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27/02/2018

Les ambiguïtés du projet de service national universel. Interview de Nicolas Baverez.

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Les ambiguïtés du projet de service national universel. Interview de Nicolas Baverez.
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Le projet de création d’un service national universel ne cesse d’évoluer depuis qu’Emmanuel Macron en a fait l’une de ses promesses de campagne. Les membres du gouvernement eux-mêmes peinent à s’aligner sur une même définition du service national. Un rapport élaboré par la commission de la défense de l’Assemblée nationale sur le sujet a été présenté le 14 février dernier, et tente de remettre un peu de clarté dans le débat. Nicolas Baverez, économiste et avocat, président du groupe de travail de l’Institut Montaigne Refonder la sécurité nationale, nous livre sa vision de ce projet. 

Comment expliquez-vous les difficultés actuelles d’Emmanuel Macron dans sa volonté de réintroduire un service national universel ?

Les difficultés que rencontre Emmanuel Macron, tout comme la multiplication des prises de position divergentes au sein du gouvernement s’expliquent par le grand écart entre l’ambition du projet - qui relève des réformes majeures du quinquennat - et l’absence de toute réflexion ou étude sérieuses le concernant. Ce vide entretient la confusion qui s’est instaurée sur les objectifs, les principes et les modalités de ce service national.

Le doute naît de la multiplication des ambiguïtés.

  • Ambiguïté sur les fins : restauration d’une forme de service militaire ou engagement citoyen destiné à ressouder la cohésion d’une nation fracturée ?
  • Ambiguïté sur le caractère obligatoire ou volontaire.
  • Ambiguïté sur la durée, initialement fixée à un mois mais étendue de 3 à 6 mois par le président de la République le 1er février 2018.
  • Ambiguïté sur l’âge des jeunes concernés, à l’origine de 18 à 21 ans puis ramené entre 16 et 18 ans.
  • Ambiguïté aussi et surtout sur les moyens humains et financiers. L’encadrement d’une classe d’âge de 600 000 à 800 000 jeunes suppose de mobiliser au minimum 15 à 20 000 personnes. Quelles que soient les options retenues, un service national obligatoire requiert un budget minimal d’investissement de l’ordre de 5 milliards d’euros et un budget annuel de fonctionnement de 2,5 à 3,5 milliards d’euros. Or la dépense (56 % du PIB) et la dette publiques (98 % du PIB) restent hors de tout contrôle, tandis que l’effort financier pour la défense comme pour l’ensemble des fonctions régaliennes de l’Etat demeure notoirement insuffisant.

Il est donc indispensable de clarifier les objectifs, les modes d’organisation, l’encadrement et le financement du projet de service national universel.

Le rapport parlementaire présenté le 14 février dernier propose un parcours de citoyenneté en trois étapes. Que pensez-vous d’un tel scénario ?

Le rapport élaboré par la commission de la défense de l’Assemblée nationale exclut à juste titre le rétablissement du service militaire et la remise en cause du choix d’une armée professionnelle, beaucoup plus adaptée aux menaces auxquelles la France doit faire face comme à la spécialisation croissante des métiers des armes. Il écarte également trois scénarios consistant à allonger la journée défense et citoyenneté, à prévoir un service d’un mois en plusieurs périodes ou à créer un service obligatoire continu d’un ou plusieurs mois, dont l’utilité reste douteuse, la conformité à la Constitution problématique et les coûts dirimants.

La commission de la défense préconise dès lors un parcours citoyen qui s’organiserait en trois temps : 

  • l’apprentissage de la citoyenneté entre 11 et 16 ans, accompagné par la mise en place d’un programme national de cadets ; 
  • une semaine de défense et de citoyenneté en internat à 16 ans, sanctionnée par la délivrance d’un passeport ; 
  • la montée en puissance de tous les dispositifs d’engagement entre 16 et 25 ans sur la base du volontariat.

Ce dernier dispositif est assurément le plus raisonnable, le plus souple - associant obligations et volontariat -, le plus facile à mettre en œuvre et le moins onéreux pour les finances publiques. Mais il est trop flexible et large pour jouer le rôle de creuset national et citoyen et pour casser la dynamique de la ségrégation sociale et scolaire. Par ailleurs, son sens est brouillé par la volonté, sous couvert de service national, d’ouvrir de nouveaux droits aux jeunes, l’objectif de l’émancipation étant détourné en redistribution d’aides sociales.

Préconisez-vous un service national universel à caractère obligatoire comme l’envisage le président de la République ou plutôt sur la base du volontariat comme le propose le rapport parlementaire ?

Le service national universel et obligatoire est un projet majeur qui engage la nation. Et il est aujourd’hui mal parti. La priorité, plutôt que d’entrechoquer les préférences des uns ou des autres, de forcer des expérimentations précipitées ou de multiplier les effets d’annonce, me semble être de prendre le temps nécessaire pour travailler en profondeur ce qui peut être une grande cause pour notre pays.

Il est bien vrai que la France est un pays fracturé entre les catégories sociales, les statuts, les générations et les territoires. Il est bien vrai que la jeunesse est en partie exclue et en déshérence, oscillant pour une partie d’entre elle entre l’exil et la violence. Le service national universel et obligatoire peut assurément faire partie des réponses. Mais à trois conditions :

  • Il ne doit pas servir d’échappatoire à la reconfiguration des politiques publiques dont l’échec génère la décohésion sociale : éducation, formation, marché du travail, logement, lutte contre la pauvreté. 
  • Il ne saurait cannibaliser l’effort de réinvestissement dans la sécurité intérieure et extérieure, notamment la remontée en puissance du budget de la défense jusqu’à 2 % du PIB en 2025 que la loi de programmation militaire ne permet pas d’atteindre en l’état. 
  • Enfin, il ne peut remettre en question l’indispensable baisse des dépenses publiques qui constitue la principale faiblesse du début de quinquennat. Ce qui implique que le financement ne peut provenir uniquement de la réorientation d’une partie des transferts sociaux qui mobilisent 34 % du PIB.

Le projet de service national universel touche au pacte politique qui unit la communauté de citoyens. Son succès passe par un changement radical de méthode. La décision solitaire du chef de l’Etat ou la multiplication de groupes de travail ne sont pas adaptées à une mesure qui engage le destin de notre pays. Son étude devrait faire l’objet d’un débat national, conduit sous l’égide d’une grande commission du type de celle qui, naguère, traita du droit de la nationalité.
 

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