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28/01/2021

Les mesures sanitaires à l'épreuve de la colère

Trois questions à Marc Lazar

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Les mesures sanitaires à l'épreuve de la colère
 Marc Lazar
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

De violentes manifestations ont éclaté aux Pays-Bas et au Danemark après l’imposition de nouvelles mesures sanitaires pour endiguer l'épidémie. En France le discours anti-restrictions, encore marginal, semble gagner graduellement du terrain. Ces mouvements peuvent-ils à terme entraver l’implantation de nouvelles mesures ? Comment gérer cette colère ? Marc Lazar, contributeur sur les questions politiques et institutionnelles françaises et européennes, répond à nos questions.

Les violences qui naissent en Europe en réaction aux mesures de confinement ou couvre-feu, dont le dernier exemple aux Pays-Bas, sont alarmantes. Cette montée de la colère a-t-elle vocation à s'accentuer alors même que la situation sanitaire ne s'améliore pas pour l'instant ? 

Il est toujours difficile de se lancer dans des prévisions de ce type. Mais de nombreux ingrédients sont là pour dire que le type de violences survenues aux Pays-Bas pourraient se reproduire ailleurs, même si chaque situation est spécifique. La colère dont vous parlez provient de l’appauvrissement de toute une série de catégories de la population, y compris parmi les classes moyennes, de la précarisation qui frappe notamment les jeunes et les moins diplômés, du creusement des inégalités de toute nature - sociales bien sûr, territoriales, de genre, entre nationaux et étrangers. À cela s’ajoutent l’exaspération et la lassitude face à la pandémie qui n’en finit pas et qui peut conduire à une forme d’abattement, de détresse, pour ne pas dire de dépression, ou à l’inverse, pousser à la révolte. L’incompréhension, voire le désarroi, face aux mesures contradictoires prises par les gouvernements, le sentiment de plus en plus diffusé que ceux-ci, comme les experts et les scientifiques, ne savent plus trop comment juguler l’épidémie, la déception provoquée par la lenteur et les difficultés rencontrées par les campagnes de vaccination alors que celles-ci étaient présentés comme le salut tant attendu, tout cela exacerbe encore les rancœurs et incite certains à pratiquer une violence nihiliste. On sait que dans l’Histoire les épidémies se sont souvent traduites par des poussées de violence et la recherche de bouc-émissaires. Mais cette crise du Covid-19 avec ses multiples conséquences sociales qui ne commencent qu’à peine à se faire sentir survient dans un contexte politique bien particulier qui existait avant l’épidémie. 

La colère provient de l’appauvrissement de toute une série de catégories de la population, y compris parmi les classes moyennes, de la précarisation qui frappe notamment les jeunes et les moins diplômés, du creusement des inégalités de toute nature.

Celui d’une défiance envers les institutions et les responsables politiques que l’on enregistre dans la plupart des pays, fût-ce avec des intensités variables. C’est encore plus difficile dans ces conditions pour les gouvernés de croire ce que disent les gouvernements, d’accepter leurs décisions, de respecter leurs consignes. On le sait, nos démocraties européennes connaissent une phase d’épuisement et de fatigue. D’autant que les partis populistes, sans en appeler à l’émeute ou justifier le recours à la violence, sont tentés de souffler sur les braises, que les "négationnistes" de l’épidémie se déchaînent sur les réseaux sociaux et qu’il y a toujours des groupes plus ou moins bien organisés pour se précipiter dans les rues, s’affronter aux forces de l’ordre, piller et détruire : groupuscules idéologiques de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche qui poursuivent des objectifs politiques, trafiquants et délinquants divers et variés qui ne peuvent plus se livrer à leurs activités à cause du confinement ou des couvre-feux, bandes de jeunes qui passent leur temps à en découdre etc.

Enfin, d’un point de vue à la fois anthropologique et sociologique, nos sociétés modernes sont travaillées par deux dynamiques contradictoires, celle de l’égalité, et celle de l’individualisation. La première amène ceux et celles en situation de détresse et de souffrance à s’indigner, légitimement, de constater que les catégories supérieures s’en sortent plutôt bien, voire très bien car elles épargnent depuis des mois. La seconde aboutit à ce qu’au nom de la liberté, des fractions entières de populations prétendent s’affranchir de la moindre contrainte en provenance de ce qu’elles appellent "la dictature sanitaire" et veulent vivre et travailler comme elles l’entendent. 

A-t-on aujourd’hui des exemples de pays qui ont su agir et être compris de leur population afin de limiter ces explosions sociales ? 

Attention, tous les pays européens ne sont pas à feu et à sang, ou au bord de la guerre civile. Et même aucun d’entre eux. Cela étant, il a été très surprenant de voir des comportements violents se produire en Allemagne cet été et ces jours-ci aux Pays-Bas, Paradoxalement, je prendrai deux exemples de pays où la démocratie connaît une crise assez significative, la France et l’Italie, et où, à l’heure actuelle - la prudence est de mise -, on n’enregistre pas de violences équivalentes. En France, les aides considérables de l’État sont souvent critiquées et il est vrai que tout le monde n’en profite pas. Il n’en demeure pas moins qu’elles ont sans doute atténué l’impact de la crise sanitaire et sociale, notamment en contenant la hausse du chômage. Par ailleurs, le mouvement des gilets jaunes a été sévèrement réprimé et s’est délité. Au fil des mois, il n’a plus bénéficié du même soutien de l’opinion publique et ses excès, sa violence justement, ont provoqué l’exaspération de très nombreux Français. Mais, je le répète, il faut être prudent, tout peut basculer de nouveau. En Italie, on assiste à quelque chose d’étonnant. Dans ce pays caractérisé par une défiance presque structurelle à l’égard de l’État et de la politique, on assiste à une remontée de la confiance à l’égard de l’État et de ses figures institutionnelles, le Président de la République, Sergio Mattarella, et, jusqu’à sa démission, le Président du Conseil, Giuseppe Conte. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle une grande partie des Italiens ne comprend pas la crise gouvernementale et parlementaire qui s’est ouverte. En fait, avec la peur provoquée par le Covid-19 et l’angoisse pour l’avenir, les Italiens recherchent de la protection et de la sécurité. Dans le passé, ils se tournaient plutôt vers l’Église catholique et les puissants partis, comme la Démocratie chrétienne et le Parti communiste italien.

La perte d’influence de la première, l’effondrement des seconds, les porte à se tourner vers l’État. Si celui-ci n’est pas à la hauteur - nombre d’aides promises ne sont pas encore arrivées -, si le gouvernement, quel qu’il soit, s’avère incapable d’élaborer un plan de relance consistant, alors la désillusion sera grande. Cela permettra à l’opposition, notamment à la Ligue et à Fratelli d’Italia, de progresser, mais peut-être aussi assistera-t-on à des explosions de violence alimentées par des groupes extrémistes ou par la criminalité organisée. 

En France, les aides considérables de l’État [...] ont sans doute atténué l’impact de la crise sanitaire et sociale, notamment en contenant la hausse du chômage.

Vous écriviez pour notre blog que la crise du Covid-19 semblait avoir endigué la montée des mouvements populistes et décrédibilisé leurs discours. Ne voit-on pas pourtant dans ces protestations contre les mesures sanitaires une forme de populisme, réticent aux recommandations scientifiques ? 

En vérité, j’ai écrit que la crise du Covid-19 avait mis en difficulté les formations populistes en général, celles de droite ayant aussi été affectées par la défaite de Donald Trump, leur modèle ou leur source d’inspiration. Mais j’ai aussi expliqué que si l’épidémie continuait, cela redonnerait du crédit aux populistes qui sont à l’opposition car ils en rendront responsables les gouvernements en place. Par ailleurs, j’ai toujours pensé qu’ils pourraient exploiter la détérioration de l’économie et de la situation sociale, tandis qu’ils feraient tout pour exacerber la défiance politique, exciter le rejet des immigrés et exiger la fermeture des frontières. Ils jouent et joueront aussi de la méfiance d’une partie de la population envers les recommandations scientifiques, méfiance qui ne peut pas, selon moi, être uniquement qualifiée de populiste. À côté des anti-vaccins, très représentés en France dans l’électorat du Rassemblement national et, dans une moindre mesure, dans celui de la France insoumise, beaucoup de nos concitoyens, en rien populistes, constatent que les scientifiques émettent des avis différents, voire contradictoires : le doute s’installe aussi chez eux. Pire, alors même que, selon les sondages, les Français se ralliaient massivement au vaccin, les obstacles rencontrés par la politique de vaccination et ses divers ratés suscitent de la désillusion chez les pro-vaccins, confortent dans leurs croyances les opposants à tout vaccin et renforcent les théories complotistes. Les populistes chercheront à en profiter. En espérant attirer vers eux de nouveaux électeurs. En France, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, Marine Le Pen reste à des niveaux élevés dans les intentions de vote et une enquête Harris Interactive la situe à 48 % au second tour.

 

Copyright : ROBIN VAN LONKHUIJSEN / ANP / AFP

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