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19/06/2020

Vérification de l’âge sur Internet : les enjeux

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Vérification de l’âge sur Internet : les enjeux
 Théophile Lenoir
Auteur
Contributeur - Désinformation et Numérique

Le mercredi 10 juin 2020, le Sénat a adopté à son tour l’article rendant obligatoire la vérification de l’âge des internautes visitant des sites pornographiques, présent dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Le CSA (future Arcom, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, en 2021), se retrouvera en charge de s’assurer du respect de cette loi, avec la possibilité de passer par la justice afin de déréférencer le site en question sur les moteurs de recherche ou même de demander aux fournisseurs d’accès à Internet de le bloquer.

La question de la vérification de l’âge est épineuse. Au Royaume-Uni, le Digital Economy Act de 2017 avait mandaté le gouvernement de mettre en place un système de vérification de l’âge pour empêcher les publics mineurs d’accéder à des contenus pornographiques. Cependant, la mise en œuvre concrète de ce dispositif a posé problème pour plusieurs raisons, aboutissant à l’abandon du projet le 16 octobre 2019 en faveur d’une réglementation plus large sur les contenus problématiques, dans la lignée de la publication du Online Harms White Paper. Le fait que les parlementaires se penchent sur ces enjeux cruciaux est encourageant. Cependant, afin de protéger les mineurs en ligne de manière efficace, cette mesure ne peut être appliquée de manière isolée.

Des restrictions techniques qui peuvent être contournées

En effet, tout système de vérification d’âge pose question quant à son efficacité. Les adultes mettent un point d’honneur à instaurer des règles que les plus jeunes contournent aussitôt : dans le cadre du rapport de l’Institut Montaigne, Internet : le péril jeune ?, nous observions que 31 % des parents d’enfants et d’adolescents de 11 à 20 ans limitent les plages horaires d’accès à Internet (ce chiffre monte à 48 % chez les parents des 11-14 ans), 28 % contrôlent l’historique de navigation (45 % chez les parents des 11-14 ans) et 24 % ont mis en place un contrôle parental (40 % chez les parents des 11-14 ans). Pourtant, les focus groups que nous avons menés ont révélé que les initiatives des parents pour limiter l’accès aux écrans font sourire les jeunes de 15 à 18 ans ; et le sondage dévoile que 41 % des jeunes garçons et 33 % des jeunes filles de 15 à 17 ans disent avoir déjà accédé à des contenus pornographiques. Pour les enfants de 11 à 14 ans, il s’agit de 24 % pour les garçons et 20 % pour les filles.

Les initiatives des parents pour limiter l’accès aux écrans font sourire les jeunes de 15 à 18 ans.

Dans le cas de l’accès aux contenus pornographiques, aujourd’hui, il est très simple de passer par un réseau privé virtuel (ou VPN, pour virtual private network) afin que son ordinateur simule une connexion depuis une localisation hors de la France, contournant ainsi la législation nationale.

L’enjeu de la collecte de données personnelles

Par ailleurs, les systèmes de vérification d’âge posent des questions en termes d’accès à des données personnelles et sensibles. Il faut donc pouvoir s’assurer que les données collectées par ces systèmes ne soient pas ré-utilisées. On comprend aisément que la proposition d’utiliser FranceConnect, le portail d’accès aux différents services publics, y compris les services des impôts et la protection sociale, pour collecter ces données, soit accueillie avec surprise, voire suspicion (pourquoi prendre le risque qu’un organisme associé à celui qui prend par exemple en charge les remboursements des soins médicaux ait accès à de telles données ?).

Les autres méthodes de vérification d’âge évoquées consistent en l’achat d’un passe dans un point de vente agréé, ou bien en l’obligation d’enregistrer ses données bancaires. Dans le rapport de l’Institut Montaigne Internet : le péril jeune ?, nous proposions aussi de tester la faisabilité d’un dispositif de vérification de l’âge à l’achat du terminal, proposé aux parents mais facultatif, entraînant un paramétrage non modifiable du système d’exploitation du smartphone, de la tablette ou de l’ordinateur. Cette recommandation permet de se concentrer exclusivement sur les publics mineurs, limitant ainsi le risque de collecte et de réutilisation des données personnelles de l’ensemble des internautes.

Développer un cadre élargi de protection des mineurs en ligne

Ces raisons mènent à penser que les mesures de vérification d’âge en ligne ne peuvent être appliquées en isolation si nous souhaitons que celles-ci protègent efficacement les jeunes en ligne. Il est en effet possible que, d’une part, le système soit contourné et que, d’autre part, il soit fortement contesté au point de freiner sa mise en place. S’il va dans le bon sens en abordant avec volontarisme le sujet de l’accès à certains contenus en ligne, ce système de vérification d’âge ne protégera pas à lui seul les enfants et jeunes mineurs. Comme nous l’avons souligné dans le rapport Internet : le péril jeune ?, la protection des enfants et adolescents des risques en ligne doit être l’affaire d’une multitude d’acteurs, incluant les parents (lorsque c’est possible), l’Éducation nationale, les fournisseurs d’accès à Internet, les médias…

La protection des enfants et adolescents des risques en ligne doit être l’affaire d’une multitude d’acteurs, incluant les parents (lorsque c’est possible), l’Éducation nationale, les fournisseurs d’accès à Internet, les médias…

Cette approche multi-dimensionnelle implique une compréhension fine des enjeux. Aujourd’hui, la connaissance des pouvoirs publics quant à l’expérience des enfants et adolescents en ligne s’améliore, mais elle est encore insuffisante. Ceci est en partie dû au fait que les plateformes de contenus, qu’ils soient pornographiques ou non, restent relativement opaques. C’est pourquoi, toute mesure visant à protéger les enfants en ligne doit être intégrée à un encadrement plus général des usages d’Internet par les mineurs. Les pouvoirs publics doivent exiger des plateformes un plus grand effort d’investigation concernant les usages qui sont faits de leurs services par les mineurs, ainsi qu’une plus grande transparence quant aux conclusions de ces investigations et aux mesures concrètes auxquelles elles ont mené. De leur côté, l’État et la société civile doivent développer une capacité d’audit pour s’assurer de la véracité des informations fournies par les plateformes.

C’est en s’appuyant sur les acteurs numériques et l’ensemble des parties prenantes de la protection des mineurs que les pouvoirs publics peuvent développer des cadres de régulation innovants et efficaces. Ces demandes de transparence et de responsabilisation sont au centre des réflexions entourant la rédaction de Digital Services Act au niveau européen.

 

Copyright : Alain JOCARD / AFP

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