Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
22/09/2020

5G : débat à haut débit

Trois questions à Gilles Babinet

Imprimer
PARTAGER
5G : débat à haut débit
 Gilles Babinet
Ancien conseiller sur les questions numériques

Le lundi 14 septembre, Emmanuel Macron appelait à un déploiement rapide de la 5G alors que, la veille, une soixantaine d'élus demandaient au gouvernement un moratoire sur la 5G, le temps que ses impacts environnementaux et sanitaires soient étudiés. Depuis, une variété d’acteurs politiques se sont prononcés sur le sujet, parmi lesquelles Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, Eric Piolle, maire de Grenoble ou encore le député François Ruffin. Quel est l’objet du débat ? Gilles Babinet, conseiller de l’Institut Montaigne sur les questions numériques, répond à nos questions.

Il est difficile pour un néophyte de saisir ce qu’est la 5G. Amène-t-elle autre chose qu’un débit plus élevé et aurions-nous dû éviter de la mettre en œuvre ?

Dans un premier temps, la mise en place de la 5G répond à un enjeu de saturation ; avec la croissance des usages, il est nécessaire de passer à un nouveau standard technologique pour éviter la saturation des fréquences. Néanmoins, cette évolution, que l’on avait déjà rencontrée lors du passage de la 3G à la 4G, cache de profondes ruptures technologiques.

Lorsque l’organisme de normalisation, le 3GPP, a défini ce standard, il a voulu répondre aux demandes de nombreux industriels, qui souhaitaient disposer d’une infrastructure réseau fiable dans le but de la solliciter de manière plus significative qu’ils ne le faisaient auparavant. Le résultat (la 5G), est difficile à résumer. L’image la plus appropriée serait sans doute celle d’une boîte à outils permettant de créer des réseaux d’une grande flexibilité suivant les cas d’usages. L’utilisation de trois types de fréquences (de 600 à 700 Mhz, de 2,5 à 3,7 Mhz, et au-delà de 25 Ghz) répond à cette logique de pouvoir, en théorie, répondre à tous types d’usages.

La flexibilité des réseaux 5G est en théorie suffisamment importante pour répondre à une très grande variété de cas d’usages.

Par exemple, une usine pourra spécifier le nombre d’objets qu’elle souhaite connecter au réseau, ainsi que le débit et la latence (le temps de réaction du réseau) dont chacun de ces objets a besoin pour fonctionner de manière optimale, afin que l’opérateur optimise son service ; dans une exploitation minière, les opérateurs d'engins pourront les contrôler à distance, accroissant la sécurité et le confort de travail.

La 5G devrait ainsi aussi pouvoir couvrir les besoins d’un opérateur ferroviaire à l’échelle d’un pays, comme ceux d’un site industriel de taille réduite.La flexibilité des réseaux 5G est en théorie suffisamment importante pour répondre à une très grande variété de cas d’usages.Pour faire cela, la 5G amène de nombreuses innovations techniques, comme des antennes dynamiques et directionnelles (MIMO pour Multiple-Input Multiple-Output), une utilisation du spectre hertzien très novatrice, des équipements physiques d’une génération nouvelle, ainsi qu’une architecture reposant sur des Software Defined Networks permettant de créer des réseaux virtuels (Wide Area Networks) à l’échelle du réseau télécom. Ces réseaux virtuels intégreront une partie des dispositifs de sécurité, ainsi qu’une priorisation du flux en fonction des besoins. La rupture technologique va se faire progressivement dans la mesure où il existe de nombreuses versions de la 5G et que les versions les plus avancées ne seront pas intégrées dans le réseau avant des années.

Que faut-il comprendre des craintes que suscite la 5G, tant sur le plan environnemental qu’écologique (consommation d’énergie, rayonnement, etc.) ?

Je compte trois objections principales. Premièrement, on reproche à la 5G d’obliger le remplacement des terminaux. Cependant, il faut bien comprendre que le taux de remplacement moyen des terminaux est, en France, de l'ordre de 31 mois. Dans la mesure où les terminaux qui sont commercialisés par les opérateurs sont déjà prêts pour la 5G, il est probable que le choc de remplacement à venir soit très limité. De surcroît, personne n’est obligé de passer à la 5G. 2G, 3G et 4G continueront à fonctionner. L’argument me semble donc assez spécieux.

Deuxièmement, on reproche à la 5G d’entraîner une plus grande consommation d’énergie. Il est très difficile de répondre de façon certaine à cet argument. Ce qui est certain, c’est que l’efficacité rapportée à la donnée transportée croît de façon exponentielle. Pour ce qui est des travaux de recherche à cet égard, on trouve des hypothèses en faveur de l’accroissement de la consommation et d’autres évoquant une baisse. En réalité, cela est largement dépendant du régulateur. Lors d’un échange récent avec l’Arcep, j’ai compris que si l’on voulait vraiment réduire la consommation, on aurait plutôt intérêt à supprimer la 2G (voire la 3G), reposant sur une technologie obsolète. Il faudrait pour cela remplacer gracieusement les terminaux restants qui n’utilisent que ce standard ; si c’est compliqué à organiser, ce n’est pas irréaliste. D’autres pistes existent, mais en réalité, rationaliser l’implémentation des réseaux est l’une des voies les plus prometteuses pour aboutir à une réduction pérenne de leur consommation.

Rationaliser l’implémentation des réseaux est l’une des voies les plus prometteuses pour aboutir à une réduction pérenne de leur consommation.

Troisièmement, on accuse le rayonnement de la 5G d’être nocif pour la santé. Si aucune étude épidémiologique n’a pour l’instant abouti à caractériser l’existence de risques sanitaires, on est en droit d’être prudent, et de chercher à limiter les rayonnements. Il est difficile de voir en quoi le rayonnement serait accru avec la 5G : l’utilisation d’antennes directionnelles et le recours massif à des antennes de proximité (nano-cells) devraient très sensiblement réduire les émissions radioélectriques. Aujourd’hui, les risques d’exposition les plus importants sont généralement liés à des sites anciens, où la capacité adaptative des débits est faible et le rayonnement est assez peu contrôlé.

J’ajoute qu’il existe beaucoup de travaux, généralement anglo-saxons, documentant ces différents points. L’idée d’un moratoire est donc assez difficile à entendre. De surcroît, il faut bien comprendre que la 5G pourrait bien devenir de facto un standard au moins aussi important que le fut à son époque le wifi ; plus encore même dans la mesure où la 5G sera probablement très utilisée dans les environnements industriels, ce qui n’a pas été le cas du wifi.

Le lundi 14 septembre, Emmanuel Macron appelait à un déploiement rapide de la 5G alors que, un jour plus tôt, une soixantaine d'élus demandaient au gouvernement un moratoire sur la 5G, le temps que ses impacts environnementaux et sanitaires soient étudiés. Y a-t-il encore une façon d’apaiser le débat ?

Il est regrettable que nous n’ayons pas pris le temps de débattre à propos de cette technologie. On dirait ici une redite du Linky : une approche sans débat ni pédagogie avec le résultat que l’on sait. Ce débat aurait d’ailleurs pu utilement préfigurer le contexte réglementaire et le cahier des charges que le régulateur, l’Arcep, doit soumettre aux opérateurs.

 

Copyright :FABRICE COFFRINI / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne