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11/07/2017

État-d'urgence : que contient le projet de loi sécurité ? Trois questions à Kami Haeri

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État-d'urgence : que contient le projet de loi sécurité ? Trois questions à Kami Haeri
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Présenté lors du Conseil des ministres, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme devrait être voté d'ici le 1er novembre prochain dans le but de doter l'État de moyens renforcés pour lutter contre le terrorisme. Kami Haeri, avocat pénaliste chez August Debouzy et ancien Secrétaire de la Conférence, nous livre son décryptage.

Quelles sont les principales dispositions de la future loi sécurité et en quoi diffèrent-elles des dispositions inscrites dans l’état d’urgence ?

Le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme reprend les mesures emblématiques de la loi de 1955 sur l’état d’urgence pour les insérer dans le code de la sécurité intérieure. Parmi ces mesures on retrouve :

  • les mesures administratives d’assignations à résidence ;
  • les perquisitions administratives ;
  • la fermeture de lieux de culte ;
  • l’instauration de périmètres de sécurité.

 
A la différence de la loi de 1955, dont les dispositions sont applicables à la prévention des "troubles à la sécurité et l’ordre publics", le projet de loi ne pourra être appliqué qu’en matière de prévention du terrorisme.
 
Concernant les obligations de "résider dans un périmètre géographique déterminé" ou la surveillance électronique mobile, le mécanisme demeure, malgré le changement terminologique, sensiblement le même que celui des "perquisitions administratives" prévues par l’état d’urgence. Le ministre de l’Intérieur peut, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d’une personne constitue une menace d’une "particulière gravité", lui ordonner de rester dans un périmètre géographique déterminé. Toutefois, ce dernier ne pourra être inférieur au périmètre d’une commune et il devra permettre à l’intéressé de poursuivre sa vie familiale et professionnelle.
 
Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur pourra décider seul de placer une personne sous surveillance électronique mobile s’il recueille l’accord écrit de l’intéressé et si celui-ci s’était préalablement vu ordonner une "obligation de résidence". Cette mesure n’est pas complètement nouvelle puisqu’elle avait été instaurée dans l’état d’urgence pour s’appliquer à des personnes ayant fini de purger des peines pour des actes terroristes criminels ou frauduleux. Elle n’avait pour autant jamais été appliquée jusqu’à présent.

Concernant les perquisitions administratives, le projet reprend exactement le texte de l’état d’urgence. Un préfet pourra, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’une personne constitue une menace, ordonner par arrêté une perquisition administrative y compris au domicile d’un individu. Une différence majeure réside néanmoins dans le fait que la nouvelle mouture du projet rend obligatoire l’autorisation préalable d’un juge judiciaire et prévoit que les perquisitions se dérouleront sous le contrôle de celui-ci. Sous le régime de l’état d’urgence, le procureur de la République devait simplement être "informé sans délai" de la décision du préfet. Cependant, dans son avis du 15 juin dernier, le Conseil d’Etat a considéré que cette différence importante était de nature à "lever des doutes sérieux sur la constitutionnalité de la mesure".

Enfin, les conditions de fermeture de lieux de culte et l’instauration de périmètres de sécurité, mesures qui figuraient déjà dans la loi de 1955, ont été légèrement élargies par le projet. La fermeture d’un lieu de culte peut ainsi être ordonnée par le préfet lorsque non seulement les "propos" mais aussi les "idées ou théories" qui y sont tenus incitent à la haine, à la violence ou à la commission d’actes terroristes. Le préfet dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation plus étendu.
 
 
Quels sont les mécanismes de contrôle qui seraient institués par cette loi ?

Ils sont peu nombreux, ce qui suscite des interrogations et des craintes légitimes. La particularité de l’état d’urgence est de permettre aux autorités administratives de prendre, dans des circonstances précises, des mesures pouvant porter atteinte aux libertés individuelles, alors que celles-ci ne pourraient – en période “habituelle” –  être prononcées que par l’autorité judiciaire. En faisant passer ces mesures dans le droit commun, le législateur va pérenniser des mesures exceptionnelles qui ne pouvaient être conduites que dans un contexte spécifique et défini dans le temps. De fait, il dégrade nos standards en matière de libertés individuelles et notre perception de l’équilibre des pouvoirs au cours de l’instruction. En cas de contestation, ces mesures seront placées, au demeurant a posteriori, sous le contrôle du juge administratif. On aurait pu espérer, compte tenu de la "permanence" de ces mesures, qu’elles auraient été placées sous le contrôle du juge judiciaire, plus souvent sollicité sur les questions de procédure pénale, de libertés individuelles. Nous témoignons en réalité d’un renforcement de la justice administrative, qui s’exprimera avec une très grande liberté, et sans véritable contre-pouvoir.

Certes, le projet de loi prévoit que le préfet doit informer le procureur de la République "sans délais" de sa décision, voire qu’il doit l’informer "préalablement" à la notification de sa décision à l’intéressé. Mais cette simple information, qu’elle intervienne en amont de la décision ou a posteriori, demeure insuffisante. Seules les perquisitions administratives exigeront une autorisation du juge des libertés. Cette précaution indispensable demeure très isolée dans un corpus législatif qui écarte largement le juge judiciaire.

Dans quelle mesure ces dispositions exceptionnelles peuvent porter atteinte aux principes régissant le droit français et notamment le droit pénal ?

Comme nous l’avons vu, les différentes dispositions prévues dans le projet de loi existent d’ores et déjà dans le droit français, mais dans le cadre de l’état d’urgence. Au nom de circonstances exceptionnelles et du fait de la nécessité de préserver l’ordre public et l’efficacité des enquêtes, la loi de 1955 permettait de prendre des mesures dérogatoires aux principes régissant le droit pénal français.
 
Ces dernières prévoient notamment que le pouvoir dont dispose l’exécutif et qui lui permet d’altérer les libertés individuelles, est limité par un pouvoir de contrôle exercé par l’autorité judiciaire. Dans cette logique, le Conseil constitutionnel avait admis à plusieurs reprises la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi sur l’état d’urgence, uniquement en raison de leur caractère temporaire et de leur lien avec le péril imminent que constitue la menace terroriste et qui a justifié le déclenchement de ce régime exceptionnel.
 
Les mesures privatives de libertés ne peuvent être prises qu’après le constat, par le juge indépendant de la réunion d’indices graves. Depuis plus d’un siècle, ce sont ces équilibres et exigences qui bâtissent notre justice pénale qui, bien que nécessitant des améliorations sur de nombreux aspects, constitue un réel contre-pouvoir. La concentration légale et permanente de pouvoirs entre les mains de l’exécutif en l’incarnation de la police administrative soulève de graves inquiétudes. Les conséquences d’une telle législation pourraient gravement porter atteinte à l’équilibre général de l’instruction et plus généralement au système pénal français et à la sphère judiciaire en son entier. On peut d’ailleurs imaginer que de telles modifications du droit commun puissent par la suite aboutir à une condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l’Homme.


Pour aller plus loin :

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