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24/06/2019

Donald Trump n'a pas encore gagné

Donald Trump n'a pas encore gagné
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Donald Trump a lancé en fanfare la campagne pour sa réélection en 2020. Mais son choix de rééditer les recettes de 2016 comporte un risque : peut-on se comporter comme un "outsider" quand on est depuis plus de trois ans le président des Etats-Unis ?

Qui sera le prochain président des Etats-Unis ? La prévision est un art difficile, surtout en politique. Comment ne pas prendre ses désirs pour des réalités ? Comment aussi ne pas tomber dans le piège du conformisme ? Alors que Donald Trump vient, à Orlando, en Floride, de lancer la campagne pour sa réélection, ces deux avertissements semblent plus d'actualité que jamais.

Comme par un effet de compensation, nombre de ceux qui avaient, surtout parmi les élites, jugé l'élection de Trump impossible en 2016, semblent considérer sa réélection comme plus que probable, sinon inévitable en 2020. Comment pourrait-il en être autrement avec des résultats économiques si spectaculaires du côté républicain, et des divisions si profondes du côté démocrate ?

Au lendemain de son accession à la Maison-Blanche en 2017, Donald Trump avait appelé au téléphone Nancy Pelosi, qui est depuis 2019 la présidente de la Chambre des représentants. Cette dernière lui avait demandé comment il avait fait pour être élu ? "Très simple", lui avait-il répondu : "J'ai perçu la profondeur de la colère du peuple et je l'ai exprimée."

Cette anecdote puisée à bonnes sources devrait faire réfléchir tous ceux qui croient à la réélection du locataire de la Maison-Blanche. Donald Trump se trompe-t-il en appliquant - comme il semble vouloir le faire en 2019 - les recettes qui firent son succès en 2016 ? Autrement dit, peut-on se comporter comme un "outsider", toujours animé par la colère, quand on est depuis plus de trois ans le président des Etats-Unis ?

La colère a-t-elle changé de camp ?

Et si la colère avait changé de camp ? La colère de tous ceux qui se sentaient ignorés, méprisés, invisibles, peut-elle rester intacte après une victoire spectaculaire qui a porté leur candidat à la présidence, quand de "marginaux" on est devenu en quelque sorte "centraux" ? À l'inverse, la colère de tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans la direction prise par cette nouvelle Amérique et qui se sentent humiliés par la brutalité, la vulgarité, le sexisme, et le rapport au monde du 45e président des Etats-Unis, n'a fait que s'accroître au fil du temps.

Des sondages réalisés tout dernièrement donnent à l'ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden - s'il était bien le candidat choisi par le Parti démocrate, à l'issue du processus des primaires - une avance de 9 points sur Donald Trump.

"Four more years", quatre années de plus, scandent les partisans de Donald Trump. "Pas un jour de plus", répliquent ses opposants. Des sondages réalisés tout dernièrement, et dont il ne faut pas exagérer l'importance, donnent à l'ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden - s'il était bien le candidat choisi par le Parti démocrate, à l'issue du processus des primaires - une avance de 9 points sur Donald Trump.

On serait presque tenté de dire, de manière provocatrice, que seul le Parti démocrate, par ses divisions et ses hésitations, peut reconduire Donald Trump à la Maison-Blanche. L'actuel président des Etats-Unis est rusé et habile, brillant même à sa manière. Mais si les Afro-Américains, les Hispaniques, les femmes et les jeunes se mobilisent en 2020, comme ils l'ont fait aux élections de mi-mandat en 2018, la tâche s'avérera difficile - sinon insurmontable - pour le président en place. Comme Jimmy Carter en 1980, ou George Bush en 1992 - deux personnalités radicalement différentes de la sienne -, Donald Trump connaîtra l'humiliation de la défaite. En tout cas, rien n'est joué.

Les leçons de Macron en 2017…

Dans cette période complexe, sinon confuse, les analystes de la politique intérieure américaine feraient bien, une fois n'est pas coutume, de traverser l'Atlantique et de tirer des enseignements de la vie politique française récente. Les démocrates l'ont déjà fait, en se demandant si l'élection surprise d'Emmanuel Macron pouvait constituer pour eux une source d'inspiration. Y aurait-il un "Macron à l'américaine" ? Autrement dit, comment gagner "au centre", comment privilégier la raison, quand les passions montent de droite comme de gauche ? Ce regard porté sur la France serait un juste retour des choses si l'on considère que le mouvement En marche s'est initialement inspiré lui-même de la réussite de la candidature de Barack Obama aux élections présidentielles de 2008.

…et de Sarkozy en 2012

Les républicains, de leur côté, devraient se demander si l'Amérique de 2020 ne risque pas de ressembler à la France de 2012. Avec, dans les deux cas, un président en place rejeté par une majorité de ses compatriotes, qui veulent plus sa défaite qu'ils n'attendent avec enthousiasme la victoire de son principal opposant.

Le double parallèle Trump/Sarkozy et Biden/Hollande ne résiste peut-être pas à une analyse en profondeur des personnalités en question. Trump n'est pas Sarkozy, Biden n'est pas Hollande. Et pourtant, cette comparaison est éclairante et, au-delà de différences de situations bien réelles, surtout sur le plan économique - la croissance aux Etats-Unis et le chômage en France -, il existe des points communs plus encore entre Trump et Sarkozy.

Trump n'est pas Sarkozy, Biden n'est pas Hollande. Et pourtant, cette comparaison est éclairante et, au-delà de différences de situations bien réelles [...] il existe des points communs plus encore entre Trump et Sarkozy.

Ils sont ou ont été rejetés, plus pour la perception de leur essence respective, que pour leurs performances, ce qu'ils font ou ont fait. Une majorité de Français hier, peut-être d'Américains demain, ne pouvaient ou ne peuvent tout simplement se faire à l'idée que l'homme qu'ils exècrent soit réélu. Ce n'est plus le "Paris vaut bien une messe" d'Henri IV, mais, pour le dire autrement, "la défaite de Trump ou Sarkozy vaut bien la prise de risque de l'élection d'un Joe Biden ou d'un François Hollande". Autrement dit, Biden a beau paraître "trop vieux", tout comme Hollande semblait "trop peu charismatique", en politique on élimine plus souvent que l'on ne choisit.

À ces incertitudes strictement politiques, s'ajoutent des considérations géopolitiques. "Rien ne vaut une bonne petite guerre avant une échéance électorale", disait le président Underwood dans la série House of Cards. L'escalade militaire avec l'Iran si elle débouchait sur l'usage de la force, modifiera-t-elle les cartes politiques ?

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 24/06/2019)

Copyright : MANDEL NGAN / AFP

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