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04/02/2021

Vivre au temps des algorithmes : quels sont les enjeux ?

Vivre au temps des algorithmes : quels sont les enjeux ?
 Théophile Lenoir
Auteur
Contributeur - Désinformation et Numérique
 Milo Rignell
Auteur
Expert associé - IA & Nouvelles Technologies

Dans une série d’articles présentant des initiatives de formations à l’intelligence artificielle publié sur le blog du Monde, le journaliste Victor Storchan s’est intéressé à la formation Objectif IA, lancée en avril 2020 par l’Institut Montaigne, en partenariat avec OpenClassrooms et avec la Fondation Abeona. L’objectif ? Former tous ceux qui le souhaitent aux enjeux sociaux et éthiques de l’intelligence artificielle. Il a interviewé dans ce cadre Théophile Lenoir, responsable du programme numérique de l’Institut Montaigne, et Milo Rignell, chargé de l’innovation à l’Institut. Après être revenus sur les étapes de développement de la formation et ses objectifs, ils se sont intéressés aux enjeux suscités par la révolution de l’IA. Nous publions, avec l'aimable autorisation de Binaire (publié le 19/01/2021), une partie de leur échange. 

Quels sont les atouts et les faiblesses de l’Europe pour peser dans la compétition technologique mondiale ? La dynamique européenne sur l’IA actuelle est-elle suffisamment ambitieuse ?

Disposant d’un précieux savoir-faire dans plusieurs secteurs industriels, les entreprises européennes ont de nombreux atouts pour prendre de l’avance - à condition de comprendre les enjeux numériques et d’IA et de développer des nouveaux usages dont dépendra leur compétitivité. C’est pourquoi il faut non seulement plus de personnes formées aux métiers de la donnée et de l’IA, aujourd’hui déjà en tension, mais aussi la mobilisation de l’ensemble des collaborateurs de ces groupes, en allant des instances dirigeantes aux collaborateurs qui interagiront avec ces nouvelles technologies, sans nécessairement qu’elles en constituent le métier. 

Objectif IA met ces compétences en situation, en suivant pas à pas les étapes d’un projet d’intelligence artificielle et en passant par les différents métiers impliqués. 

Selon une étude France Digitale-Roland Berger, la France était en tête des investissements dans l’IA en Europe avec un doublement des fonds levés en 2019 par rapport à 2018. Quelles sont les spécificités du modèle français ?

L’innovation en IA ne provient pas uniquement des levées de fonds de start ups. Le gouvernement a investi une somme non négligeable, 1,5 milliards d’euros sur cinq ans. 

Il est difficile de tirer des conclusions des niveaux d’investissement en capital risque, qui dépendent des levées de fonds d’un petit nombre d’entreprises. 2019 a par exemple été l’année de la levée record de 230 millions de dollars par Meero, qui automatise l’édition de photos grâce à l’intelligence artificielle, soit 20 % des fonds levés en 2019. 

Comparé à d’autres marchés, comme celui des États-Unis, en Europe la part d’investissements publics est plus importante et certains financeurs tels que les fonds de pensions et d’universités jouent un rôle considérablement réduit. En France par exemple, la Banque publique d’investissement (Bpifrance) joue un rôle particulièrement important. 

Enfin, l’innovation en IA ne provient pas uniquement des levées de fonds de start ups. Le gouvernement a investi une somme non négligeable, 1,5 milliards d’euros sur cinq ans. Dans plusieurs secteurs, par exemple médicaux et industriels, la France dispose déjà d’acteurs qui investissent fortement en IA, bénéficiant en outre d’avantages fiscaux compétitifs.

Votre initiative crée donc un lien éducation et IA, quels sont les liens à renforcer entre IA et éducation (par exemple apprentissage de l’IA dans le secondaire) et éducation et IA (par exemple des assistants algorithmiques), et quels sont les impacts socio-économiques visés ?

Concernant l’éducation à l’IA, les niveaux de compréhension nécessaires varient considérablement selon les publics. Pour la majorité de la population, il est utile de comprendre les principaux enjeux, sans prendre plus de temps que les quelques heures de formation proposées par Objectif IA

Dans le domaine de l’éducation, les professeurs doivent garder un rôle central. Des outils d’IA peuvent néanmoins soutenir leur travail en permettant un enseignement adapté aux besoins individuels de l’élève et en soulageant leur charge de travail. Dans le domaine de l’apprentissage de la lecture par exemple, des associations comme Agir pour l’école utilisent la reconnaissance vocale des sons que lit un élève pour permettre un apprentissage plus autonome et des exercices adaptés à son niveau de lecture. 

Confier à des algorithmes des tâches qui mènent à des décisions cruciales, par exemple en matière de justice, d’embauche, ou d’autres décisions à forte conséquence humaine, questionne, quel est votre positionnement sur ce sujet ? Quelle place pensez-vous que l’éthique doit prendre dans votre enseignement ?

Face aux risques de discrimination des algorithmes à fort impact, deux considérations importantes entrent en jeu : le point de départ auquel nous nous comparons, c’est à dire les biais humains déjà présents, et la possibilité de mesurer les résultats finaux pour détecter, et ainsi corriger, d’éventuels biais. 

Les systèmes d’intelligence artificielle sont très performants lorsqu’il s’agit de certaines tâches précises. Cela peut donner l’illusion que l’IA évolue rapidement vers le niveau d’intelligence humaine, et ainsi développer une vision négative et menaçante de l’IA. 

La formation Objectif IA consacre plusieurs chapitres de son cours à restituer les enjeux éthiques, non seulement en démystifiant certaines idées reçues, mais également en précisant les points de vigilance et en proposant des solutions concrètes aux enjeux d’utilisation des données, d’information, de décisions algorithmiques et de biais. 

Le fait que des tâches cognitives de plus en plus complexes soient réalisées par des programmes nous amène-t-il à reconsidérer l’intelligence humaine ? Est-ce cela a des impacts sur notre vision de l’IA ? Sur son enseignement ?

Les systèmes d’intelligence artificielle sont très performants lorsqu’il s’agit de certaines tâches précises. Cela peut donner l’illusion que l’IA évolue rapidement vers le niveau d’intelligence humaine, et ainsi développer une vision négative et menaçante de l’IA. 

Si les résultats de systèmes d’IA continuent à s’améliorer à grands pas, dans la plupart des cas ces avancées sont liées aux progrès en matière de puissance de calcul, qui ne sont pas toujours synonymes d’une plus grande intelligence, au sens de l’intelligence générale. 

Comprendre la différence entre les atouts de l’intelligence étroite des systèmes d’IA largement utilisés dans notre société, et ceux de l’intelligence générale, le "sens commun", dont disposent les humains, est essentiel pour articuler au mieux les deux. 

Nous vivons au temps des algorithmes. Quelle place voulons-nous accorder aux algorithmes dans la "cité" ? Est-ce que cela nous conduit à repenser cette cité ? Comment mieux nous préparer au monde de demain ?

Le recours de plus en plus massif aux algorithmes pour répondre à certains besoins quotidiens, tant au niveau individuel que collectif, est inévitable et doit être encouragé. Il existe néanmoins en France une défiance particulièrement forte envers les outils numériques - les difficultés du gouvernement à déployer l’application StopCovid (renommée TousAntiCovid) en est un exemple. Ces contestations mêlent parfois une variété d’enjeux posés par les outils numériques au sens large (protection des données personnelles, surveillance, transparence). Tout l’objectif d’Objectif IA est d’aider à démêler ces enjeux dans le cas de l’IA.

 

Copyright : Gilles Lambert on Unsplash

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