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30/04/2019

Emmanuel Macron, du "je" au "nous"

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Emmanuel Macron, du
 Bruno Cautrès
Auteur
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

Emmanuel Macron s’est exprimé lors d’une conférence de presse le 25 avril dernier, afin de répondre aux attentes suscités lors du grand débat national. L’occasion, aussi, de réaffirmer son cap et de justifier les décisions prises lors de la première partie de son quinquennat. Que retenir de son intervention ? Comment lire à travers les lignes du discours d’un Président qui fait face à une crise sociale majeure ? Une analyse de Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof.

Dans un article de synthèse sur "L’apport de la science politique à l’étude des langages du politique", le politiste Philippe Braud rappelle l’importance de la dimension symbolique du pouvoir des mots en politique : "il faut des mots pour identifier les acteurs et la nature de leurs relations sur l’échelle amis/ennemis ; il faut des mots pour situer les actes sur le registre du Bien ou du Mal, c’est-à-dire pouvoir légitimer ou stigmatiser, ce qui demeure une dimension essentielle des affrontements politiques (…) En politique, plus encore qu’ailleurs dans la vie sociale, les mots sont des actes".

Dans un décor théâtralisant la verticalité élyséenne et symbolisant le retour à une forme traditionnelle de conférence de presse, Emmanuel Macron avait un premier objectif, peut-être même un unique objectif : reprendre le contrôle d’un agenda politique et d’une situation qui lui a échappé depuis plusieurs mois. La crise dont Emmanuel Macron cherche à s’extraire n’est, en effet, pas seulement limitée à l’explosion de colère populaire des Gilets jaunes. Cette dernière n’est que la partie la plus visible, la plus spectaculaire et la plus douloureuse. Mais la crise que l’exécutif tente par tous les moyens de faire rentrer dans le rang, à défaut de pouvoir totalement la maîtriser, est une crise plus profonde. Elle a commencé bien avant les Gilets jaunes et trouve son origine dans les premières vraies difficultés qu’a connues le président de la République avec les Français au moment de "l’affaire Benalla". Peut-être même a-t-elle commencé encore plus tôt, très vite après l’élection d’Emmanuel Macron.

La crise des Gilets jaunes [...] n’est que la partie la plus visible, la plus spectaculaire et la plus douloureuse. Mais la crise que l’exécutif tente par tous les moyens de faire rentrer dans le rang, à défaut de pouvoir totalement la maîtriser, est une crise plus profonde.

S’il faut toujours se méfier des reconstructions rétrospectives, qui trouvent le sens des évènements a posteriori, il est permis de se demander si la proclamation d’une "révolution" à venir n’est pas largement responsable du gouffre d’incompréhensions qui s’est creusé entre lui et une partie importante des Français. En proposant un "changement de paradigme", notamment au plan économique et social, Emmanuel Macron s’est aventuré sur un terrain délicat, très largement miné même. Si la rhétorique opposant "ancien monde" et "nouveau monde" a perdu de son importance dans les discours de l’exécutif et de son entourage, elle fut un marqueur fondamental du discours de conquête de pouvoir. Le diagnostic d’une transformation profonde des sociétés capitalistes modernes du début du 21ème siècle est sans doute très juste, mais une bonne partie des Français vit toujours dans les inégalités sociales produites par "l’ancien monde".

Le sentiment d’une France bloquée, où le destin social est joué d’avance, domine très largement dans l’opinion, un sentiment qui (paradoxalement) constituait le cheval de bataille du projet macronien. Les catégories les plus touchées par les inégalités et les plus exposées aux nouveaux risques de la mondialisation ont rapidement considéré que la "révolution" promise n’améliorerait pas de manière fondamentale leur situation. L’incompréhension totale s’était d’ailleurs clairement manifestée au moment de la réforme des cotisations sociales : d’un côté, un gouvernement ne cessant de monter au créneau sur le thème de l’amélioration du pouvoir d’achat ; de l’autre, une immense frustration que cette augmentation ne se traduise que par quelques dizaines d’euros par mois en plus sur la fiche de paie. Le même scénario se reproduisit avec la suppression partielle et progressive de la taxe d’habitation ou encore l’annonce du plan de lutte contre la pauvreté, le "reste à charge 0". Bien avant les Gilets jaunes, de multiples signes indiquaient clairement une importante rupture du faisceau qui avait uni Emmanuel Macron à une France en attente d’un homme politique pragmatique, réglant les problèmes et libérant les énergies prisonnières des inégalités.

Cette rupture fut une grande déchirure de la confiance, comme en atteste les courbes de popularité qui ont flirté au mois de décembre avec les niveaux atteints par François Hollande. Tout l’enjeu, pour Emmanuel Macron est, à présent, d’essayer de retisser tout ou une partie de ce faisceau. Toutes ses récentes prises de paroles, déclaration ou allocutions, s’inscrivent dans cette même direction. L’analyse de son discours prononcé à l’Elysée le 25 avril avant la séquence des questions-réponses avec les journalistes, en dit très long à cet égard. Ce texte, riche en contenus multiples, nécessiterait plusieurs analyses. Plusieurs directions sont en effet possibles pour en faire ressortir les secrets sémantiques. Mais avant même cela, remarquons que le discours présidentiel repose sur un subtil jeu de miroirs et de glace sans tain : annoncé comme une grande rupture ("rien ne sera plus comme avant"), le discours ne cesse en fait de faire revivre, en creux, le projet initial d’Emmanuel Macron. Tacticien de la politique au meilleur sens du terme, le chef de l’Etat est également un bon dialecticien : comme au judo, il se sert de la puissance de l’adversaire pour mieux le renverser. Au tennis, cela s’appelle jouer "à la McEnroe"…prendre la balle au sommet du rebond et laisser l’adversaire s’user à donner des effets ou taper fort. Il ne faut en effet pas se tromper : Emmanuel Macron n’a rien cédé de son projet initial, en tout cas rien de fondamental. Le mérite, le travail, l’appel aux valeurs de la France, la société de l’équité et non des rentes de situation, la modernisation de l’Etat et la réflexion sur son périmètre, un nouvel "acte de la décentralisation", ne sont que quelques exemples qui jalonnent le discours présidentiel du 25 avril de manière directe ou entre les lignes. La question se pose d’ailleurs de savoir si c’est le projet de départ d’Emmanuel Macron qui a été ainsi rappelé ou si c’est seulement l’apparence de ce projet, à présent. Autrement dit, le projet de départ s’est-il adapté à la sortie de crise des Gilets jaunes ou a-t-il été remis en cause plus fondamentalement ? À moins que le macronisme de départ ne soit, en lui-même, suffisamment plastique pour se remodeler en fonction des contextes et des évènements.

L’analyse léxicométrique permet d’aller en profondeur dans le texte du discours présidentiel. Elle repose sur des traitements statistiques qui permettent de réaliser une véritable "fouille des données". Le matériau en est constitué par le texte lui-même, tous les mots écrits avant d’être prononcés par le Président. L’analyse textuelle et sémantique de ce matériau permet d’en révéler l’un des secrets les plus enfouis : ce n’est pas tant séduire tel ou tel électorat dont il était question, ni même passer des messages à différents segments de la population. La structure narrative fondamentale du discours présidentiel est moins dans les annonces ou mesures décidées que dans la volonté de retisser le lien déchiré avec les Français.

Tout le discours repose en effet sur la dualité du "je" et du "nous". Dans ce discours, Emmanuel Macron ne cesse de vouloir s’inclure dans le "nous" et s’en extraire pour mieux poser son rôle de guide visionnaire qui prend les décisions courageuses.

Tout le discours repose en effet sur la dualité du "je" et du "nous". Dans ce discours, Emmanuel Macron ne cesse de vouloir s’inclure dans le "nous" et s’en extraire pour mieux poser son rôle de guide visionnaire qui prend les décisions courageuses. Il veut nous montrer qu’il est "l’un des nôtres" et non le "Président des riches" ; mais il veut également affirmer que rien ne le détournera de sa mission sacrée, sauver la France. Il nous dépeint, nous les Français, nos qualités et nos défauts, pour mieux se montrer à l’écoute de nos maux et jouer la proximité et l’empathie, deux qualités dont les Français ne le créditent pas facilement. Il se dépeint en chef de la Nation, pragmatique mais très volontaire : il fait, il veut, il croit, il ambitionne, il se donne à sa mission "passionnément". Sans doute espère-t-il que cette fougue réformatrice amènera les Français à tempérer leurs critiques, mettant les erreurs sur le compte de la passion.

Emmanuel macron, du "je" au "nous"

 

Cet appel à rentrer à nouveau en fusion, comme lors des meetings enflammés de la présidentielle, est illustré par le nuage des mots du discours présidentiel. Plus encore que le "je", c’est le "nous" qui occupe la place centrale. Toutes les connotations qui évoquent ce "nous" occupent un rôle central dans le texte du discours : "nous", "notre", "nos concitoyens", "vous", "nous avons". Si l’objectif est de renouer le "je" présidentiel avec le "nous" des Français, on peut prédire que la mise en œuvre des mesures et leurs contours plus précis à venir vont créer des tensions et des conflits d’interprétations également. Le nuage des mots montre que le Président a su éviter, le 25 avril, que des mots trop précis ne viennent éveiller ces tensions potentielles. Le vocabulaire de l’action et du "faire" est très présent également, soulignant la dynamique positive dans laquelle le Président projette l’image de son action et des chantiers à venir. Cette "co-construction" dans laquelle il veut s’inscrire aujourd’hui (avec les élus locaux, les partenaires sociaux et les Français) sera-t-elle perçue comme un authentique changement de gouvernance ? Le changement de méthode et de gouvernance annoncé tiendra-t-il ce cap ou retomberons-nous vite dans le clivage fondamental qui s’est installé dans le pays à propos d’Emmanuel Macron ? D’un côté, le "Président des riches pas à l’écoute du peuple" et de l’autre côté le "réformateur courageux qui se tient à son programme".

À suivre….
 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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