle ait régulièrement développé ses capacités satellitaires (mise en place d’un GPS autonome chinois, satellites militaires, etc.), la Chine a eu du mal à s’insérer sur le marché commercial international dans les années 2000 – c’est-à-dire à vendre des services et des produits à des pays étrangers. La principale raison réside dans l’imposition par les Etats-Unis, en 1998, de règles interdisant le lancement par des fusées chinoises de satellites contenant des composantes américaines – y compris lorsque ces dernières sont intégrées à des satellites européens, par exemple. Dans les faits, ces règles dites “ITAR” (International Traffic in Arms Regulations) ont fortement limité les ambitions chinoises. En outre, le pays ne disposait pas de la capacité de produire seul des satellites à la pointe de la technologie tout en étant compétitifs.

Bien que ces règles soient maintenues, la Chine est en train de devenir un acteur de premier plan dans le secteur spatial commercial. Plusieurs facteurs y concourent. D’abord, la taille du marché chinois incite les industriels non-américains à développer des produits dits “ITAR-free”, c’est-à-dire n’intégrant aucune composante américaine. Ensuite et surtout, la Chine “incite” ses “partenaires”, dans le cadre de ses programmes d’aides et des nouvelles routes de la soie, à recourir à ses services pour lancer leurs satellites. Enfin, et même si certains observateurs soulignent que la Chine reste en retard d’un point de vue technologique, Pékin propose désormais des services “tout-en-un” comprenant notamment fourniture du satellite et service de lancement (fusée) – le tout à des prix avantageux.

La Chine en route pour une compétition directe avec les Etats-Unis

Les résultats de ces efforts sont là : après quelques premiers contrats depuis 2010 avec le Venezuela, l’Algérie, le Pakistan, ou encore le Nigéria, les nouvelles routes de la soie sont l’occasion d’accélérer, avec des contrats récemment conclus avec le Cambodge, l’Indonésie,… et désormais la France avec l’accord récemment conclu avec Eutelsat.

Loin de se limiter aux télécommunications, la Chine est désormais leader dans des secteurs de pointe, comme les télécommunications quantiques avec le lancement puis le déploiement l’an dernier d’un satellite permettant de relayer des signaux quantiques (réputés inviolables) entre deux points terrestres. Ironie de l’histoire, c’est en Europe (Autriche) que les scientifiques chinois - notamment le Professeur Pan Jianwei de l’Université de sciences et technologie - ont étudié les fondements théoriques de la technologie. Là où les scientifiques autrichiens ont sans succès demandé à l’agence spatiale européenne (ESA) de financer un satellite de recherche en 2013, leurs homologues chinois l’ont obtenu des autorités chinoises et sont passés devant l’Europe…

Pour l’avenir, il faut s’attendre à une poursuite de cette montée en puissance : programme lunaire ambitieux ; développement accéléré de la réutilisabilité des lanceurs en réponse aux récents succès américaines ; vingt lancements en 2017 et quarante prévus en 2018 (contre quatorze pour l’Europe) ; développement d’une station spatiale autonome grâce à un nouveau lanceur lourd, la fusée Longue Marche 5 ; déploiement de constellations de satellites militaires, etc. Les budgets spatiaux chinois, couverts par le secret, sont clairement en augmentation rapide et, autant qu’on puisse en juger par leurs concrétisations, ont très probablement dépassé ceux de l’Europe. Sur la défense, les Etats-Unis s’inquiètent désormais publiquement du développement rapide des moyens militaires chinois, y compris en matière d’armes antisatellites (connues sous l’acronyme anglais d’”ASAT”).

Enfin, bien que le secteur public soit encore prédominant, on voit apparaître de nouveaux opérateurs privés chinois, dont certains sont soutenus par les géants nationaux du numérique - le Facebook chinois “Tencent”, par exemple. Il se pourrait bien que la Chine devienne un acteur majeur du “New Space” - caractérisé par un rôle accru des acteurs privés dans le spatial -, au même titre que les Etats-Unis.

Quel impact pour l’Europe spatiale ? Que peuvent faire la France et l’Europe ?

Dans un secteur de plus en plus concurrentiel, l’Europe continue largement de fonctionner sur son modèle historique combinant coordination intergouvernementale, autour de l’agence spatiale européenne, et budgets spatiaux limités. Nous avons montré dans la note parue en décembre, intitulée Espace : l’Europe contre-attaque, que ce modèle, insuffisamment ambitieux, fait courir au continent un risque de déclassement. Déjà dominée par les Etats-Unis, l’Europe va donc également devoir faire face aux ambitions chinoises, y compris sur des segments où elle a actuellement un rôle de leader (lancements commerciaux, production de satellites, etc.).

La logique de coopération internationale, marqueur de la politique européenne, est un levier puissant qui doit être non seulement conservé mais encouragé. Outre l’accord avec le CNES mentionné au début de cet article, c’est dans ce cadre que des astronautes européens participent à des entraînements avec leurs homologues chinois. Mais cette coopération ne saurait suffire et l’Europe doit impérativement repenser ses ambitions et sa méthode, par l’augmentation des budgets publics, la réforme de la gouvernance spatiale européenne, la place du secteur privé et notamment des start-ups, l’innovation et la compétitivité. Autant d’axes qui doivent permettre au continent de garder une place de premier plan face au duopole sino-américain émergent.

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