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31/07/2019

[Démocraties résilientes] Afrique du Sud – démocratie à l'épreuve du temps

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[Démocraties résilientes] Afrique du Sud – démocratie à l'épreuve du temps
 Marianne Séverin
Auteur
Chercheur associée au laboratoire de recherche Les Afriques dans le Monde (LAM) Sciences Po Bordeaux

Le passage au pouvoir du président Jacob Zuma (2009-2018) a été marqué par une montée considérable de la corruption et une dérive de plus en plus autoritaire du président, lui-même au centre des affaires de corruption. L’ensemble du système démocratique sud-africain s’en est trouvé fragilisé. 

Les contrepoids institutionnels ont cependant remarquablement joué et Jacob Zuma, sous la pression de son parti (l’African National Congress), a dû abandonner ses fonctions. Notre auteure, Marianne Séverin, grande spécialiste de l’Afrique du Sud, nous explique l’arrière-plan institutionnel, sociétal et politique de ce retournement.

Michel Duclos, conseiller spécial géopolitique, rédacteur en chef de cette série de l'été


Vingt-cinq ans après ses toutes premières élections démocratiques et multiraciales (27 avril 1994), l’Afrique du Sud n’en finit pas de faire débat, tant ce pays est porteur de nombreux paradoxes. Il est un des Etats du continent africain où le processus démocratique a atteint sa vitesse de croisière. Pour preuve, le pays a organisé ses sixièmes élections nationales (législatives) et provinciales le 8 mai dernier. Elles ont été déclarées libres et régulières par la Commission électorale indépendante (Independent Electoral Commission – IEC) le  11 mai, quasi sans aucune contestation des partis politiques. Les électeurs sud-africains ont également plébiscité leur organisation : selon une enquête du Conseil sur la recherche en sciences humaines (Human Sciences Research Council – HSRC), 97 % d’entre eux approuvaient le déroulement du processus démocratique. Il est donc clair que la culture démocratique en Afrique du Sud s’est installée durablement, en dépit d’une abstention de 38 %.
 
Si ce tableau est assurément positif, il faut reconnaître que la stabilité démocratique est mise à mal au fil du temps, et ce régulièrement. L’Afrique du Sud post-apartheid fait face à des défis immenses en matières économique et sociale. Considérés comme une "bombe à retardement", ces challenges socioéconomiques sont loin d’être réglés par le pouvoir en place depuis 1994. Le Congrès National Africain (African National Congress : ANC) est très loin d’avoir réussi à rendre l’Afrique du Sud plus équitable et égalitaire pour l’ensemble des sud-africains et particulièrement pour son électorat naturel,  les Africains anciennement discriminés. Les taux de chômages et de pauvreté illustrent parfaitement cela. Au 1e trimestre de 2019, le chômage atteignait le taux record de 27 % - ce taux ne prenant uniquement en compte les chômeurs recherchant activement un emploi. Or, s’il est ajouté les chômeurs qui ont abandonné tout espoir d’entrer sur le marché du travail, le taux passe à 38 %. Plus grave en matière de chômage, selon le StatSA, les 15-24 ans atteignent 55 %, dont 31 % des jeunes diplômés n’ayant toujours pas intégré le marché du travail. En avril 2019, le StatSA révélait que presque 50 % de la population adulte du pays vit en dessous du seuil de pauvreté. Ces chiffres sont le reflet des difficultés auxquelles les pouvoirs publics doivent faire face et de l’urgence des réformes économiques et sociales que le nouveau gouvernement, sous la présidence Cyril Ramaphosa, doit mener afin de garantir la paix sociale et la stabilité démocratique du pays.

Le State Capture est caractérisé par un recours à la corruption par des entreprises, des institutions ou des individus puissants [...] dans le but d’influencer, de façonner la politique gouvernementale, l’environnement juridique et économique d’un pays en fonction de leurs propres intérêts.

Loin d’être une "Nation d’équité et d’égalité", comme l’avait rêvé le premier Président noir et icône politique, Nelson Mandela, l’Afrique du Sud s’est récemment illustrée par l’un des plus grands scandales depuis 1994 : le State Capture. Selon Transparency International, le State Capture est caractérisé par un recours à la corruption par des entreprises, des institutions ou des individus puissants - notamment par comme l’achat de lois, d’amendements, de décrets, ainsi que des contributions illégales en faveur des partis politiques et candidats - dans le but d’influencer, de façonner la politique gouvernementale, l’environnement juridique et économique d’un pays en fonction de leurs propres intérêts. Dans le cas sud-africain, il a résulté de la mise en œuvre d’un vaste et complexe réseau financier, favorisé par l’existence d’un Etat dans l’Etat. Un système de corruption de grand ampleur qui fait encore aujourd’hui la une des médias sud-africains et l’objet d’une Commission d’enquête (Commission Zondo) depuis août 2018. Dans un contexte socio-économique désastreux, le State Capture est devenu le talon d’Achille de la démocratie sud-africaine.

Forme très "élaborée" de corruption, elle a d’une part concerné des personnalités politiques de l’ANC, du gouvernement et des proches du pouvoir - à la tête d’entreprises publiques notamment. Elle a même atteint les plus hautes sphères du pouvoir : la présidence durant la mandature Jacob Zuma (2009 - février 2018). De l’autre, les bénéficiaires du State Capture ont été des acteurs du secteur privé proches de l’ancien Président Zuma et de son clan familial, notamment la famille Gupta, famille indienne installée en Afrique du Sud depuis les années 1990. Ce réseau de corruption, aggravé par le blanchiment d’argent et le transfert de capitaux sud-africains vers des paradis fiscaux - et notamment par le biais d’une banque internationale indienne (Bank of Broda), qui a enfreint la législation sud-africaine au profit des frères Gupta - , a entamé la confiance des citoyens dans leur système politique, leurs institutions, voire sans doute dans leur démocratie.
 
Il semble ainsi difficile d’imaginer que la démocratie sud-africaine puisset se remettre d’un tel scandale. Pourtant, si on l’observe de plus près, la démocratie sud-africaine demeure solide sur ses fondements. Comment expliquer cette résilience, dans un contexte de corruption à grande échelle ?
 
Pour répondre à ce questionnement, il convient de se pencher sur le rôle d’une institution sud-africaine – Public Protector Office – devenue célèbre à l’occasion de son enquête sur l’ancien chef d’Etat, Jacob Zuma, sur la puissance des organisations de la société civile sud-africaine pour lutter contre les abus de pouvoir, et enfin, paradoxalement, sur les partis politiques sud-africains.

Les institutions sud-africaines, garantes de la démocratie

Se pencher sur les institutions garantes de la démocratie en Afrique du Sud, implique de revenir brièvement sur le contexte historique dans lequel ces dernières ont été "réinventées", afin de passer d’un système excluant la majorité de la population sud-africaine (lui refusant ses droits politiques, civiques, économiques et sociaux les plus élémentaires) à un système inclusif, à l’instar des autres démocraties du monde.
 
Ce contexte se réfère aux négociations post-conflit, communément appelées Convention for a Democratic South Africa : CODESA (1991-1993). En effet, suite à la proclamation de la fin de l’apartheid, en février 1990, par le régime, la libération des prisonniers politiques, la normalisation du contexte politique d’opposition (légalisation de tous les partis interdits) et la signature de différents accords de paix (mai 1990-février 1991), en décembre 1991 a été mise en place la CODESA. Celle-ci s’est tenue en trois étapes : CODESA I (décembre 1991 - mars 1992), CODESA II (mai 1992 - avril 1993) et CODESA III durant laquelle a été approuvée la Constitution intérimaire (1993) et créé un Comité Exécutif de Transition (Transitional Executive Council : TEC), dès septembre 1993, dans le but de faciliter la transition démocratique à la veille des élections de 1994.C’est durant cette période que l’architecture politique, institutionnelle, constitutionnelle et gouvernementale est refondée. La CODESA a été propice à la réécriture d’une Constitution - intérimaire, d’abord, puis définitivement adoptée en 1996 - protégeant l’ensemble du peuple sud-africain (particulièrement les plus vulnérables). Un système électoral démocratique est établi, ainsi qu’un gouvernement intérimaire qui deviendra, à la suite des élections de 1994, une gouvernement d’unité nationale - concession de l’ANC au gouvernement de l’époque (gouvernement d’apartheid) en novembre 1992. Il était donc question de partage de pouvoir durant une période de cinq ans pour tout parti d’opposition obtenant au moins 5 % des suffrages.
 
L’objectif ici n’est pas d’établir la liste de toutes les institutions sud-africaines mises en place par le chapitre 9 de la Constitution sud-africaine, mais de s’intéresser à l’une d’entre elles, afin d’analyser son rôle de garante de la démocratie. L’institution au cœur de la lutte contre le State Capture, le Public Protector Office (PPO), a ainsi exposé, en 2016, l’ancien chef d’Etat Jacob Zuma, des membres de son clan familial et les frères Gupta. Organisme suprême, indépendant et impartial de surveillance administrative, le PPO a le pouvoir d’enquêter sur toute conduite présumée, soupçonnée ou entraînant une quelconque irrégularité ou préjudice au sein de l’Etat, l’administration publique ou toute sphère gouvernementale. Il est par conséquent tenu de faire un rapport sur le sujet du litige et prendre des mesures correctives appropriées. Toutes personnes et/ou communautés témoins de ces dysfonctionnements aux seins de ces instances gouvernementales, administratives ou entreprises publiques, peuvent s’approcher du PPO nommément ou anonymement.
 
Concrètement, à la suite de trois plaintes courant mars 2016 et de révélations de médias sud-africains - de nombreux articles de fond particulièrement détaillés - le PPO a enquêté sur ce scandale à grande échelle. Il a été ainsi démontré, dans un rapport de 355 pages datant du 14 octobre 2016 que toutes les relations d’affaires qu’entretenaient les frères Gupta avec les ministères et entreprises publiques étaient irrégulières. Elles ont favorisé leur enrichissement illégal, par l’utilisation de leur influence pour obtenir des contrats lucratifs, dont des permis d’exploitation minière. Le Président Jacob Zuma, quant à lui, a enfreint le Code éthique de l’exécutif en s’exposant à des situations comportant le risque d’un conflit entre ses responsabilités officielles et ses intérêts privés. En dévoilant un cas aussi grave de mauvaise gouvernance et de corruption, et en rendant comptable les plus hautes instances du pouvoir, le PPO a démontré son indépendance et son souci de sauvegarde  de la démocratie sud-africaine. Il a en outre poussé la société civile sud-africaine à une forte mobilisation.
 


La société civile, autre pilier de la démocratie sud-africaine

Indépendante de l'État et du secteur privé, la société civile est une composante importante dans un pays, qu’il soit dirigé par un gouvernement autoritaire ou pleinement démocratique. À travers ses organisations et associations, regroupant des individus autour d’intérêts communs, constitue l’un des meilleurs "instruments" de dénonciation et d’action contre tout acte contrevenant à la stabilité d’une démocratie, tels que les abus de pouvoir. La société civile peut ainsi tenir les dirigeants comptables de leurs actions.
 
Dans un contexte dictatorial, cette société civile lutte pour l’instauration de la démocratie dont doivent bénéficier les peuples. Dans un Etat dit démocratique, cette société civile est la "championne" et protectrice de cette démocratie. L’Afrique du Sud n’échappe pas à cette règle, tant sa société civile a un impact non négligeable. Elle s’appuie sur une tradition historique forte. En effet, outre la lutte anti-apartheid menée par les mouvements politiques de libération nationale, il convient de ne pas sous-estimer l’implication de la société civile dans son ensemble. Le pays lui doit ses plus grands mouvements sociaux contre l’ancien régime, mais également une avancée majeure lors de la CODESA et un contexte politique multiracial et démocratique post apartheid.
 
L’entrée de l’Afrique du Sud dans un processus de démocratisation n’a pas fait disparaître l’influence de la société civile, plus particulièrement à partir des années 2000. Bien qu’affaiblie par l’ANC dès son accession au pouvoir - qui a pris soin d’intégrer les personnalités les plus compétentes au sein de son gouvernement afin de "neutraliser" une autre forme d’opposition extra-parlementaire -, la société civile, depuis presque 20 ans, est un troisième pouvoir qui s’assure de la stabilité démocratique et de la défense des droits politiques, sociaux et économiques les plus élémentaires des Sud-Africains. En l’occurrence des plus vulnérables, pour lesquels de nombreuses figures politiques se sont sacrifiées durant l’histoire la plus sombre de l’Afrique du Sud.
 
Avec le State Capture, des entités issues de la société civile sud-africaine n’ont pas dérogé à la règle, répondant ainsi à l’appel du PPO en octobre 2016 pour participer pleinement à la lutte contre ce scandale et ses conséquences. Les médias indépendants ont joué ce rôle en contribuant à "éduquer" de manière objective – en s’appuyant sur des faits vérifiables – le pays sur la situation.Ce vaste scandale fait encore aujourd’hui la une des médias, d’autant plus que la commission d’enquête est en cours. Ils ont surtout dévoilé ce qui a été appelé les "GuptaLeaks" : 200 000 emails exposant dans le détail le State Capture et ses protagonistes. Ces GuptaLeaks ont été stockés sur une plateforme, lancée au Sénégal en mars 2017, par des activistes, des journalistes, magistrats et avocats qui protège les lanceurs d’alerte en Afrique. Outre les journalistes, les chercheurs dans le milieu universitaire et dans les laboratoires de recherche, travaillent depuis sur la question du State Capture et son impact économique, social et politique.
 
Les GuptaLeaks ont également été exploités par des organisations de la société civile qui ont lancé leurs propres investigations. Deux de ces organisations se sont distinguées en la matière. La première est l’Organisation Undoing Tax Abuse (OUTA) qui existe depuis 2012, en tant qu’association apolitique à but non lucratif et qui, depuis 2017, se fait le devoir d’exposer auprès du public les acteurs impliqués dans le State Capture.À l’aide d’un site web de qualité et des réseaux sociaux régulièrement réactualisés, elle décrit ce système de corruption et ses ramifications à tous les niveaux du gouvernement sous la mandature Zuma, et les liens avec les Gupta. Cette corruption et le système de blanchiment d’argent et de transferts illicites d’Afrique du Sud vers les paradis fiscaux, dont se sont rendus coupables les clans Zuma et Gupta, sont particulièrement bien étayés. Ces faits d’arme ont également été la compilation d’un document fort instructif, Nowhere to Hide: A President caught Act, qui a été présenté devant le Parlement sud-africain en juin 2017. À partir de 2017, l’organisation s’est tournée vers la justice sud-africaine lors de plusieurs plaintes contre les Gupta pour détournement de fonds publics - les fonds destinés à la réhabilitation des mines, d’une valeur de 1,75 milliard d’euros. Elle a d’ailleurs obtenu une grande victoire en faisant geler ces fonds et en les restituant à l'État, en avril 2018.

La seconde organisation sud-africaine qui s’est rendue célèbre dans sa lutte contre le State Capture et l’exposition des acteurs impliqués est Forensics For Justice (FFJ). Elle recueille des témoignages sur les grands cas de corruption et leurs ramifications. Dans le cadre de sa lutte contre le State Capture, cette organisation s’est concentrée sur l’implication des entreprises d’Etat et leurs liens avec les Gupta. Elle se donne pour mission d’informer sur l’affaiblissement des institutions publiques et privées, la criminalisation des individus à des positions de pouvoir et l’atteinte à la solidarité nationale, et par conséquent de la démocratie constitutionnelle.

Les organisations de la société civile démontrent que son implication dans la lutte contre tout abus de pouvoir est un atout majeur pour veiller à la stabilité démocratique d’un pays comme l’Afrique du Sud.

Ces organisations démontrent que l’implication de la société civile dans la lutte contre tout abus de pouvoir est un atout majeur pour veiller à la stabilité démocratique d’un pays comme l’Afrique du Sud. Son action, bien que positive et nécessaire, ne peut néanmoins être suivie d’effet que si le pouvoir en place, ainsi que l’opposition, sont réceptifs aux revendications portées par celle-ci au nom du peuple. Dans le cas sud-africain, l’action des partis politiques - tels que l’ANC dont l’héritage en matière de défense de la démocratie est hautement symbolique au vu de son histoire, et des deux principales forces d’opposition, l’Alliance démocratique (Democratic Alliance – DA) et les Combattants de la Liberté Économique (Economic Freedom Fighter – EFF), - repose en fait sur un paradoxe en matière de protection de la démocratie en général, et en particulier dans un contexte de lutte contre le State Capture.

Le rôle des partis politiques dans la défense de la démocratie sud-africaine : un paradoxe ?

Avec l’ANC à la tête de l’Afrique du Sud depuis 25 ans, il serait tentant de décrire le système politique comme un régime de parti unique par opposition au multipartisme. Néanmoins, le bon déroulement des élections - comme précisé précédemment - et l’environnement politique stable, démontrant une maturité de la démocratie, écartent cette hypothèse. D’autant plus que plusieurs signes montrent sur le terrain que l’ANC perd de son influence et doit composer avec son opposition, quand il n’est pas lui-même sur le ban de l’opposition.
 
Bien que majoritaire au Parlement sud-africain, le parti gouvernemental est passé pour la première fois en dessous de la barre des 60 % en mai dernier. Alors que le Congrès était à 62,2 % en 2014, en mai 2019, il obtenait 57,5 % des voix et, au vu du contexte dans lequel la campagne électorale a eu lieu, profondément marqué par le State Capture, il aurait pu largement se retrouver sous la barre des 50 % sans le charisme de l’actuel Président. Le parti Democratic Alliance (DA), quant à lui, demeure le premier parti d’opposition avec ses 20,77 %, bien qu’en perte de vitesse comparativement à 2014 (22,23 %). Par ailleurs, la seconde force d’opposition a progressé en passant de 6,35 % en 2014 à 10,79 % lors des dernières élections. Enfin, l’ANC ne gouverne pas toutes les provinces sud-africaines – le Western Cape étant sous la gouvernance du DA – et la province du Gauteng demeure de justesse sous sa coupe.
 
En matière de protection de la démocratie, l’ANC alterne entre un statut de garant de cette démocratie et celui de danger pour cette dernière. S’agissant de la régularité des élections internes, le parti politique est assurément démocratique. Tous les cinq ans, l’exécutif de l’ANC est réélu, élection qui a une incidence directe sur l’avenir du pays. Si le mode de fonctionnement du parti est démocratique, son dirigeant a le pouvoir de saper les bases de la démocratie sud-africaine.
 
En effet, l’élection de Nelson Mandela comme Président de l’ANC en 1991 a assuré et rassuré sur la possible capacité de l’Afrique du Sud à entrer dans un processus démocratique résilient. La passation de pouvoir en faveur de Thabo Mbeki, son prédécesseur (1997 et 2002), à la présidence de l’ANC, bien que contestée à termes, n’a fondamentalement pas sapé la démocratie du pays. C’est avec l’avènement de Jacob Zuma à la tête de l’ANC (2007) que s’est posée la question de la sauvegarde de la démocratie. Il est en effet déjà rattrapé par des faits de corruption en 2005 lorsqu’il est poussé à la démission de sa position de vice-président du gouvernement, lors de la seconde mandature de Thabo Mbeki. Des signes précurseurs d’une possible déstabilisation de la démocratie sud-africaine étaient alors évidents. L’arrivé au pouvoir de Jacob Zuma marque l’avènement du népotisme et du clientélisme, tant à la tête du parti qu’une fois arrivé à la présidence du pays. C’est ainsi que se met en place ce réseau sophistiqué de corruption qu’est le State Capture, qui menace les fondements de la démocratie sud-africaine.
 
Or, paradoxalement, le contexte politique entre décembre 2017 et février 2018, a à nouveau démontré résilience de la démocratie sud-africaine. En effet, l’arrivée à la présidence de l’ANC de Cyril Ramaphosa en décembre 2017 a provoqué un regain de confiance, bien que limité, en la démocratie à travers le pays. L’intensification de la lutte contre le State Capture et les acteurs impliqués y a également contribué, ainsi que l'obligation pour Jacob Zuma d’écourter son second mandat de Président en février 2018 - qu’il aurait dû achever en mai 2019 - une démission, qui, contrairement à celle de Thabo Mbeki qui avait provoqué une déstabilisation politique en septembre 2008, a été considérée comme une délivrance par tout le pays.
 
Les deux partis d’opposition, bien que n’ayant jamais réussi à évincer du pouvoir Jacob Zuma durant toute sa seconde mandature, même suite aux révélations sur le State Capture, ont joué un rôle dans la protection de la démocratie sud-africaine. En effet, les chefs de fil du DA, Mmusi Maimane, et de l’EFF, Julius Malema, ont été très virulents face à l’inaction des parlementaires ANC contre le Président Zuma. D’une part, Mmusi Maimane, outre ses prérogatives de parlementaire à s’opposer régulièrement à la politique de l’ANC et de dénoncer la succession de scandales impliquant l’ancien chef d’Etat et les Gupta, a sollicité le PPO. D’autre part, Julius Malema et son parti ont régulièrement pris à parti Jacob Zuma dans l’enceinte de l’Assemblée nationale et dans la rue. Or, si l’opposition systématique au chef d’Etat de l’époque et au parti majoritaire dans un tel contexte a assuré la sauvegarde de la démocratie sud-africaine, aujourd’hui, les intentions de ces partis d’opposition posent question. D’autant plus qu’il semblerait que le PPO soit récemment devenu un enjeu de déstabilisation politique contre le Président Ramaphosa à peine élu.
 
Par ailleurs, l’affaiblissement du DA au profit de la monté de l’EFF, qui devient un parti de plus en plus populiste, représente un nouveau danger pour la démocratie sud-africaine. D’autant plus que le parti majoritaire est lui-même englué dans des divisions internes (les partisans de Jacob Zuma étant encore nombreux) et les révélations de corruption liées au State Capture qui n’en finissent pas d’émerger devant la Commission d’enquête.

Conclusion

S’agissant de la capacité de la démocratie à être résiliente, la force des institutions et la puissance de la société civile constituent les deux principaux piliers, davantage que les partis politiques et leurs leaders. Cependant, cette démocratie est confrontée à deux problèmes majeurs : la lutte contre la corruption, qui est malheureusement bien enracinée, d’une part, et les problèmes socio-économiques, qui demandent des réformes urgentes de la part du parti gouvernemental et peut-être un soutien des partis d’opposition au-delà de l’idéologie politique, d’autre part. Par ailleurs, la monté du parti EFF, que l’on peut considérer comme populiste, pourrait lancer des signaux d’inquiétude. Le nouveau chef d’Etat, bien que confronté à des forces d’opposition interne au parti et une accusation de blanchiment d’argent de la part du PPO, est, semble-t-il, le dernier espoir de l’ANC, et sans doute celui qui pourrait redonner confiance aux sud-africains en leur démocratie. La résilience de la démocratie sud-africaine sera-t-elle encore au rendez-vous, pour lui permettre d’affronter ces nombreux défis ? Rien n’est moins sûr.

 

Copyright : Rodger BOSCH / AFP

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