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28/11/2019

Cadre financier pluriannuel de l’Union européenne : à la recherche d’une stratégie

Cadre financier pluriannuel de l’Union européenne : à la recherche d’une stratégie
 Michael Benhamou
Auteur
Fondateur d'ARON Praxis

Parmi les sujets européens occultés par le Brexit, celui de la définition du prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (UE) apparaît à Bruxelles comme l'un des plus stratégiques - et l’un des plus épineux. Tous les sept ans, les États membres définissent une trajectoire financière avec une certaine routine bureaucratique, dans laquelle s’imposent des scénarios débordants d'équations. La situation se présente cette fois-ci différemment : la modification des équilibres politiques au niveau européen rend les négociations particulièrement complexes.
 
Quatre lignes de fractures opposent désormais les Etats membres au sein de l'UE :

  1. l’enjeu du montant du budget pour la période 2021-2027, les Etats membres du Nord de l’Europe et l'Allemagne préconisant une légère réduction de ce budget alors que la plupart des autres pays et le Parlement européen plaident pour son augmentation ;
  2. la question des priorités des dépenses, dans la mesure où les anciens programmes comme le Fonds de cohésion et la politique agricole commune (PAC) sont remis en cause par la volonté de financer de nouvelles priorités, en matière de changement climatique ou de sécurité notamment ;
  3. le défi des ressources propres de l'UE, certains États membres exprimant des réticences à l’idée d’offrir à Bruxelles une véritable base d'imposition alors que d'autres insistent pour que les différents “rabais”, ces réductions dont bénéficient certains des Etats, soient définitivement supprimées ; 
  4. la problématique de la conditionnalité liée à l’Etat de droit dans le budget, par laquelle les Etats membres qui renoncent à lutter efficacement contre la fraude ou la corruption pourraient voir leur accès aux fonds européens réduit ou supprimé. 

Il convient aujourd’hui d’apporter davantage de clarté dans le débat budgétaire européen. Dans une récente Résolution datée du 10 octobre, le Parlement européen a rappelé au Conseil, en des termes inhabituels et durs, qu'il “n’a aucunement l’intention de se laisser contraindre à accepter un accord insatisfaisant par manque de temps”, tout en demandant à la Commission de “présenter un plan d’urgence constituant un filet de sécurité" dans le cas où aucun accord ne pourrait être conclu d’ici le 1er janvier 2021.

Compte tenu de la nouvelle répartition des forces au sein du Parlement européen issu des élections de mai dernier, ce risque est réel et bien fondé. Pour justifier les évolutions budgétaires, les gouvernements de l’Union devront désormais formuler une vision plus claire, une vision plus politique, et probablement négocier davantage avec les représentants de l'UE que lors de la précédente mandature. 
 
Les infographies suivantes ont pour objectif d’aider les parties prenantes dans cette discussion et d’informer les citoyens européens qui souhaitent comprendre comment est utilisé leur argent

Les chiffres du budget européen entre 2014 et 2018 sont ici utilisés pour mesurer le gain ou la contribution annuelle par citoyen (Source : Commission européenne).

 

Il apparaît clairement que les récents budgets de l'UE ont favorisé les pays d’Europe centrale et orientale et les pays du Sud - la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Pourtant, certains Etats du Sud, comme l'Italie par exemple, ont donné à l'Union européenne  plus qu'ils n’en ont tiré de fonds : en moyenne, au cours de la période 2014-2018, chaque citoyen italien a indirectement versé 81 euros par an à l'UE. Dans l'ensemble, exception faite de pays comme la Belgique et le Luxembourg, les Etats membres ont continué à aider les pays de l’ex-URSS à rattraper le reste du continent.

L’évolution du PIB par habitant est mesurée en utilisant les chiffres de 2012 et ceux de 2018 pour en saisir les variations. Ces données qui concernent l’UE à 27 se fondent sur une moyenne fixée à 100 pour les deux années (Source : Eurostat).

Comme escompté par Bruxelles et par les États membres, le rattrapage des pays d'Europe centrale et orientale est devenu une réalité, bien que les indicateurs économiques donnent toujours à voir d'importants écarts entre l'Ouest et l'Est en matière de salaires et de productivité. Il convient également de noter qu’en 2018, l'Irlande, l'Espagne et le Portugal étaient également plus proches de la moyenne européenne qu'ils ne l'étaient en 2012. Ces constats ne signifient pas un déclin du Nord et de l’Ouest de l’Europe : les économies de ces pays ont toutes progressé durant cette période, mais à un rythme plus lent que les pays qui apparaissent ici en bleu.

Est ici calculée l'évolution budgétaire entre le cadre financier de la période 2014-2020 d’une part et le projet de cadre paru en mai 2018 pour la période 2021-2027 (Source : Commission européenne).

Avec la diminution des recettes de l’UE inhérente au Brexit et la décision de réduire les fonds de cohésion - les progrès attendus pour l’Est ayant été réalisés - les allocations versées à la plupart des pays européens devraient elles aussi diminuer dans le prochain cadre financier. Les pays d'Europe centrale sont particulièrement touchés par cette baisse. Inversement, l'Europe du Sud semble avoir été épargnée : l'Espagne, l'Italie et l'Europe du Sud-Est font ainsi exception à cette règle. La Commission européenne a principalement pris en compte les évolutions en matière de PIB (voir carte 2) avant de soumettre ce scénario au Conseil européen et au Parlement.

Est ici comparée l’évolution des catégories de dépenses de la Commission européenne (Sources : Commission européenne).

La part des allocations consacrées à l'agriculture, à la cohésion territoriale et aux activités sociales a fortement diminué au cours des trente dernières années : elle représentait environ 80 % du total en 1988, contre 60 % pour les projections concernant la période 2021-2027. A elle seule, la part des dépenses de la politique agricole commune (PAC) a diminué de 30 %. La ligne jaune de ce graphique, qui représente les "autres programmes", cache les nouveaux défis européens et la perception de la “valeur ajoutée européenne”. Sa composition apparaîtra dans le graphique suivant, répartie entre les domaines de la sécurité, de la défense, de la recherche ou de la gestion des frontières extérieures notamment.

Le cadre budgétaire pour la période 2014-2020 est ici comparé aux données prévues pour 2021-2027, en milliards d’euros (Source : Commission européenne, proposition de budget de mai 2018).

Le prochain cadre financier pluriannuel européen semble marqué par l’ambition de protéger les Européens contre les menaces extérieures, qu'elles soient géopolitiques ou économiques, au détriment de la cohésion du continent. Les programmes visant à renforcer les capacités de recherche et d'innovation (+ 21,2 milliards d'euros), les systèmes de gestion des frontières (+ 13,3 milliards d'euros) ou l'architecture de défense (+ 22,3 milliards d'euros) bénéficient à ce titre d’un traitement particulier. Il n'en va pas de même pour les fonds de cohésion : la réduction des montants alloués aux programmes sociaux, à la cohésion territoriale et au soutien à l'agriculture apparaît comme très marquée au sein du cadre budgétaire pour la période 2021-2027. Cette nouvelle orientation constitue un virage par rapport au temps de l'après-guerre froide et aux pratiques inhérentes à l'élargissement de l’UE.  

Conclusions

Dans notre tentative de clarification des méandres budgétaires européens, nous avons identifié plusieurs faits importants qui ressortent de ces infographies. 
 

  • Le nouveau cadre financier pluriannuel de l’Union européenne recherche une nouvelle forme d’équilibre. Les pays ou régions à faibles performances économiques continuent de recevoir un soutien européen supplémentaire, mais la Commission européenne oriente ses fonds dans deux directions : l'innovation et la recherche, afin que l’Europe conserve un avantage commercial et son autonomie technologique, ainsi que la sécurité et la défense, par anticipation de possibles tensions. 
     
  • Par conséquent, on constate une diminution générale des fonds de cohésion, qu'ils soient régionaux ou sociaux. Malgré les ajustements régionaux, des réductions sont à attendre au Nord, à l'Ouest et au Nord-Est de l’Europe, alors que les pays du Sud-Est (Bulgarie, Roumanie) et du Sud (Espagne, Italie, Grèce) dérogent à cette règle. Ce traitement de faveur fait écho aux difficultés économiques persistantes de ces différentes parties du continent, illustrées par les comparaisons en matière d’évolution du PIB par habitant.
     
  • Le cadre financier pluriannuel proposé par la Commission européenne pour 2021-2027 reflète certains des enseignements issus des élections européennes de 2019 : davantage d'efforts sont consentis sur les enjeux migratoires, pour la gestion des frontières et pour la défense. Pourtant, peu de choses ont véritablement évolué du côté de la lutte contre le changement climatique et de la protection de l'environnement, d'où les efforts de "transition climatique" suggérés par la nouvelle présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. En outre, d’aucuns pourraient avancer que le soutien à l'innovation et aux politiques numériques, conjugué à la diminution des fonds destinés à l'agriculture et à la pêche, est susceptible de venir creuser le fossé entre les petites villes et les centres urbains plus denses. Les disparités régionales demeurent un problème central pour l’UE, l'écart économique semblant se creuser entre les capitales et les périphéries, en dépit des tentatives de réajustements.

Une proposition budgétaire n'est jamais parfaite. Pourtant, le projet de la Commission apparaît comme une tentative d'adaptation de l’UE aux nouvelles réalités européennes et mondiales. L’audace que l’on peut déceler dans ce projet de cadre financier pluriannuel présente cependant le risque d’accroître les difficultés politiques au sein de l’UE : les coupes budgétaires que subiront les pays du Nord-Est entraîneront-elles des tensions supplémentaires entre l'Est et l'Ouest ? Les eurodéputés nouvellement élus, dont les deux tiers ne connaissent pas les subtilités des arcanes bruxelloises, auront-ils suffisamment de temps et d'expérience pour saisir la logique de ce budget ? Seront-ils capables de trouver un consensus dans des circonstances financières et politiques aussi contraignantes, avec un Brexit toujours en suspens et en l’absence de nouvelles ressources propres pour l’Union ? 
 
Les députés européens semblent prêts à s'attaquer à ces questions. Quel que soit le résultat, le montant du prochain cadre financier européen devrait correspondre aux attentes exprimées par la population vis-à-vis de l'Europe - tant au niveau national qu'international. Bruxelles ne saurait faire plus avec moins.

 

Remerciements particuliers à Dhara Shah, fondatrice de Pykih, pour les infographies.

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