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29/05/2017

Ces nouvelles menaces qui ébranlent l'Alliance atlantique

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Ces nouvelles menaces qui ébranlent l'Alliance atlantique
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.

Le terrorisme et la Russie sont aujourd'hui les plus grands défis auxquels est confrontée l'Otan. L'Alliance est-elle encore adaptée pour y faire face ? Rien n'est moins sûr. D'autant qu'un autre péril la guette : ses divisions internes.

Comment définir son identité lorsque l'on ignore sa géographie ? L'Otan ne se demande pas, comme l'Union européenne, jusqu'où elle va, mais à quoi elle sert vraiment. Serait-elle capable aujourd'hui de s'accorder autour d'une hiérarchie des menaces auxquelles elle doit faire face ? Pour l'Amérique de Donald Trump, l'Otan doit mettre en avant d'abord la lutte contre le terrorisme, ensuite la question de l'immigration, et enfin la relation avec la Russie. Pour la Grande-Bretagne de Theresa May, et ce, même après l'attentat de Manchester, la Russie de Poutine constitue une menace aussi importante que celle de Daech. La France et l'Allemagne acceptent de mettre la lutte contre l'Etat islamique en Irak sur l'agenda de l'Otan, mais ne voient pas très bien quel peut être le rôle de l'Alliance face au défi migratoire.

Au-delà de ces nuances, qui peuvent devenir de véritables divergences, il existe une interrogation plus fondamentale encore. Les défis auxquels l'Otan doit faire face sont-ils avant tout internes ou externes ? Qui menace vraiment l'avenir de l'Otan ? Le fondamentalisme islamique, la Russie de Poutine ou l'Amérique de Trump et la Turquie d'Erdogan ? Cette formule semble certes provocatrice, mais l'est-elle vraiment ? L'Otan s'est constituée comme une alliance, politique d'abord, militaire ensuite, fondée sur des valeurs communes dans le cadre de la guerre froide naissante. Elle était la réponse du bloc démocratique occidental face à la menace soviétique, supposée ou réelle. En l'absence d'une présence militaire et d'une dissuasion nucléaire américaine, les troupes soviétiques auraient-elles réunifié le continent européen d'est en ouest ? Personne ne peut vraiment l'affirmer, mais, rétrospectivement, l'Otan a été la meilleure garantie du maintien de la paix en Europe.

A partir du début des années 1990, l'Otan - orpheline de la menace soviétique - se chercha une raison d'être qu'elle pensa avoir trouvé au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 dans la lutte contre le terrorisme. Une lutte qui se traduisit en Afghanistan par la destruction d'un régime ayant servi de sanctuaire aux dirigeants terroristes. Mais une lutte qui se révéla aussi incertaine. L'Otan est-elle adaptée au défi de la lutte contre le terrorisme ? Il est plus que jamais légitime de se poser cette question. En quoi l'Alliance aurait-elle contribué à la prévention des attentats de Manchester, Londres, Paris, Berlin et Bruxelles ? Son ADN n'est-il pas beaucoup mieux adapté à la protection de l'Ukraine et des Républiques baltes par exemple ?

Fixer des limites à la Russie est à nouveau à l'ordre du jour, alors que Poutine se voit toujours davantage comme l'héritier direct de la Russie impériale. Il n'a jamais pardonné à Lénine d'avoir "bradé" en 1917, avec les Accords de Brest-Litovsk, des pans entiers de l'Empire. Il est hautement symbolique que sa première visite en France pour inaugurer l'exposition Pierre le Grand à Versailles ait lieu dans le cadre somptueux du palais bâti par Louis XIV pour éblouir l'Europe et le monde. Aidé par le calendrier de cette exposition, Emmanuel Macron retrouve spontanément les recettes de François Mitterrand lors du sommet du G7 en 1982, qui se tint également à Versailles. Il s'agit d'une excellente idée, pour peu que l'on ne sombre pas, prisonnier de la magie des lieux, dans une forme d'anachronisme stérile. La Russie de Pierre le Grand avait tout à apprendre de la France de Louis XIV. Emmanuel Macron a tout à redouter de la Russie humiliée de Poutine.

On peut se demander si - au-delà du terrorisme et de la Russie - les plus redoutables défis auxquels se trouve confrontée l'Otan aujourd'hui ne viennent pas de l'extérieur, mais de l'intérieur même de l'Alliance. Que se passe-t-il en effet quand celui qui est censé vous protéger devient, par son comportement imprévisible et fantasque, une menace pour votre sécurité ? On se réjouit que Donald Trump redécouvre de manière certes ambiguë - il n'a pas clairement fait référence à Bruxelles à l'article 5 de la charte - les mérites de l'Otan. Mais les partenaires de l'Amérique ont plus de mal à découvrir les mérites du "régime Trump" pour reprendre une formule de plus en plus utilisée de l'autre côté de l'Amérique. Ce ne sont pas seulement les choix faits par le nouveau président américain qui sont contestables, comme son alignement total avec l'Arabie saoudite contre l'Iran, faute d'avoir pu casser l'accord signé sur le nucléaire iranien. Le plus inquiétant - et de loin - ce sont les dérives erratiques et toujours plus antidémocratiques du chef de l'exécutif américain. Comment peut-on, à la tête d'une alliance démocratique, prétendre représenter des valeurs que l'on n'incarne et ne pratique plus ?

Sur ce plan, il existe un parallèle troublant avec le deuxième défi interne auquel l'Otan se trouve confrontée : la Turquie d'Erdogan. Ne semble-t-elle pas - dans son mode de fonctionnement, sinon dans ses visions stratégiques - se rapprocher dangereusement de la Russie de Poutine ?

Ces dérives, de l'Amérique à son sommet, de la Turquie sur son flanc sud, constituent des menaces graves pour une institution fondée plus encore sur la géographie des valeurs que sur la valeur de la géographie. Certes, l'Amérique n'est pas la Turquie. Il y existe un système de "checks and balances" et une résistance spontanée et efficace de la société civile, que l'on ne retrouve pas en Turquie. Ainsi l'homme censé être le plus puissant du monde doit déjà consacrer la plus grande partie de ses énergies à survivre politiquement plutôt qu'à agir sur la scène du monde. Avec le risque que, comme un animal aux abois, il devienne toujours plus irresponsable.

Pour définir une hiérarchie de ses priorités, l'Otan doit revenir à ses fondamentaux. Cela passe par la reconnaissance que l'Europe a toujours besoin de l'Amérique, car elle ne peut assurer sa sécurité seule et que l'Amérique a encore besoin de l'Europe, car elle a besoin d'alliés partageant les mêmes valeurs qu'elle. L'Otan, pour survivre, suppose une Europe plus forte et une Amérique moins erratique.

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