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27/10/2020

La relation transatlantique à l’épreuve de l’élection américaine

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La relation transatlantique à l’épreuve de l’élection américaine
 Célia Belin
Auteur
Visiting Fellow à la Brookings Institution
 Benjamin Haddad
Auteur
Directeur Europe de l’Atlantic Council

À l’approche des élections américaines, alors que nous rendions publique récemment une note rédigée par notre conseiller spécial Michel Duclos, intitulée Trump ou Biden - Comment reconstruire la relation transatlantique ?, c’est au tour de Célia Belin, Visiting Fellow au sein du Center on United Statesand Europe de la Brookings Institution, et Benjamin Haddad, directeur de la Future Europe Initiative de l’Atlantic Council, de nous livrer leur analyse de l’avenir de la relation transatlantique post-3 novembre. 

La politique étrangère ne joue qu’un rôle secondaire dans la campagne des élections générales américaines de novembre marquée par un confinement prolongé et de fortes tensions politiques. Les États-Unis font face à une quadruple crise sans précédent : crise sanitaire alors que le pays n’est pas, au moment d’écrire ces lignes, sorti de la première phase du Covid-19, crise économique, crise identitaire et raciale, et crise climatique. Là résideront les priorités du prochain président des États-Unis. 

Toutefois, le choix des Américains en novembre ouvre deux voies radicalement divergentes en matière de politique étrangère pour les quatre prochaines années. Une victoire de Joe Biden en novembre s’accompagnera du retour sur la scène internationale d’une Amérique coopérative, mais dont les orientations globales restent incertaines. En revanche, si le Président Donald Trump était réélu, il faut s’attendre à la poursuite et la radicalisation de sa politique étrangère nationaliste et unilatéraliste, contrainte en outre par la gestion du chaos institutionnel interne.

Si le ton et la méthode diffèrent radicalement d’un candidat à l’autre, les Européens doivent aussi s’attendre à un mandat supplémentaire d’une puissance erratique, concentrée sur des priorités intérieures et la rivalité stratégique avec la Chine. Sur des sujets cruciaux pour l’Europe, de la réforme du multilatéralisme aux théâtres syrien et méditerranéen, en passant par l’épineuse question turque, le débat frappe par son absence. L’Europe n’est pas une priorité, même si la restauration des alliances avec les puissances démocratiques est au cœur du discours de Joe Biden. 

L’Europe n’est pas une priorité, même si la restauration des alliances avec les puissances démocratiques est au cœur du discours de Joe Biden. 

À l’inverse, le narratif de "Great Power Competition" avec la Russie et la Chine, élaboré par l’administration Trump dans son document de sécurité nationale de 2017 reste la doctrine dominante des stratèges de Washington. Dans ce contexte, les Européens devront démontrer leur poids géopolitique et l’importance des relations transatlantiques. 

Dans le cas d’une présidence Biden, les Européens devront faire passer le message qu’un discours bienveillant ne suffit pas s’il ne s’accompagne pas d’une prise en compte de leurs intérêts. 

Dans le cas d’une nouvelle présidence Trump, il faudra insuffler un nouveau départ sur la base de la reconnaissance mutuelle d’intérêts divergents.

Hypothèse Joe Biden : retour d’une Amérique coopérative, mais aux orientations incertaines

Prometteuse en termes d’initiatives transatlantiques, l’hypothèse d’un mandat Biden est porteuse d’espoir d’un réengagement diplomatique et militaire américain sur des sujets d’intérêts mutuels.

Toutefois, les orientations globales restent incertaines et le discours de campagne peu imaginatif. Pour Tom Wright de la Brookings Institution, l’équipe Biden est divisée entre les tenants de la "restauration", qui promettent un retour aux orientations de politique étrangère d’Obama et les tenants du "changement", qui optent pour une nouvelle approche, tenant compte des évolutions des dernières années. Les principaux conseillers de Joe Biden sont des vétérans des équipes Obama/Clinton (Jake Sullivan, Susan Rice, Samantha Power) ou des proches historiques du candidat, eux aussi passés par l’administration Obama (Julie Smith, Anthony Blinken).

Mais il est difficile de savoir quelle orientation Joe Biden lui-même privilégie. Malgré sa longue expérience,Biden n’affiche pas de doctrine claire, épousant le plus souvent avec pragmatisme les positions de l’establishment de son parti : interventionnisme dans les Balkans dans les années 1990, soutien initial à la guerre en Irak de 2003, avant de s’y opposer, prudence dans les années Obama, partisan de l’engagement économique de la Chine avant de durcir le ton récemment. Prônant la restauration ("restoring the soul of America"), il assure aussi vouloir initier une nouvelle impulsion ("Build Back Better").

Au-delà d’une rhétorique bienveillante, une administration Biden pourrait attendre des Européens un alignement stratégique, notamment sur la question chinoise.

Son attachement aux alliances reflète à cet égard autant une orientation stratégique que la personnalité d’un candidat connu pour ses qualités humaines et son empathie. Le New York Times parlait récemment "d’empathie stratégique" pour désigner l’attitude diplomatique de Joe Biden.

Les voix progressistes, proches des campagnes Sanders et Warren, sont consultées et intégrées aux équipes (y compris via le réseau National Security Action) mais influencent davantage le programme sur les questions intérieures que sur la politique étrangère où certaines de leurs priorités (conditionnement de l’aide à Israël, réduction du budget de défense, engagement clair de retrait des troupes du Moyen-Orient ou d’Afghanistan) ne sont pas reflétées dans les discours du candidat. Seules quelques mesures géoéconomiques progressistes sont fréquemment reprises par le candidat (voir ci-après). 

Malgré l’absence notable de la politique étrangère dans cette campagne (sujet qui n’a même pas figuré au menu du premier débat entre Trump et Biden), l’on peut souligner quelques points saillants : la rivalité avec la Chine, la réhabilitation des alliances démocratiques et l’importance des questions géoéconomiques avec une focale sur la restauration du leadership américain en matière d’innovation. Au-delà d’une rhétorique bienveillante, une administration Biden pourrait attendre des Européens un alignement stratégique, notamment sur la question chinoise. Tandis que les questions de mécanique multilatérale (ONU, OMS, OMC) sont largement absentes des débats démocrates.

La rivalité sino-américaine comme cadre d’action

Dans le prolongement des dernières années, une administration Biden sera préoccupée prioritairement par la rivalité sino-américaine. Le programme du parti démocrate en 2020 mentionne par exemple la Chine 25 fois, contre 8 fois en 2016. Les figures influentes sur l’Asie dans le camp démocrate assurent désormais que la "convergence" de la Chine a échoué, et prônent la compétition, dans tous les secteurs. 

Mais, tandis que le camp Trump a privilégié la confrontation commerciale bilatérale, une administration Biden portera la confrontation sur la scène multilatérale et les enjeux globaux (cyber, investissements, énergie, information). Pour assurer la compétitivité des États-Unis et restaurer le leadership américain, les démocrates mettent avant tout l’accent sur des dépenses de R&D ambitieuses (300 milliards de dollars) et un investissement massif dans les infrastructures et la transition énergétique (2 000 milliards de dollars). Le découplage économique avec la Chine (y compris le rapatriement des chaînes de valeur), une idée autrefois cantonnée aux milieux des faucons les plus radicaux, est aujourd’hui mainstream après la pandémie du Covid-19. 

Les progressistes prônent de miser sur l’UE, et de s’intéresser de près à la stabilité de l’Europe ou encore aux populismes européens.

Longtemps partisan de l’engagement, soutenant par exemple l’intégration de la Chine dans l’OMC, Joe Biden a lui-même évolué sur la Chine. Il décrit aujourd’hui le dirigeant chinois Xi Jinping, qu’il a rencontré une douzaine de fois en tant que vice-président, comme un "voyou". Un article du New York Times décrivait la relation entre Biden et la Chine, passée d’un "optimisme prudent à la condamnation", comme emblématique de la relation entre les deux pays. Le candidat voit toutefois des voies de coopération avec Beijing sur les sujets climatiques, de non-prolifération et de sécurité sanitaire. 

Le grand retour des alliances, avec l’accent mis sur les démocraties 

L’administration Biden aura à cœur de renouer avec un dialogue constructif avec les alliés de l’Amérique, en particulier européens, lui permettant de se distinguer de son prédécesseur. Certains avancent l’idée qu’elle pourrait proposer une nouvelle "Charte des relations transatlantiques" dès le début du mandat.

Pour s’opposer aux puissances autoritaires, et pour contrer l’influence chinoise en particulier, le camp Biden suggère la constitution d’un front uni des démocraties. Le candidat promet la tenue d’un Sommet des Démocraties au cours de sa première année de mandat, rassemblant États démocratiques et acteurs de la société civile, tandis que d’autres réhabilitent l’idée d’un "D10". 

Vis-à-vis de l’Europe, la vision de la relation transatlantique reste conservatrice. La plupart des stratèges démocrates continue de voir avec suspicion le discours d’autonomie stratégique européenne et les efforts en matière de défense européenne. L’ancienne garde tend à réaffirmer la centralité de l’OTAN dans l’architecture de sécurité transatlantique. Quelques experts plus proches de la gauche progressiste poussent pour un soutien américain aux initiatives européennes en matière de défense. Après une administration Obama misant sur l’Allemagne et une administration Trump sur la France (au moins initialement), les progressistes prônent de miser sur l’UE, et de s’intéresser de près à la stabilité de l’Europe ou encore aux populismes européens.

La politique étrangère vis-à-vis de la Russie est quant à elle largement dominée par le prisme de la politique intérieure. Quelques voix se positionnent pour sortir d’une posture de confrontation rigide, certains poussent pour une reprise des négociations en matière d’arms control, d’autres plaident pour un durcissement encore plus grand (l’annonce de retrait de troupes américaines d’Allemagne a été condamnée par la campagne Biden comme un "cadeau à Poutine"). Le débat interne au camp démocrate est loin d’être tranché. 

Les questions géoéconomiques seront prioritaires

La prise de conscience de la perte de statut relatif des États-Unis face à la Chine sur la scène internationale poussera la prochaine administration à se concentrer sur les enjeux géoéconomiques : innovation, infrastructure, recherche et éducation sont au cœur de la stratégie de puissance américaine.

L’administration Biden réintégrera l’Accord de Paris au premier jour de son mandat et travaillera à une nouvelle contribution nationale (conforme avec l’objectif de neutralité carbone en 2050) avec des conseillers climat au plus haut niveau (création d’un Conseil national sur le climat à la Maison-Blanche). L’équipe Biden ne cache pas sa volonté d’utiliser son retour sur la scène climatique internationale pour exiger davantage d’efforts de l’ensemble de ses partenaires (à commencer par la Chine qui vient d’annoncer un objectif de neutralité à 2060), ce qui pourrait s’incarner dans un sommet climat des économies majeures à l’été 2021. 

L’arme économique continuera de gagner en importance dans les outils de politique étrangère des États-Unis et le Département du Trésor restera un acteur central de la politique étrangère américaine.

Sur les questions numériques et relatives aux nouvelles technologies, la priorité sera donnée à la régulation et la création de normes et standards communs. Le discours développé par la Commission européenne sur la "souveraineté digitale" et la question de l’imposition des services numériques resteront des sujets de différend pour une administration démocrate. Il faut toutefois noter la pénétration d’un discours européen sur les questions d’antitrust et de protection des données chez une partie de l’électorat démocrate, en partie à la suite des révélations concernant le rôle de Facebook dans les opérations d’ingérence et de désinformation au cours de la campagne de 2016. 

Priorité de la gauche progressiste, la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et les abus des régimes kleptocratiques est vu comme un enjeu à la fois de moralisation du capitalisme mais aussi comme un instrument d’affirmation de puissance face aux régimes autoritaires. Elle se décline aussi en interne : le Congressman démocrate Tom Malinowsky, ancien de l’administration Obama, a ainsi proposé de mettre fin à l’anonymat des propriétaires des sociétés écran aux États-Unis. Sur le plan commercial, le camp Biden ne remet pas en cause la posture protectionniste de Donald Trump, et apporte son propre projet "Made in All of America".

L’arme économique continuera de gagner en importance dans les outils de politique étrangère des États-Unis et le Département du Trésor restera un acteur central de la politique étrangère américaine.Vues comme une alternative pratique à l’usage de la force, les sanctions resteront un instrument privilégié des démocrates, tandis que les stratèges démocrates suggèrent d’intégrer encore davantage les questions économiques dans la grand strategy et les alliances

Le corollaire de cette priorité donnée à la géoéconomie est que, tout comme les administrations Obama et Trump, une administration Biden aura à cœur d’éviter toute implication militaire prolongée au Moyen-Orient, privilégiant la poursuite d’une stratégie du repli et de la retenue. Par ailleurs, tout porte à croire qu’une administration Biden ne reviendra pas sur l’initiative de son prédécesseur quant au déplacement de l’Ambassade à Jérusalem, et elle montrera peu d’appétence pour la question palestinienne.

Beaucoup de questions resteront en suspens avant que l’administration Biden n’entre en fonction. Les orientations de la nouvelle administration dépendront des nominations politiques, des crises en développement et des initiatives des alliés comme des rivaux. Les premiers mois donneront des indications sur les points suivants.

  • L’équipe Biden aura-t-elle à cœur de revenir sur les initiatives de l’ère Trump pour l’effacer ou va-t-elle profiter des marges de manœuvre dégagées par son prédécesseur ? (Iran, climat, OTAN, Corée du Nord, Afghanistan)
     
  • L’équipe Biden montera-t-elle d’un cran dans la rivalité avec la Chine (y compris en consolidant le clan opposé, par exemple en consolidant son partenariat avec l’Inde) ou va-t-elle chercher à apaiser la relation pour collaborer sur les enjeux globaux en souffrance (pandémie, climat) ?
     
  • L’équipe Biden mettra-t-elle au cœur de sa stratégie la question de la défense de la démocratie en interne (lutte contre les manipulations de l’information) comme en externe (lutte contre les néo-autoritaires, même alliés) ? 

Hypothèse Trump II : radicalisation et chaos

Bien peu d’observateurs se risquent à pronostiquer ce qu’il adviendra en cas de réélection de Donald Trump. Peu enclins à imaginer cette perspective, quitte à s’enferrer dans la même confiance aveugle qu’en 2016, les Européens sont encore moins intéressés par l’identification d’éventuels points de convergence, ou d’une liste d’intérêts défensifs et offensifs en cas de réélection. 

Les priorités personnelles de Donald Trump [...] dépendront grandement de la légitimité du Président au lendemain de sa réélection.

Il est aussi difficile d’identifier les personnalités qui compteront dans un second mandat. L’envoyé spécial pour les Balkans Rick Grenell, et l’Ambassadeur en Allemagne Douglas McGregor ont a développé une relation de confiance avec le Président, tandis que Jared Kushner sort renforcé de la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis/Bahreïn. Les personnalités jugées raisonnables par les Européens pourraient à leur tour quitter l’administration (Mark Esper, Steven Mnuchin, Matt Pottinger).

D’autres comme Mike Pompeo ou Nikki Haley seront tentées de passer leur tour pour préparer 2024 tandis que Tom Cotton, sénateur faucon de l’Arkansas, pourrait hériter du Pentagone. Les sénateurs Ted Cruz et Josh Hawley, présents sur la liste de nominations de Donald Trump pour la Cour Suprême, seront des figures importantes d’un second mandat. Il est aussi possible qu’une nouvelle génération de jeunes stratèges, comme Matt Kroenig ou Elbridge Colby, rejoigne l’administration pour tenter de réconcilier le nationalisme de Trump avec un réalisme conservateur plus traditionnel. 

Toutefois, de l’avis d’anciens collaborateurs de cette administration, la prise de décision est plus que jamais concentrée au sommet. Les collaborateurs seront amenés à continuer de changer, et leur parole n’a une valeur que relative puisqu’elle est souvent contredite par des décisions présidentielles non discutées en interne. 

En conséquence, les priorités personnelles de Donald Trump sont davantage prédictives d’un second mandat. Celles-ci dépendront grandement de la légitimité du Président Trump au lendemain de sa réélection. Trois scénarios sont envisageables.

  • Victoire courte et contestation : s’il se maintient au pouvoir grâce au jeu de la carte électorale et non d’une victoire du vote populaire comme en 2016, on peut s’attendre à un déficit de légitimité pour la branche exécutive et une polarisation accrue du pays. Inquiet de sa légitimité interne, le Président Trump cherchera des validations extérieures, sous la forme d’accords, ou, au contraire, de conflits ponctuels. Du manque de légitimité pourrait naître une attitude punitive envers des partenaires européens qui se montreraient un peu trop critiques. En revanche, une occasion de faire un coup sur les grands sujets qui lui tiennent à cœur (tels que le commerce ou l’Iran) serait vue positivement.
     
  • Victoire nette et radicalisation : s’il était confirmé confortablement dans un second mandat, après avoir eu le sentiment que son premier mandat lui a été volé par l’establishment (enquête sur la collusion russe, etc.), Trump se sentira renforcé dans ses convictions et intuitions nationalistes, unilatérales et mercantilistes. La politique d’immigration sera encore durcie (elle l’a été considérablement durant la pandémie), tandis que le système d’alliances sera encore mis à mal. On peut dès lors aisément imaginer une continuité avec certaines des politiques engagées au cours du premier mandat : pressions commerciales sur l’Europe et la Chine, retraits militaires des théâtres européens et moyen-orientaux, mise à mal des alliances (avec un risque de retrait de l’OTAN).
     
  • Maintien au pouvoir sans victoire : dans un scénario extrême, peu probable mais évoqué récemment, où le suffrage populaire serait invalidé (en prétextant par exemple une fraude électorale massive) et la victoire assurée par des manœuvres politiques ou juridiques (toutefois autorisées par la Constitution), les États-Unis feraient face à une crise institutionnelle et constitutionnelle sans précédent dans l’histoire moderne. Seules les institutions fédérales (Congrès, Cour Suprême), bien que prises dans l’étau de la division, pourraient alors faire rempart au chaos, à travers une destitution, un arrêt ou un amendement à la Constitution. Dans ce cas, les États-Unis ne pourront s’occuper des affaires internationales, opportunité idéale pour des puissances rivales. 

La France et l’Europe doivent se préparer aux deux scénarios (de la même façon)

Malgré l’écart abyssal entre les options et attitudes envisagées pour une administration Biden et une administration Trump II, l’une comme l’autre seront marquées par quelques tendances de fond qui encadreront les débats et définiront les contours de l’action internationale de la prochaine administration : la priorité intérieure (isolationnisme trumpien et nation building at home chez les démocrates), la rivalité stratégique avec la Chine, une réticence vis-à-vis des interventions militaires en particulier dans le voisinage méditerranéen et moyen-oriental de l’Europe. Par ailleurs, certains sujets comme la nature de l’alliance avec la Turquie ne sont pas tranchés, même si l’administration Trump a fait preuve jusqu’ici d’une grande docilité vis-à-vis d’Ankara. 

La brutalité des années Trump a fait oublier à certains l’indifférence froide des années Obama où la question du "burden-sharing" était déjà posée (comme lorsque le Président Obama désignait la France et le Royaume-Uni comme des "passagers clandestins" après l’opération libyenne). Lorsque les Européens n’étaient pas perçus à Washington comme pesant sur un dossier, même s’ils étaient directement touchés, ils n’étaient consultés que de façon symbolique. Au cours de la dernière année de l’administration Obama par exemple, le secrétaire d’État John Kerry a mené une diplomatie bilatérale avec la Russie sur le dossier syrien, en limitant les consultations avec les Européens, vus comme absents du terrain.

Le modèle de la diplomatie du EU-3 avec Téhéran, entamée en 2003 et préfigurant ensuite de la diplomatie américaine sur ce dossier, est un précédent intéressant. 

C’est en pesant sur les dossiers, en faisant preuve de créativité, que les Européens peuvent préparer le terrain avant le nouveau mandat présidentiel américain. À cet égard, le modèle de la diplomatie du EU-3 avec Téhéran, entamée en 2003 et préfigurant ensuite de la diplomatie américaine sur ce dossier, est un précédent intéressant. Quelques premières pistes peuvent être ici soulignées.

En cas de victoire de Biden

  • Le nouveau président sera contraint par la situation pandémique et économique intérieure qui aura toute sa priorité, sur fond de déficits massifs. Il sera également contraint par sa base progressiste qui lui demandera des comptes. Dans ce contexte, des propositions ambitieuses sur le front du climat pourraient lui permettre de réconcilier les attentes progressistes et d’investir dans un plan de relance. De même, une négociation transatlantique sur la taxation des GAFA pourrait aussi être valorisée par l’administration Biden comme un effort de lutte contre les injustices fiscales.
     
  • Même si l’arrivée de Joe Biden signalerait un nouveau départ, les Européens devront souligner le déficit de crédibilité et de fiabilité de la parole américaine après quatre années de disruption Trump. Pour se prémunir du risque de nouveaux mouvements de balancier, Américains et Européens devront travailler ensemble à la réforme des institutions multilatérales. Si l’Amérique connait une nouvelle éclipse dans quatre ans ou huit ans, il va des intérêts américain et européen de long terme d’avoir des institutions multilatérales résilientes (OMS, OMC, etc.), qui pourront aussi bien résister à l’hostilité américaine qu’à l’entrisme chinois. 
     
  • En préparation d’un allié américain sur le retrait, il faudra miser sur un approfondissement de la coopération intra-européenne pour peser dans le règlement des conflits – en Méditerranée Orientale, en Libye, en Syrie, etc.

En cas de réélection de Trump

  • L’administration reste concentrée à la Maison-Blanche et la relation au Président Trump (ou son cercle le plus proche, comme Jared Kushner) reste la clef de voûte du système. Les leaders qui ont su tirer leur épingle du jeu lors du premier mandat sont avant tout ceux qui ont non seulement entretenu de bonnes relations personnelles, mais qui ont veillé à récompenser politiquement Donald Trump (comme Narendra Modi à travers les évènements Howdy Modi, Shinzo Abe en le nominant au Prix Nobel, Benyamin Netanyahou en lui offrant la parenté des accords de paix Abraham).
     
  • Le Président Trump obéit par ailleurs à des injonctions tactiques, lui permettant de valoriser son bilan. Il sera donc réceptif aux propositions de partenaires lui permettant d’obtenir un "Big Deal", comme par exemple un grand accord de commerce bilatéral, un nouvel accord d’arms control, un accord avec la Corée du Nord ou l’Iran, ou, bien sûr, tout accord permettant de décrocher un prix Nobel. 
     
  • Le Président Trump voit dans les alliés des quémandeurs, qui vivent aux crochets de l’Amérique. S’ils souhaitent protéger l’OTAN, les Européens ne pourront pas invoquer les valeurs, mais devront démontrer en quoi cette alliance bénéficie directement l’Amérique (à la fois en Europe, au Moyen-Orient et en Asie), sans trop lui coûter. 
     
  • Enfin, une réélection de Donald Trump provoquera une onde de choc bien supérieure à celle de 2016, du fait de la confirmation de l’orientation nationaliste, unilatéraliste et transactionnelle de l’Amérique. Les dirigeants qui se retrouvent dans ce modèle, en Europe et ailleurs, seront enhardis par ce développement, laissant l’Europe davantage isolée stratégiquement. Cette perspective exigera une réflexion profonde sur les intérêts européens dans un monde de Trump.

 

 

Copyright : Francois Mori / POOL / AFP

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