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15/09/2016

Sélection à l’université : une singularité française ?

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Sélection à l’université : une singularité française ?
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

Une loi qui donne la possibilité aux universités de sélectionner leurs élèves dès le master 1, tel est le projet annoncé par la ministre Najat Vallaud-Belkacem dans une interview aux Échos, le 12 septembre dernier. Bien qu'assorti d'un droit à la poursuite d'études (tous les élèves titulaires d'une licence devront se voir proposer une formation en master), ce principe suscite de farouches oppositions parmi les syndicats étudiants.

Une question qui se pose dès le premier cycle

Avant de traiter la question de la sélection au niveau du master, envisageons son opportunité dès la première année de licence. En effet, le nombre d’étudiants augmente d’année en année. Il a crû de 4% entre septembre 2014 et septembre 2015  ; interrogeant la capacité des établissements à accueillir des élèves toujours plus nombreux. Parallèlement à cette augmentation, les taux d’échec à l’issue de la première année ne cessent de croître : seuls 39,7 % des étudiants en L1 sont passés en L2 en 2014 et moins d’un étudiant sur trois inscrit en L1 en 2010 a obtenu sa licence en trois ans.

La France est le seul pays d’Europe dont la législation interdit toute forme de sélection, que ce soit en première année de licence ou en master 1 ou 2, comme l’a récemment rappelé la jurisprudence du Conseil d’État. Singularité législative, oui, mais anomalie européenne, non. De nombreux pays n’ont, en effet, recours à la sélection que de façon exceptionnelle, pour certaines filières déterminées par l’État. Si pour la quasi-totalité des systèmes que nous avons observés l’accès à l’université est conditionné, a minima, par l’obtention de l’équivalent du baccalauréat (Abitur en Allemagne, Esame di Stato en Italie, Bachiller en Espagne, etc.), les modalités d’accès à l’université varient d’un pays à l’autre.

Tour d’horizon des pratiques menées ailleurs dans le monde.

Le modèle anglo-saxon de sélection sur dossier

Le modèle anglo-saxon diffère fortement du modèle français. En effet, les universités sont libres de sélectionner les étudiants de leur choix après examen de leur dossier scolaire et d’une lettre de motivation, le « personal statement ». Le processus est identique pour l’admission en master, qui s’effectue généralement en un an. Les États-Unis et le Canada ont adopté un système similaire, certaines universités allant même jusqu’à organiser leurs propres concours d’entrée, s’ajoutant à une première sélection sur dossier. La seule similarité avec le système français réside dans les modalités d’inscriptions : le Royaume-Uni s’est doté d’un système équivalent à notre Admission Post Bac (APB),  l’Universities and Colleges Admissions Service (« UCAS »), par lequel les étudiants britanniques formulent cinq vœux maximum auprès de plus de 340 établissements d’enseignement supérieur.

L’admission à l’université sur concours
De nombreux autres pays privilégient la sélection, mais décorrélée des résultats obtenus par l’étudiant dans le secondaire. C’est le cas de l’Espagne, où l’admission à l’université est conditionnée à l’obtention d’un examen d’entrée, la selectividad ou PAU (prueba de acceso a la universidad), quelle que soit la filière. Pour chacune d’entre elles, une note d’admission est calculée en fonction de l’attractivité des formations concernées. Certaines formations très demandées, comme la médecine ou les sciences juridiques, exigent par exemple des résultats élevés à l’examen.
En Suède, où il n’existe pas d’équivalent du baccalauréat, l’accès à l’université dépend également de la réussite à un test national d’aptitude aux études supérieures, l’Högskoleprovet, qui permet l’accès à l’université durant les cinq années qui suivent son obtention.

L’instauration de numerus clausus tend à accroître le recours à la sélection en Europe

Numerus clausus et sélection sur dossier
Modèle hybride entre le système anglo-saxon et le système français, plusieurs pays ont désormais recours au numerus clausus pour certaines filières, tout en conservant le principe d’accès libre pour l’ensemble des autres filières. Le nombre limité de places disponibles pour ces sections entraîne une sélection sur dossier (c’est le cas en Allemagne et en Autriche depuis 2008) ou une sélection par concours (c’est le cas en Italie). Les cursus concernés par le numerus clausus diffèrent selon les pays. Ainsi, en Allemagne, la majorité des formations dispensées à l’université restent accessibles sans condition. Les formations soumises au numerus clausus relèvent quasi exclusivement du domaine médical : médecine, psychologie, pharmacie, sciences vétérinaires, etc. Ce sont alors les notes obtenues à l’Abitur qui déterminent la sélection. En France, la sélection pour ces formations s’opère à l’issue de la première année, par le biais d’un concours et non dès l’entrée en première année, comme c’est le cas en Allemagne.

Numerus clausus et sélection sur concours
En Italie, si l’Esame di Stato donne accès à de nombreuses formations universitaires, l’accès aux études d’architecture et de médecine est subordonné à la réussite d’un examen d’entrée, en raison d’un numerus clausus pour ces deux filières. Au Portugal le numerus clausus a également entraîné la mise en place d’un examen d'entrée à l’université, valable deux ans.
Numerus clausus et tirage au sort pour les étudiants non-résidents
Ultime vecteur de sélection, aléatoire cette fois-ci : le tirage au sort. Pratique plus rare et plus controversée, elle est essentiellement pratiquée pour limiter le nombre d’étudiants étrangers dans certaines facultés. C’est le modèle adopté en Belgique, pour les études de médecine et d’odontologie, où un quota de 30 % est instauré pour les étudiants non-résidents. Si ce quota est dépassé lors des demandes d’inscription, l’université concernée peut avoir recours à un tirage au sort. Si la pratique du tirage au sort, qui avait été envisagée pour sélectionner les étudiants en médecine en Ile-de-France, a finalement été abandonnée par le gouvernement, son principe demeure une option à laquelle rectorats et ministère songent de plus en plus sérieusement.

Sélection et réussite à l’université : les propositions de l’Institut Montaigne
Résolue dans de nombreux pays, la question de la sélection ne peut demeurer un tabou en France. La peur des réactions que susciterait l’introduction de la sélection dans nos universités l’emporte depuis trop longtemps sur l’indignation que devrait provoquer le taux d’échec alarmant dans nos universités, notamment au niveau de la licence.

Dans notre étude Université pour une nouvelle ambition, nous formulons des propositions afin de concilier excellence et réussite de tous à l’université. Pour cela, il est impératif d’introduire une plus grande sélectivité mais également un meilleur accompagnement des élèves issus de formations technologiques ou professionnelles. En rappelant clairement les prérequis jugés nécessaires pour réussir dans une filière donnée et en instaurant des pédagogies adaptées d’accompagnement, d’accueil et de suivi, nous pourrons enfin mettre un terme à la sélection par l’échec qui mine aujourd’hui notre système. Une université renouvelée, garante d’équité et d’excellence, donnera un nouveau souffle à l'insertion professionnelle de notre jeunesse, dont le taux de chômage reste anormalement élevé en France.

Voir aussi :
•    Université, la sélection en master jugée illégale : trois questions à Jean-Marc Schlenker
•    Université : pour une nouvelle ambition
•    Quel enseignement supérieur pour la France en 2020 ? Table ronde 2

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