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05/12/2016

Israël : la possibilité d'un îlot de stabilité

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Israël : la possibilité d'un îlot de stabilité
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

Depuis que le monde arabo-musulman est entré dans une période de guerre civile, Israël n'apparaît plus comme un foyer de tension. Mais tant qu'un État palestinien ne sera pas créé, ce calme ne restera que provisoire.

"La situation ne pourrait être meilleure." Ce ne sont pas ses mots, mais il ne faudrait pas trop pousser le Premier ministre d'Israël, Benyamin Netanyahu, pour qu'il n'arrive de lui-même à cette conclusion.

Pour un pays développé occidental, la démographie d'Israël, "plus à l'africaine qu'à l'européenne", est tout à fait exceptionnelle avec un taux de fécondité de 3,1 par femme, traduisant tout à la fois le confort économique du présent et la confiance dans le futur.

La "High Tech Nation" mérite plus que jamais son surnom. Elle est sans doute aussi le dernier pays occidental à ne pas connaître de rejet de la mondialisation. Pionnier de la nouvelle économie, Israël continue de créer et d'inventer dans tous les domaines, des cellules souches, qui permettront de traiter la dégénérescence maculaire, aux impulsions électriques, qui pourront redonner - au moins partiellement - de la mobilité aux personnes paralysées.

Mais ce qui est plus nouveau, c'est que sur le plan géopolitique même, la situation semble beaucoup plus favorable. La question palestinienne ne figure plus sur l'agenda diplomatique mondial, ou de manière très secondaire, sinon anecdotique. Qui se préoccupe de l'initiative lancée il y a moins d'un an par la diplomatie française pour maintenir la question palestinienne sur le devant de la scène ? Depuis que le monde arabo-musulman est entré dans une période de guerre civile qui évoque les guerres de religion de l'Europe du XVIIe siècle, les régimes et les peuples de la région sont trop préoccupés par leurs combats, sinon par leur survie, pour accorder une quelconque importance à la question palestinienne.

De la Russie de Poutine à la Chine de Xi Jinping, en passant désormais par la Turquie d'Erdogan, on se bousculerait presque pour gagner les faveurs de l’État hébreu. L’Égypte du maréchal Sissi contribue à la lutte contre les incendies qui ont ravagé Israël il y a quelques jours. De manière plus discrète, animés par leur peur commune de l'Iran, l'Arabie saoudite et l’État hébreu cachent de moins en moins les liens qui se tissent entre eux. Ce qui n'empêche pas Israël, en dépit de sa peur d'un Iran nucléaire, de faire plus confiance sur le long terme à la Perse qu'à l'Arabie. Autre forme, bien plus modeste, de normalisation, il n'est pas rare de trouver sur des chantiers de construction israéliens des travailleurs jordaniens.

Certes, tout n'est pas parfait. L'élection de Donald Trump aux États-Unis peut réjouir les éléments les plus à droite de la coalition au pouvoir à Jérusalem. "C'en est fini de l’État palestinien", déclarait le ministre de l’Éducation, Naftali Bennett, au lendemain de l'annonce des résultats de l'élection du 8 novembre. Benyamin Netanyahu est bien plus prudent. La perspective de devoir traiter avec un président des États-Unis imprévisible, sinon profondément caractériel, ne le rassure guère. Au-delà de cette incertitude sur les choix futurs de Washington, il y a le comportement de Moscou.

Que veut vraiment Poutine ? Sa diplomatie est pour le moins ambiguë. Il multiplie les déclarations d'amour à Netanyahu, mais continue d'armer et de soutenir diplomatiquement ses ennemis. En Syrie, avec la victoire désormais probable du régime de Bachar Al Assad, sauvé au dernier moment par l'intervention décisive de Moscou, le front nord d'Israël ne risque-t-il pas de se "réveiller" ? Au-dessus du plateau du Golan, aviations russe et israélienne se croisent dans une épreuve, pour le moment parfaitement maîtrisée, de volonté politique.

Comme s'il avait anticipé, le déclin - au moins relatif - de l'Occident, l’État hébreu développe toujours davantage ses relations avec le continent du futur, l'Asie, de l'Inde à la Chine en passant par Singapour. Pourquoi s'intéresser encore à l'Europe ? Divisée, affaiblie, sensible aux sirènes du populisme, compte-t-elle encore vraiment ? Le seul pays qui émerge du lot, l'Allemagne, est celui qui - pour des raisons historiques évidentes - est le plus proche d'Israël.

Tout serait-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes pour la seule démocratie - de plus en plus dysfonctionnelle - de la région ?

La réponse est clairement non. A Jérusalem, où je participais il y a quelques jours à une conférence internationale sur le devenir du sécularisme, et donc sur la relation entre religion et politique, un philosophe israélien très connu ne cachait pas son inquiétude. "L’État d'Israël va-t-il survivre à la religion d'Israël ?" s'interrogeait-il, alors que le droit de propriété des Palestiniens de Cisjordanie, fondé sur l’État de droit, se trouve remis en cause par une véritable "religion de la terre" qui ne fait que croître en intensité ?

Dans la même conférence, un intellectuel palestinien de premier plan, citoyen d'Israël, ne pouvait, au fil d'une présentation mi-historique, mi-philosophique, cacher sa frustration : "Quand commencerez-vous à nous traiter comme des égaux ?" demandait-il aux Israéliens.

Le problème d'Israël, quelles que puissent être ses performances, scientifiques, technologiques, intellectuelles ou artistiques, ou le caractère temporairement favorable de sa situation géopolitique, demeure le même. La viabilité de son projet repose à long terme sur une solution au problème palestinien. Or, jamais les deux peuples n'ont été objectivement plus inégaux : les Israéliens plus forts et confiants que jamais, les Palestiniens toujours plus faibles et désespérés. Sans une forme d'équilibre entre les deux partis, aucune paix n'est envisageable dans la durée.

Dans moins d'un an, en novembre 2017, on célébrera le centième anniversaire de la déclaration Balfour, qui fut à l'origine de la création d'un foyer national juif en Palestine. Les deux parties au conflit célébreront chacune à leur manière l'événement. Dans la joie et la fierté pour les uns, dans l'amertume et la demande de réparations à la Grande-Bretagne pour les autres. Si la guerre civile actuelle au sein de l'Islam évoque la guerre de Trente Ans, la référence à la guerre de Cent ans s'imposera bientôt dans le cas du conflit Israël-Palestine.

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