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20/03/2020

La santé publique face au coronavirus : trois leçons à retenir

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La santé publique face au coronavirus : trois leçons à retenir
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

La crise que nous traversons est totale : sanitaire, politique, économique, sociale, géopolitique. Face au Covid-19, chaque pays choisit sa stratégie et réagit de façon plus ou moins rapide, plus ou moins claire, à un danger sanitaire sans précédent. Certes, les décisions politiques de confinement de la population et de fermetures des frontières joueront sans aucun doute un rôle important dans la lutte contre l’épidémie, mais au-delà de ces mesures, certains systèmes de santé semblent mieux préparés que d’autres à affronter l’épidémie. 

Quels sont les fondamentaux qui se révèlent particulièrement efficaces face au Covid-19 ? Le système de santé français, connu pour sa grande qualité, dispose-t-il des équipements et de l’organisation les plus à même de protéger la population et d’éviter une catastrophe sanitaire ? Trois atouts semblent préjuger d’une réponse adaptée à la crise : savoir utiliser les données de santé et pratiquer le dépistage massif ; avoir une organisation des soins qui ne repose pas essentiellement sur les hôpitaux ; maîtriser son stock d’équipements de protection de base. 

Savoir utiliser les données de santé et mener une politique de dépistage massif 

Face à une telle épidémie, des mesures ciblées et rapides se révèlent particulièrement efficaces comme l’ont montré certains pays qui ont réussi à "stratifier" leur population en niveaux de risques, alors que d’autres n’ont fait aucune distinction dans les mesures adoptées. C’est ainsi que Taïwan a su maîtriser avec efficacité la progression de l’épidémie en croisant dès le mois de janvier ses bases de données de santé et ses données issues des douanes. En repérant et confinant très rapidement les personnes ayant voyagé dans des zones à risques et celles présentant un risque élevé face au virus, les autorités taïwanaises ont évité de nombreux décès et ont protégé les plus vulnérables. Au 16 mars, seules 100 personnes avaient été contaminées et une seule personne était décédée du Covid-19. 

Pour concentrer les efforts, éviter que l’épidémie ne se répande à toute vitesse dans la population et protéger ceux qui risquent le plus d’en mourir (les personnes âgées et les plus fragiles), les données de santé constituent un atout précieux. Les bases de données de l’Assurance maladie nous permettent d’identifier avec précision qui sont les personnes les plus à susceptibles d’être gravement touchées par le virus et hospitalisées. Ces personnes sont connues, la plupart ont un médecin traitant. Les contacter, les cibler de façon personnalisée, les dépister régulièrement, les équiper de masques et les suivre dans le temps constitue une priorité. La France n’a pas encore activé cette possibilité et réagit face à la crise comme elle aurait pu le faire il y a quinze ou vingt ans, quand les outils de big data et d’intelligence artificielle étaient inexistants.   

Les bases de données de l’Assurance maladie nous permettent d’identifier avec précision qui sont les personnes les plus à susceptibles d’être gravement touchées par le virus [...] La France réagit face à la crise comme elle aurait pu le faire il y a quinze ou vingt ans, quand les outils de big data et d’intelligence artificielle étaient inexistants. 

Cette utilisation de la donnée doit s’accompagner d’une politique de dépistage systématique pour permettre un pilotage rapide et adapté. Si l’on ne sait qui est malade, comment cibler les efforts ? Comment savoir combien de personnes sont infectées et suivre l’évolution de l’épidémie ? Comment s’assurer que ceux qui sont les plus fragiles sont effectivement protégés ? Disposer de suffisamment de tests et dépister toute la population présentant un risque d’être contaminée ou un risque de santé majeur est une nécessité. L’Organisation mondiale de la santé recommande ainsi de tester massivement la population afin de repérer où sont les "clusters" de malades, de suivre les évolutions du virus, de mettre en quarantaine les personnes contaminées pour éviter la diffusion et la contamination. Encore ici, la France comme l’Italie, les Etats-Unis ou encore l’Angleterre, n’a pas fait ce choix de dépistage systématique et les tests ne sont quasiment pas disponibles.

L’enjeu face à un tel défi est pourtant de pouvoir répondre rapidement en concentrant les moyens sur les populations qui en ont le plus besoin et d’éviter les engorgements hospitaliers ainsi que les mesures non ciblées qui génèrent une grande déperdition d’énergie sans faire preuve de véritable efficacité. En limitant le nombre de tests et en ne pratiquant pas le dépistage à grande échelle, la France se prive d’un levier majeur pour maîtriser l’épidémie. Une telle politique est pourtant possible et d’autres systèmes de santé ont montré leur capacité à produire des tests en grande quantité et à organiser des circuits innovants pour tester la population comme le montrent les exemples allemand, israélien, coréen ou singapourien.  

Éviter l’engorgement des hôpitaux en s'appuyant sur la médecine de ville et la télémédecine

Le système de santé français, extrêmement tourné vers l’hôpital, n’a pas suffisamment fait appel à la médecine de ville qui se retrouve dans une situation particulièrement difficile face à l’épidémie. Alors que l’on sait que la capacité d’accueil des hôpitaux doit être préservée pour pouvoir prendre en charge les patients Covid-19 les plus sévères, qui représentent environ 20 % des personnes touchées, la médecine de premiers recours constitue un atout essentiel pour effectuer un premier triage, permettre la continuité des soins et empêcher l’engorgement des hôpitaux. Les médecins généralistes français n’ont pas été informés de façon claire et rapide sur leur rôle et la conduite à tenir, ils n’ont pas été équipés de protections de base et notamment de masques pour faire face à l’épidémie. Ces difficultés révèlent une vraie faiblesse de notre système de santé publique qui se concentre essentiellement sur l’hôpital. 

Corollaire d’une médecine de ville bien structurée, l’usage de la télémédecine est également un atout essentiel pour limiter le recours à l’hôpital. Les plateformes de télémédecine ont ainsi explosé en Chine avec le coronavirus, permettant ainsi le télésuivi des patients contaminés ainsi que la continuité des soins pour les personnes confinées. La téléconsultation permet également aux soignants de se protéger et d’effectuer des premières détections en interrogeant sur les symptômes. En France, à peine 2 000 médecins pratiquaient la télémédecine fin 2019. La faible habitude d’utilisation de la télémédecine, malgré les dérogations mises en place début mars et la mobilisation rapide des plateformes de téléconsultation, constitue une barrière importante. 

La faible habitude d’utilisation de la télémédecine, malgré les dérogations mises en place début mars et la mobilisation rapide des plateformes de téléconsultation, constitue une barrière importante

Enfin, l’hôpital est bien sûr au cœur de la crise. Disposer de suffisamment de lits de réanimation et de soins intensifs ainsi que de respirateurs pour prendre en charge les patients les plus sévères est déterminant face à l’épidémie, comme le montre tragiquement l’exemple italien - et comme risque de le montrer le cas américain dans les prochains jours. La France disposerait aujourd’hui d’environ 7 000 lits en réanimation et d'environ autant en soins intensifs. Au-delà du nombre de lits, les hôpitaux doivent également démontrer leur capacité à créer rapidement des circuits patients dédiés pour éviter les contaminations en chaîne, à former et protéger leurs personnels et à réorganiser leurs plannings pour libérer des lits tout en continuant d’assurer la continuité des soins. 

Pouvoir équiper soignants, patients et population générale en masques et solutions hydro alcooliques 

Last but not least, les équipements de protection de base sont évidemment centraux pour lutter avec efficacité contre la propagation du virus. L’épidémie du Covid-19 aura montré de façon tragique la difficulté des Européens à disposer de suffisamment d’équipements de protection pour éviter la diffusion du virus. 

Les masques (y compris chirurgicaux) manquent tragiquement dans les officines et au sein même des établissements de santé. De nombreux médecins de ville ne sont pas équipés alors que l’utilité des masques pour éviter la contamination est largement démontrée, malgré des discours qui tendent parfois à minimiser leur intérêt. La même situation a été constatée pour les solutions hydro-alcooliques. Il s’agit pourtant d’équipements peu coûteux et très efficaces pour permettre de ralentir la progression des épidémies et pour protéger la population. Permettre à tous les personnels soignants, ainsi qu’aux personnes vulnérables d’être équipés, semble être une mesure basique et prioritaire qui fait largement défaut

L’épidémie du Covid-19 aura montré de façon tragique la difficulté des Européens à disposer de suffisamment d’équipements de protection pour éviter la diffusion du virus.  

Le manque de transparence sur ces équipements, la difficulté à les produire sur un temps court comme notre dépendance vis-à-vis d’autres pays pour ces biens constituent de véritables points faibles de notre système de santé publique. Cette défaillance, renforcée par les comportements prédateurs de certaines personnes qui n’ont pas hésité à voler les stocks des soignants et des hôpitaux, constitue un vrai manquement dans ce qui devrait constituer une politique de santé publique essentielle pour protéger les personnels de première ligne, les soignants et les personnes les plus fragiles. 

Il est bien sûr trop tôt pour tirer tous les enseignements en matière de santé publique de cette crise sans précédent, mais la richesse des informations disponibles en temps réel sur les différents systèmes de santé et sur les réactions des pays face au Covid-19 lève le voile sur certaines défaillances de nos systèmes de soins. Ces informations montrent que d’autres réactions sont possibles qui pourraient nous inspirer pour l’avenir. 
 

Copyright : PIERO CRUCIATTI / AFP

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