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24/10/2016

Comment contenir Poutine

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Comment contenir Poutine
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Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

Jamais, depuis la fin de la guerre froide, le niveau de confiance n'avait été aussi bas entre la Russie et le monde occidental. Poutine profite de nos divisions et de nos tentations populistes pour étendre son influence. Comment lui faire face?

"Le principal élément de toute politique américaine à l'égard de l'Union soviétique doit être un effort à long terme, patient mais ferme et attentif, d'endiguement des tendances expansionnistes russes." C'est en ces termes, que Georges Kennan, dès 1947, présentait la doctrine du "containment" qui domina la politique des États-Unis à l'égard de l'URSS tout au long de la guerre froide. En 2016 la pensée de Kennan est d'une troublante actualité, comme si, en près de soixante dix ans, tout avait changé sauf l'essentiel.

La question est toujours la même : comment fixer des limites à la Russie ? Cette question divise les pays européens entre eux selon des critères géographiques, historiques, politiques et commerciaux. Elle constitue aussi une source de tension à l'intérieur des pays européens eux-mêmes. Ainsi, en Allemagne,les sociaux démocrates du SPD semblent nostalgiques de leur leader charismatique des années 1970, Willy Brandt. Ils pensent toujours en termes de détente, trop heureux sans doute, en cette période préélectorale, de se démarquer ainsi de la ligne politique plus dure qui est celle d'Angela Merkel. Et, à en croire les sondages, les Allemands sont plus proches, sur la question russe, du SPD que de leur chancelière.

En France, à l'exception de l'extrême gauche et de l'extrême droite qui sont, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, unis dans leur défense de la Russie, tous les autres partis sont profondément divisés. A droite, il y a plus que des nuances entre la ligne modérée mais ferme d'Alain Juppé et celle, plus compréhensive, de Nicolas Sarkozy ou de François Fillon. Il en est de même à gauche entre la ligne ferme sur le fond, mais parfois incohérente sur la forme, de François Hollande, et celle, carrément positive, de Jean-Pierre Chevènement.

Jamais, depuis la fin de la guerre froide, le niveau de confiance n'a été aussi bas entre la Russie et ce que l'on appelait hier "le monde occidental". Pour l'ambassadeur russe auprès de Nations unies, Vitaly I. Churkin, "les tensions actuelles sont probablement les pires depuis 1973", date de la guerre du Kippour. De fait, en 2016, les sources de discorde avec la Russie se sont multipliées et approfondies. La crise ukrainienne, en dépit des accords de Minsk (qui ne sont pas appliqués), est loin d'être résolue. La tension armée peut s'accroître à tout moment entre la Russie et l'Ukraine. Moscou a disposé à Kaliningrad des missiles qui peuvent être porteurs de charges nucléaires et s'est retiré des négociations en cours avec Washington sur le contrôle puis l'interdiction des charges au plutonium.

Il apparaît aussi - selon les services de renseignement des deux cotés de l'Atlantique - que Moscou intervient directement dans la politique intérieure des démocraties. La Russie ne soutient-elle pas clairement les populismes, de Donald Trump à Marine Le Pen ?

Et pour couronner le tout, bien sûr, il y a la Syrie et les bombardements massifs des aviations syrienne et russe sur les quartiers de la ville d'Alep encore aux mains des rebelles. Pour les Russes, le discours de Washington est hypocrite. Les Américains ne tolèrent-ils pas les bombardements saoudiens sur la capitale du Yémen, Sanaa, contrôlée par les Houtis, eux-mêmes soutenus par l'Iran, le grand rival régional de l'Arabie saoudite ? Doit-on se livrer à une comptabilité macabre pour refuser toute comparaison entre les deux situations ? Des centaines de milliers de morts en Syrie contre des milliers au Yémen ?

Les démocraties peuvent-elles être capables de définir une stratégie "à long terme, patiente mais ferme", pour reprendre les termes de Kennan, et de fixer ainsi des limites aux ambitions de Moscou ? Pour Poutine, la réponse est clairement non. Nous sommes trop divisés, obsédés par nos calendriers électoraux respectifs, pour faire autre chose que parler fort et gesticuler de manière inconséquente et incohérente. Que pourrions nous faire, d'ailleurs ? Jouer de la faiblesse économique de la Russie, comme Moscou joue de notre faiblesse politique ? Sur le papier, la démarche semble rationnelle, chacun mettant l'accent sur ses avantages comparatifs ou plutôt sur les désavantages comparatifs de l'autre. Mais cette approche résiste-t-elle à l'examen critique ? Il est clair que l'on ne saurait mettre fin à la politique de sanctions économiques à l'encontre de Moscou. Ce serait récompenser le crime. Mais l'idée de renforcer le régime de sanctions existant s'impose t-elle ? Pour les personnalités les plus riches du régime, ce ne serait même pas un coup de canif. Et, pour les autres, le pouvoir à Moscou ne s'en soucie guère. De toute façon, il n'existe pas de consensus sur le renforcement de la politique de sanctions.

Alors, que faire ? D'abord, ne pas détourner la tête comme s'il ne se passait rien. Il faut dénoncer toutes les fuites en avant de la Russie. Un discours pédagogique à usage interne et externe s'impose pour répondre à une politique de désinformation russe particulièrement active et habile. Les cartes de Moscou sont multiples et d'autant plus efficaces que les Russes lisent dans nos âmes et nous comprennent bien mieux que nous ne les comprenons. La Russie surfe sur un double mouvement de contestation de l'ordre international comme de l'ordre interne. Sur le plan international, les Russes jouent la carte de l'anti-américanisme qui marche toujours, que l'Amérique soit forte ou qu'elle soit faible. Ils jouent aussi de plus en plus du rejet des élites et de la mondialisation. Loin d'apparaître, comme c'était le cas il y a un peu plus de trente ans, comme l'arrière-garde d'une cause perdue, celle de l'Internationale communiste, ils peuvent être perçus comme l'avant-garde d'un mouvement qui ne fait qu'enfler à leur exemple : celui des patriotismes, sinon des hypernationalismes.

Ne pas fixer de limites à Moscou, c'est accepter le danger d'une fuite en avant vers l'inconnu.

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