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17/03/2021

Face au virus, le retour du politique

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Face au virus, le retour du politique
 Nicolas Bauquet
Auteur
Expert en transformation publique

Suspension de l’administration du vaccin d’Astrazeneca, attente de la décision de reconfinement de l’Île-de-France, inquiétudes devant un "variant breton" plus difficilement détectable… Un an après la décision dramatique qui a conduit à confiner le pays le 17 mars 2020, le Covid-19 continue de représenter un défi redoutable pour l’organisation de la décision politique et son rapport à l’expertise scientifique. Une question qui se pose avec une acuité particulière en France et en Europe, où chacun sent que la manière dont nos démocraties sortiront de la crise pandémique jouera un rôle déterminant dans leur place dans la compétition politique et géopolitique mondiale, mais aussi dans la crédibilité de leurs institutions vis-à-vis de leurs citoyens. 

Du virus au vaccin, le retour du politique 

Paradoxalement, la crise pandémique aura marqué le retour du politique et sa capacité à avoir prise sur le réel dans sa plus grande complexité. Face au virus lui-même d’abord : dans de nombreux pays asiatiques, de Taïwan à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Australie ou la Corée du sud, des prises de décision rapides, une utilisation déterminée des outils numériques, et une communication pensée de façon stratégique ont permis de mettre un coup d’arrêt à la circulation du virus. Grâce au vaccin, ensuite : aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Israël, un volontarisme politique parfois jugé excessif ou désordonné a pourtant permis la mise en place de modes d’organisation efficaces associant secteur privé et secteur public, combinant un soutien massif à la recherche, des initiatives concrètes de politique industrielle, et la signature de contrats d’achats précoces d’un vaste choix de vaccins. Un immense effort, fruit d’une volonté politique forte, qui se traduit aujourd’hui par des résultats incontestables sur le plan sanitaire, qui viennent dans certains cas compenser une gestion parfois erratique de la pandémie.

Les pays qui se sont lancés avec le plus de détermination dans la course au vaccin ont parié sur la combinaison de la recherche scientifique, de l’initiative privée et de l’investissement public pour rendre possible ce qui apparaissait à d’autres comme impossible.

Cette primauté du politique ne signifie pas, bien au contraire, le mépris de la science ou de la technologie. Les nations qui ont fait le choix du "zéro Covid" se sont appuyées précocement sur l’expertise de leurs scientifiques, étroitement associés aux décisions gouvernementales comme aux dispositifs de communication. Les pays qui se sont lancés avec le plus de détermination dans la course au vaccin ont parié sur la combinaison de la recherche scientifique, de l’initiative privée et de l’investissement public pour rendre possible ce qui apparaissait à d’autres comme impossible. Ils ont aussi pu s’appuyer sur une recherche universitaire en lien direct avec les grandes entreprises du secteur pharmaceutique et avec les startups. Enfin, ils ont choisi de prendre un risque politique en acceptant de dégager les fabricants des risques juridiques liés à l’administration des vaccins.

Dans chacun de ces pays, cette volonté politique n’a pu prendre corps qu’en s’appuyant sur une organisation de l’action publique alliant souplesse et efficacité, utilisant toutes les potentialités du numérique, et s’appuyant sur la force du secteur privé. Qu’il s’agisse de l’opération Warp Speed américaine, de la Vaccine Taskforce britannique, ou de l’effort de vaccination israëlien, on retrouve les mêmes facteurs de succès : la diversité des expertises et des profils réunis dans un même effort collectif, la capacité à mobiliser l’ensemble des départements ministériels grâce à une organisation transversale, et la volonté de s’appuyer largement sur les acteurs privés les plus efficaces pour atteindre des objectifs clairement définis par la puissance publique et partagés avec le public dans un effort de communication mené d’un bout à l’autre de l’opération. 

Reconstruire une ambition politique nationale 

En France aussi, on a pu assister à un retour du politique, mais sous la forme d’une mise à distance d’une expertise médicale parfois jugée envahissante. Après une phase où le Conseil scientifique a pu incarner une forme de pouvoir parallèle, Emmanuel Macron a clairement envoyé le signal d’une primauté du politique, garant des équilibres de la nation, et des choix dont il aura à porter la responsabilité. C’est le cas, par exemple, de la décision de maintenir ouverts les établissements scolaires. La séquence actuelle en est le reflet : après un rapport du Conseil scientifique communiqué le 11 mars, et une réunion entre le président de la République et certains de ses membres hier, c’est en dehors de la présence des experts que le président, entouré de quelques ministres et hauts fonctionnaires, a pris de nouvelles décisions lors du Conseil de défense sanitaire de ce matin, mercredi 17 mars. 

Mais si la gestion de l’épidémie est bien politique, le Conseil de défense est-il encore le cadre le plus adapté à cette prise de décision ? Plus d’un an après le début de la pandémie, est-il encore pertinent de recourir aux outils et aux concepts de la "gestion de crise" et n’est-il pas urgent de retrouver tous les outils du débat et de la décision publiques ? La question pourrait sembler technique, mais elle ne l’est pas, ou plutôt elle pose précisément la question du rapport du technique et du politique dans notre système d’action publique. Un nombre limité de participants qui peuvent faire le point, entre eux, sur la situation, examiner toutes les options possibles à l’abri des indiscrétions, trancher en faveur de la solution qui paraît la meilleure ou la moins mauvaise, autant d’éléments qui justifient, techniquement, un format qui semble avoir fait la preuve de son efficacité depuis un an.

Mais l’efficacité technique n’implique pas nécessairement l’efficience politique. Car celle-ci naît aussi de la confrontation des profils et des perspectives, de la capacité à faire émerger une vision transformatrice et à la faire porter par d’autres, à faire naître un projet, et donc un "nous". Passée la phase d’extrême urgence, la crise ne se gère pas, elle se gouverne, par une action publique qui ne peut faire l’économie du politique sous peine d’éroder ce qui est au fond notre seule ressource face à l’incertitude de la crise : la certitude de notre être collectif, le sentiment de pouvoir agir ensemble, le secours de se savoir des êtres politiques. C’est de cette certitude-là que peut découler, ensuite, l’efficacité technique : de la décision politique forte peut découler une action publique efficace. Il n’y a pas d’État profond quand la vision politique en éclaire les objectifs et les rouages. 

La certitude de notre être collectif, le sentiment de pouvoir agir ensemble, le secours de se savoir des êtres politiques. C’est de cette certitude-là que peut découler, ensuite, l’efficacité technique.

Avec ou sans l’Europe ? 

Et l’Europe dans tout ça ? Et peut-on concevoir une ambition politique française sans qu’elle soit européenne ? La crise européenne et son miroir britannique nous invitent en fait à inverser la perspective. Car le grand paradoxe de la réussite vaccinale britannique, c’est qu’elle s’est produite pendant une année où, techniquement, la Grande-Bretagne était soumise aux mêmes règles que les vingt-sept autres pays de l’Union européenne. 

L’UE a été un cadre précieux pour affirmer une solidarité européenne dans l’achat et la répartition des vaccins. Mais rien n’empêchait notre pays de faire preuve de volontarisme aussi au niveau national sur tout ce que l’Europe ne pouvait ou ne savait pas encore faire : aplanir toutes les difficultés pour mener des essais cliniques à grande échelle avec un grand nombre de laboratoires, accompagner financièrement les entreprises les plus innovantes, programmer la mise en place de chaînes de production y compris en rachetant directement des sites industriels, engager un important effort de formation des personnels appelés à travailler dans ces nouvelles filières, communiquer précocement et massivement sur toutes ces initiatives, rien de ce qu’a fait la task force britannique n’était incompatible avec un engagement européen fort, et la conviction que l’Europe, si elle devenait un véritable acteur politique, pourrait non seulement être efficace, mais être inspirante. 

En attendant qu’elle le soit, ne nous interdisons pas de l’être, et de faire de la pandémie ce qu’elle doit enfin devenir, un an après l’entrée dans le temps de l’urgence : un objet politique, qui nous donne l’opportunité de mesurer ensemble la force de notre communauté de destin. 

 

Copyright : Christophe ARCHAMBAULT / AFP

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