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04/02/2022

Les Français et la politique (pas si) étrangère

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Les Français et la politique (pas si) étrangère
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

La publication d’un sondage conduit par Harris Interactive pour MGH Partners sur le positionnement des Français sur la politique étrangère offre une photographie concrète d’un domaine souvent marginalisé dans le débat public. Nous avons demandé à notre conseiller spécial, l’ancien ambassadeur Michel Duclos, auteur de La France dans le bouleversement du monde (éditions de l’Observatoire, novembre 2021), de commenter ces chiffres. 

Les sondages sur ce que les Français pensent de la politique étrangère de leur pays sont assez rares. L’enquête en ligne à laquelle a procédé Harris Interactive pour MGH Partners du 7 au 9 décembre 2021 apporte donc sur ce sujet un éclairage d’autant plus intéressant.

On en tirera plusieurs enseignements, qu’ils soient directs, reflétant les données chiffrées du sondage, ou plus déductifs, résultant d’une interprétation de ces données.

Tout d’abord, une majorité des Français a une attitude de défiance à l’égard du reste du monde (61 %). Seuls 37 % adoptent une approche plus confiante. L’attitude positive est plus répandue chez les jeunes, les sympathisants de gauche et d’Ensemble Citoyens !, sans toutefois être majoritaire dans aucune de ces catégories.

Quelques indicateurs confirment et nuancent à la fois cet état d’esprit : selon le sondage, un Français sur deux estime que la France devrait accueillir moins de réfugiés à l’avenir contre un tiers qui estime qu’elle devrait en accueillir autant ; plus de sept sondés sur dix jugent que la France et l’Europe devraient se montrer plus fermes à l’avenir vis-à vis des pays promouvant un islam politique. Par contre, les annonces faites à l’issue du dernier G20 sur l’envoi de vaccins dans les pays en développement reçoivent un soutien de 82 % des personnes interrogées. Seuls les partisans du Rassemblement National et de Reconquête ! ne suivent pas le consensus sur ce dernier point. 

Les priorités qu’assignent les Français à la politique étrangère sont de nature réaliste.

Les priorités qu’assignent les Français à la politique étrangère sont de nature réaliste : "faire face à la menace terroriste" (49 % des interrogés) et "promouvoir les intérêts économiques de la France" (43 %). L’action contre le dérèglement climatique vient en troisième position (35 %). Faire avancer la construction européenne est la principale priorité pour 24 % des interrogés (35 % s’agissant des plus de 65 ans) alors que la défense des droits de l’Homme réunit 31 % des suffrages.

Dans les méthodes, c’est le "dialogue avec tous", y compris avec les puissances "non alliées" (Russie, Chine, pays autoritaires), qui est privilégié par 44 % des interrogés. Ce chiffre passe à 57 % pour les plus de 65 ans. La négociation avec les seuls alliés, la diplomatie européenne, les instances internationales obtiennent les faveurs respectivement de 21 %, 20 % et 14 % des sondés, avec des chiffres marginalement supérieurs pour les plus de 25 ans. 

Au titre des méthodes également, comment faut-il réagir lorsqu’un pays démocratique connaît un coup d’État ? Faire connaître son désaccord est la réponse de 82 % des interrogés, imposer des sanctions économiques est celle de 57 % et couper les relations économiques celle de 40 %. Il serait donc erroné de penser que les Français se désintéressent des "valeurs" sur la scène internationale. Enfin, pour renforcer son poids dans le monde, la France devrait investir davantage dans le renseignement pour 48 % des interrogés, la défense pour 44 %, l’aide au développement pour 40 % et la diplomatie pour 21 %. 50 % des interrogés ne se prononcent pas sur cette dernière question : il est clair que les diplomates ne savent pas "se vendre" à l’opinion.

Alliés et menaces

L’un des chapitres les plus importants du sondage porte sur les alliés et les menaces tels que perçus par les Français. Trois pays se démarquent largement aux yeux des interrogés comme des alliés : l’Italie, en tête, puis l’Allemagne et l’Espagne, avec plus de 70 % de réponses favorables. 53 % des interrogés rangent les États-Unis parmi les alliés, mais ce chiffre descend à 40 % pour le Royaume-Uni.

S’agissant des menaces, la Turquie est mentionnée par 56 % des interrogés, la Chine par 48 % et la Russie par 43 % (38 % ne savent pas pour la Russie). L’Algérie est considérée comme une menace par 41 % des interrogés tandis que le doute ("ne savent pas") l’emporte pour la majorité d’entre eux en ce qui concerne l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis.

En cas d’attaque militaire contre notre pays, c’est en priorité sur l’aide de l’UE (82 %), de l’OTAN (78 %), des États-Unis (75 %) et du Royaume-Uni (65 %) que l’on pourrait compter selon les interrogés.

Un autre enseignement majeur du sondage réside dans le soutien de près de trois quarts des Français à la défense européenne (74 % de favorables, 25 % d’opposés). Les taux de réponses favorables sont encore plus forts chez les sympathisants d’Ensemble Citoyens ! (92 %) et des formations se réclamant de la gauche (78 % pour La France Insoumise, 85 % pour le Parti socialiste et 82 % pour Europe Ecologie Les Verts), de même que chez Les Républicains (80 %) . 

Un autre enseignement majeur du sondage réside dans le soutien de près de trois quarts des Français à la défense européenne.

Comme c’est le cas sur plusieurs rubriques (la Russie notamment), seuls les partisans de Reconquête sont vraiment en décalage (40 %, contre 62 % pour le Rassemblement National).

Il est arrivé que des commentateurs s’étonnent de la continuité de plusieurs gouvernements français de couleurs politiques différentes dans la recherche difficile, ingrate même peut-on dire, d’une défense européenne. La réponse de cette attitude se trouve dans ce sondage : c’est le souhait d’une grande majorité de l’opinion. Ce souhait est sans doute à mettre en relation avec d’autres indications du sondage relevées plus haut : méfiance à l’égard du monde extérieur, confiance principalement à l’égard des pays voisins.

D’autres interrogations souvent soulevées par les observateurs - les Français sont-ils inquiets d’un éventuel "déclassement" de leur pays ? La classe politique est-elle en phase avec les préoccupations de l’opinion sur les questions de politique internationale ? - ne trouveront pas de réponses directes mais des éléments de réponse importants.

  • À la question de l’attitude des autorités françaises face à des situations de crises récentes, le sondage montre une insatisfaction majoritaire chez les personnes interrogées : c’est particulièrement le cas de la réaction du gouvernement après l’annulation du contrat australien pour lequel 47 % des sondés estiment que "la France n’a pas été à la hauteur".
     
  • Des réponses "la France n’a pas été à la hauteur" sont également élevées (aux alentours de 30 %, avec un taux important de "ne sait pas") s’agissant de la distribution des vaccins aux pays pauvres, des tentatives chinoises de division de l’Union européenne au moment de la crise sanitaire, des "menaces russes sur l’Ukraine" (il faut rappeler ici que le sondage date de décembre 2021) ou encore de l’affaire du Liban.
     
  • Quant à la direction générale de la politique étrangère de la France, on peut tirer deux conclusions de ces éléments : d’une part, l’affaire des sous-marins australiens a marqué durablement les esprits ; c’est sans doute un des facteurs de la "décote" du Royaume-Uni et des États-Unis que l’on a relevée ci-dessus. D’autre part, si les Français fixent des priorités "réalistes" à la politique étrangère (lutte contre le terrorisme, objectifs économiques), ils n’en attendent pas moins un profil haut de la part de leurs dirigeants sur les grandes affaires. 
     
  • Sur un tout autre sujet, on ne peut s’empêcher d’observer le décalage entre l’attrait qu’exerce la Russie dans des pans entiers de la classe politique et le jugement des Français : la Russie n’est une "alliée" que pour 17 % des interrogés. Toutefois, il est vrai qu’une grande partie des sondés, comme on l’a vu, privilégie le "dialogue avec tous".

 

Copyright : Christophe ARCHAMBAULT / AFP

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