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19/09/2016

[NOUVEAU RAPPORT] Un islam français est possible

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[NOUVEAU RAPPORT] Un islam français est possible
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Le fondamentalisme religieux se diffuse avec vigueur sur notre territoire pendant que s'exacerbent les polémiques autour de l'inscription des signes d'appartenance islamique dans l'espace public, suscitant crispations et angoisses. Ces peurs sont renforcées par une méconnaissance générale des musulmans de France, de leurs aspirations et de leurs pratiques religieuses.

Aujourd’hui, le discours sur l’islam et l’image de l’islam sont très largement fabriqués par les djihadistes, les salafistes et les autres émetteurs de discours intégristes. Dans leur majorité, les musulmans de France ne participent pourtant pas de cet islam-là.

Le portrait de cette majorité silencieuse que dresse l’Institut Montaigne dans ce rapport est le premier du genre en France. La méconnaissance dont elle est l’objet s’explique en grande partie par la difficulté à connaître précisément la sociologie de la population musulmane vivant en France. C’est pour y porter remède qu’une grande enquête, aux méthodes rigoureuses et transparentes, a été conduite avec l’Ifop auprès de plus de 1 000 personnes de confession ou de culture musulmanes.

Face au danger terroriste porté par des individus se réclamant de l’islam, la première réaction de l’État a été et demeure sécuritaire. Si cette réponse est légitime dans ce contexte si dramatique, elle ne peut être suffisante pour préserver la cohésion sociale et la concorde nationale pour les générations à venir. Les discours et les propositions qui émergeront dans le cadre de la campagne présidentielle de 2017 ne manqueront pas d’être alimentés par les préjugés, par la peur, voire par la haine. Il s’agit non seulement de répondre par la connaissance aux défis que les événements tragiques de 2015 et de 2016 ont fait naître, mais aussi d’éclairer les débats à venir d’éléments solides et objectifs.

L’Institut Montaigne est convaincu que construire un islam français est possible. Mais son organisation, son financement, ses liens avec l’État ainsi qu’avec les pays dits d’origine doivent se transformer sous peine, faute de résultat, de rendre insupportables les tensions sociales que chaque attentat approfondit. 

« C’est parce que la méfiance, l’ignorance et l’hostilité croissante d’une partie de la population menacent notre cohésion nationale qu’il est indispensable que les musulmans de France mènent une bataille de la connaissance afin de lutter contre les idées reçues et contre le fondamentalisme ». Hakim El Karoui, consultant en stratégie, essayiste, fondateur du Club du XXIème siècle et rédacteur de ce rapport pour l’Institut Montaigne.

Qui sont les musulmans de France ?

Le profil des musulmans de France est aujourd’hui trop mal connu. Afin de pallier ce déficit, l’Institut Montaigne a conduit avec l’Ifop une enquête pionnière auprès des musulmans vivant en France, sans la restreindre aux personnes immigrées ou issues de l'immigration. Cette étude constitue une avancée essentielle dans la connaissance de leur profil social, de leurs attitudes et de leurs comportements. L’analyse de ces données inédites a été réalisée par Antoine Jardin, docteur en science politique et ingénieur de recherche au CNRS.

Il n’existe pas de données statistiques officielles sur le profil sociodémographique des musulmans. Par conséquent, l'Ifop a eu recours à un très vaste échantillon national représentatif de plus de 15 000 personnes. Cette méthode vise à identifier un sous-échantillon de personnes se déclarant de confession musulmane ou ayant au moins un parent musulman. Grâce à celle-ci, nous pouvons connaître précisément et de manière fiable la proportion de personnes musulmanes ou d'origine musulmane dans la population globale.

Au sein de l’échantillon national représentatif de référence de 15 459 individus, un sous-échantillon de 1 029 personnes de religion ou de culture musulmanes a ainsi été extrait.

Les personnes de religion ou de culture musulmane interrogées dans le cadre de cette enquête se répartissent de la façon suivante :

  • 874 personnes se déclarent de religion musulmane (soit 5,6 % de l’échantillon global) ;
  • 155 personnes se déclarent non musulmanes mais ont au moins un parent de religion musulmane (soit 1 % de l’échantillon global)

Les principaux enseignements :

  • les musulmans en France représentent 5,6 % de la population de plus de 15 ans en métropole
  • il s’agit d’une population plus jeune que la moyenne nationale ;
  • plus de 10 % des jeunes de moins de 25 ans se déclarent musulmans ;
  • le profil social des musulmans en activité souligne une exposition relativement forte aux formes d'emplois précaires (CDD, intérim, temps partiel), ainsi qu’une surreprésentation des employés et des ouvriers, mais aussi des personnes inactives (non retraitées) ;
  • pour autant, on voit aussi émerger une classe moyenne et supérieure : 10 % de professions intermédiaires et 5 % de cadres et professions intellectuelles supérieures parmi les musulmans de religion ou de culture ;
  • deux tiers des musulmans pensent que la laïcité permet de vivre librement sa religion ;
  • une majorité de musulmans en France s’inscrit dans un système de valeurs et dans une pratique religieuse qui s’insèrent sans heurts dans le corpus républicain et national (46 %) ;
  • mais, de plus en plus de jeunes musulmans, même s’ils restent minoritaires, se définissent d’abord et avant tout par une identité religieuse de rupture (près de 50 % des 15-25 ans) ;
  • 15 % des enquêtés ont au moins un parent musulman, mais ne se considèrent pas eux-mêmes musulmans. Ces trajectoires de « sortie » de la religion musulmane – ou de désaffiliation – sont même deux fois plus importantes que les trajectoires d'entrée, puisque 7,5 % des enquêtés se déclarent musulmans tout en indiquant qu'aucun de leurs parents n'est lui-même musulman.

Quatre traits largement partagés distinguent les musulmans de France de l’ensemble de la population :

1) une pratique religieuse nettement plus régulière  : 31 % des enquêtés qui se déclarent musulmans se rendent une fois par semaine dans une mosquée ou une salle de prière, contre 8,2 % dans la population générale  ;

2) le respect marqué de la norme alimentaire halal : 70 % des enquêtés déclarent « toujours » acheter de la viande halal, 22 % en achètent « parfois » et seulement 6 % « jamais » ;

3) le soutien au port du voile, majoritaire malgré d’importants clivages : environ 65 % des musulmans – de religion ou de culture – se déclarent favorables au port du voile  ;

4) l’absence d’un communautarisme musulman généralisé : 78 % des enquêtés qui se déclarent musulmans – inscrits sur les listes électorales  – disent qu’ils ne votent pas systématiquement pour un candidat musulman aux différentes élections.

Le portrait des musulmans de France ne se limite pas à ces traits communs. Ce sont d’ailleurs les différences et les divergences qui font leur spécificité. L’analyse méthodique des résultats de cette enquête met en lumière trois groupes : 

  • la majorité silencieuse, large groupe composé de 46 % des sondés . Leur système de valeurs leur permet de s’adapter à la société française, qu’ils contribuent d’ailleurs à faire évoluer par leurs spécificités religieuses ;
  • les conservateurs. Ils composent 25 % de l’échantillon et sont au cœur de la bataille politique et idéologique que les propositions de notre rapport doivent permettre de conduire et de remporter ;
  • les autoritaires forment le dernier groupe, soit 28 % de l’ensemble. Ils sont majoritairement jeunes, peu qualifiés et peu insérés dans l’emploi, et vivent dans les quartiers populaires périphériques des grandes agglomérations. Ce groupe ne se définit plus par le conservatisme mais par l’usage qu’il fait de l’islam pour signifier sa révolte vis-à-vis du reste de la société française.

L’islam français : une organisation fragmentée et complexe

Il est essentiel de construire un islam français, porteur d’une représentation du monde compatible avec celle de la République. Cet islam français, financé par de l’argent français, doit produire et diffuser de la connaissance religieuse et s’appuyer, enfin, sur des femmes et des hommes nouveaux, issus de la majorité silencieuse des musulmans de France.

Cinq mutations majeures doivent être engagées :

1.    « Sortir l'islam de France de la minorité » en comprenant, enfin, que les musulmans ne sont ni des mineurs qu’il faut mettre sous tutelle ni des irresponsables toujours divisés qu’il faudrait considérer avec commisération sans jamais les croire capables d’agir efficacement. Cela a été trop souvent l’attitude des pouvoirs publics, confrontés il est vrai à des querelles incessantes de représentants plus ou moins auto-proclamés de l’islam en France.

L’atteinte de cet objectif est conditionnée par deux impératifs.

  • Mettre fin à la tutelle – longtemps acceptée voire encouragée par la France - d’États étrangers, qui ne tolèreraient en aucune manière sur leur sol ce qu’ils pratiquent en France. Imagine-t-on la France, ou l’Italie qui vit sous régime concordataire, financer le culte catholique dans tel ou tel pays musulman ? Imagine-t-on le cabinet du Premier ministre envoyer le texte des prêches chaque dimanche aux desservants français établis dans ces pays ? C’est pourtant ce qui se passe en France aujourd’hui. Mettre un terme  cette situation nécessite que les flux financiers venus de ces pays ne soient plus dirigés vers « leur » communauté, mais, de façon claire et transparente, vers une organisation reconnue dont les moyens seront utilisés dans l’intérêt de l’ensemble des musulmans de France, quelle que soit leur origine.
  • Faire émerger de nouveaux cadres, religieux et laïcs, nés en France, soucieux de prendre en main une communauté embryonnaire et de répondre aux très nombreux défis auxquels sont confrontés les musulmans de France. La solution pour y parvenir consiste à leur donner une légitimité institutionnelle en les associant à la création et à la gouvernance de la Fondation pour l’islam de France et de l’Association musulmane pour un islam de France actuellement en projet à l’heure où nous écrivons ces lignes.
2.    Assurer à l’islam de France des ressources financières transparentes, destinées à un usage collectif, afin de structurer une véritable organisation de l’islam, de salarier les imams et de répondre au fait social indéniable que constitue « la nouvelle fierté islamique » de nombreux musulmans de France, qui font de l’islam un objet moins religieux qu’identitaire. La solution, passe par une redevance sur le halal et des institutions reconnues, capables d’attirer des dons.

3.    Contribuer, autant que le permet la loi de 1905, à la lutte contre le discours fondamentaliste, notamment via le financement de la formation – culturelle – et du travail des aumôniers dans tous les lieux fermés (écoles, prisons, armées, établissements hospitaliers, etc.) et via l’enseignement de l’arabe à l’école publique. Dans un contexte où cet enseignement se diffuse très rapidement dans les mosquées et les écoles coraniques, du fait notamment de l’absence d’offre de formation à l’école ;


4.    Une réflexion doit enfin être engagée sur l’absence de l’islam du concordat qui régit, encore aujourd’hui, la relation entre les cultes et l’État en Alsace-Moselle. Il en va de l’égalité entre les citoyens et de la capacité de l’État de créer une faculté de théologie capable de travailler rapidement sur des interprétations religieuses compatibles avec la réalité française d’aujourd’hui.

5.    Lever les ambiguïtés qui pèsent sur certaines pratiques locales (baux emphytéotiques, carrés confessionnels, garanties d’emprunt) afin de garantir aux musulmans que ces pratiques juridiques sont conformes avec la Constitution.


Faire émerger un islam français : les propositions de l’Institut Montaigne

Ce constat conduit l’Institut Montaigne à formuler un ensemble de propositions concrètes, afin qu’un islam français émerge.
  • Permettre le financement du culte (construction des lieux de culte, salariat des imams, formation théologique) par l’Association musulmane pour un islam français, qui centralisera le produit d’une redevance sur la consommation halal. Pour que l’islam français puisse se doter d’une ligne théologique compatible avec la société française et afin qu’il puisse rompre avec les discours diffusés par les États émetteurs d’idéologie rigoriste, il faut créer des instances – gérées par une nouvelle génération de musulmans – capables de produire et de diffuser des idées et des valeurs françaises.
  • Élire un grand imam de France afin de conduire le travail intellectuel et théologique destiné à poser les jalons d’un islam français.
  • Étendre le concordat à l’islam en Alsace-Moselle afin d’assurer la formation des cadres religieux musulmans en France. L’islam n’est pas intégré au régime concordataire alsacien et mosellan. C’est un culte « non-reconnu ». Par conséquent, le financement du culte musulman – et plus largement celui des nouveaux cultes – n’est pas aligné sur le régime dont bénéficient les quatre cultes reconnus (catholique, luthérien, calviniste, juif).
  • L’administration recrute des aumôniers, assurant une « fonction » qui, par essence, relève du religieux et du spirituel aussi, nous recommandons de créer un Institut français des aumôniers pour former culturellement et recruter des aumôniers.
  • Équiper juridiquement les collectivités locales pour favoriser l’émergence d’un islam local intégré (baux emphytéotiques, carrés confessionnels, garanties d’emprunt, etc.). Bien qu’interdits par la loi, les carrés musulmans sont encouragés par les autorités  publiques, ce qui crée une situation d’insécurité juridique.
  • Enseigner l’arabe classique à l’école publique pour réduire l’attractivité des cours d’arabe dans les écoles coraniques et dans les mosquées.
  • Développer la connaissance sur l’islam :
- connaître et prendre la mesure de la situation par les statistiques religieuses. La réticence française à l’égard des recensements religieux et les estimations existantes autour de l’appartenance religieuse ne permettent pas de suivre finement l’évolution des composantes religieuses au sein de la population ;

- rédiger un ouvrage scolaire d’histoire commun avec l’Italie, l’Espagne, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, afin de mettre en perspective historique les apports mutuels et les convergences religieuses et culturelles entre les deux rives de la Méditerranée.

  • Créer un Secrétariat aux Affaires religieuses et à la Laïcité, placé sous la tutelle du Premier ministre, et lui rattacher le Bureau central des cultes. Cette nouvelle fonction ne résoudra pas les multiples questions que soulève la condition actuelle des relations entre l’État et les cultes, mais elle en facilitera l’appréhension et aura pour vertu de le sortir du prisme sécuritaire actuel.

Toutes nos propositions pour organiser l’islam français sont disponibles ici.

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