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14/02/2023

Un discours sur l'état de l'Union à la française est-il (encore) possible ?

Un discours sur l'état de l'Union à la française est-il (encore) possible ?
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

C’était une promesse du Président Macron en 2017 : présenter, chaque année devant le Parlement réuni en Congrès, les grandes lignes du projet présidentiel et le bilan des actions menées. Promesse partiellement tenue : après deux discours à Versailles en 2017 et 2018, l'exercice est finalement abandonné. Alors que Joe Biden vient de prononcer son rituel discours sur l’état de l'Union devant le Congrès américain, affirmant son programme et sa vision face à une opposition républicaine renforcée, la réintroduction de cet exercice en France, selon des modalités renouvelées, pourrait s'avérer vertueuse. 

1h13 de discours, parsemée d'applaudissements nourris et de rares huées, de félicitations tous azimuts, de mains que l'on serre et de rires entendus. Mardi 7 février, dans la plus grande tradition américaine, le président Joe Biden prononçait devant le Congrès son discours sur l'état de l'Union. Exercice rituel de la politique états-unienne, le State of the Union Address (SOTU) réunit chaque année, entre le mois de janvier et le mois de mars, l'ensemble des parlementaires américains (Sénateurs et membres de la Chambre des Représentants) et les neuf juges de la Cour Suprême. Prévu directement par la Constitution - qui laisse néanmoins une latitude confortable au président pour en délimiter les contours, puisqu'elle n’en précise ni la fréquence ni les modalités - ce discours est un outil puissant de communication politique à la main du Président. Au-delà des parlementaires et des juges présents, le discours est diffusé en direct à la télévision : plus de 27 millions d’Américains étaient devant leur poste mardi soir. 

Fixer un cap, renforcer la confiance

Amélioration de la situation économique, baisse du chômage, grands projets d'infrastructures... Biden a dressé mardi soir un bilan aussi positif que méticuleux de ses deux années de mandat, tout en rappelant qu'il avait bien l'intention de "finish the job", sur l'immigration, les armes à feu ou l'avortement. Pour son troisième discours sur l'état de l'Union depuis son élection en 2020, Biden semble avoir plutôt réussi l'exercice : quoiqu'en léger recul par rapport à 2022, les sondages rapportent 72 % d’opinion positive. Plus intéressant encore, à l'issue du discours, 71 % des personnes l'ayant suivi estiment que les politiques proposées par Biden sont en mesure de faire avancer le pays dans la bonne direction, contre 29 % déclarant le contraire. 

71 % des personnes l'ayant suivi estiment que les politiques proposées par Biden sont en mesure de faire avancer le pays dans la bonne direction.

Dans un sondage réalisé juste avant le discours, le même panel interrogé répondait de façon beaucoup moins favorable (52 % estimait qu’il allait "dans la bonne direction", 47 % "dans la mauvaise" direction). Les sceptiques pré-discours se révèlent beaucoup plus conciliants et positifs à l’issue de celui-ci. Rappelons que l'exercice n’avait rien d’évident cette année pour Biden : premier discours sur l’état de l'Union depuis les élections de mi-mandat du mois de novembre, il s'exprimait devant la nouvelle majorité républicaine de la Chambre des Représentants, et un Sénat tout juste acquis à sa cause.

À un an de l’élection présidentielle de 2024, et quelques semaines après les révélations concernant la découverte de documents confidentiels dans le garage d'une de ses résidences, le contexte politique rendait l’exercice plus redoutable encore. 

La situation de Biden est bien différente de celle du Président Macron - l’un arrive au terme de son premier mandat, l’autre entame tout juste son second. Mais de grands invariants dans le discours et sa portée peuvent être identifiés. Les adresses de ses prédécesseurs sont tout aussi instructives. Prenons le discours d’Obama en janvier 2013, alors qu’il vient d’être réélu pour un second mandat présidentiel. Un discours majoritairement tourné vers les classes moyennes, l’emploi et les bas salaires, qui fixe le cap du second mandat. Comme l’expliquait David Rothkopf dans les colonnes de CNN, ce discours - quoiqu’il procède d’un exercice rituel et toujours convenu - était important parce qu'avec lui "Obama s'est remis sérieusement au travail de gouvernement. Après avoir remporté une nette victoire en novembre et avoir passé les mois qui ont suivi à éteindre les feux de forêt que notre Congrès aime allumer, il a annoncé mardi soir qu'il avait un programme clair et complet pour son second mandat." Le discours recueillait alors 77 % d’opinion positive

"Fixer le sens du quinquennat" : un engagement présidentiel désormais orphelin ? 

Comparaison n'est pas raison, et l’on ne peut évidemment calquer les conclusions américaines sur notre système politique hexagonal. Le fédéralisme du régime, l’absence de Premier ministre aux côtés du Président américain, sa stricte binarité parlementaire, limitent tout rapprochement. Mais revenons sur les engagements du Président français en 2017. Son programme présidentiel prévoyait expressément une présentation de son "bilan national et européen une fois par an devant le Congrès." Une proposition qu'il avait eu l'opportunité de développer devant le Parlement réuni en congrès le 3 juillet 2017. Le diagnostic initial qu'il posait alors s'avèrera tristement prémonitoire : "Trop de mes prédécesseurs se sont vu reprocher de n’avoir pas fait la pédagogie de leur action, ni d'avoir exposé le sens et le cap de leur mandat. Trop d'entre eux aussi ont pris des initiatives, dont le Parlement n’était que secondairement informé, pour que je ne me satisfasse d'en reconduire la méthode." Et de poursuivre : "Tous les ans, je reviendrai donc devant vous pour vous rendre compte [...].Le Président de la République doit fixer le sens du quinquennat et c'est ce que je suis venu faire devant vous." Le 9 juillet 2018, lors de son deuxième discours devant le Congrès, Emmanuel Macron allait plus loin encore, évoquant la possibilité d'accorder au Président de la République le droit d'assister aux débats parlementaires suivant son allocution : "J'ai demandé au gouvernement de déposer dès cette semaine un amendement au projet de loi constitutionnel qui permettra que, lors du prochain Congrès, je puisse rester non seulement pour vous écouter mais pour pouvoir vous répondre."

À l’heure où l'on recherche très précisément le sens et le cap de ce second quinquennat, un discours sur l’état de la France pourrait s'avérer particulièrement vertueux.

Face à la dispersion de la parole politique, à son délitement, à la crise de confiance qu'elle subit, l'inscription rituelle de ce discours - car la politique est aussi une affaire de rituel, en sous-estimer l'importance serait une erreur - serait de nature à redonner du poids à la parole présidentielle. Au-delà du symbole et de l'exercice de clarté, la construction d’un tel discours, l'exercice intellectuel qu'il suppose, du fait même de son audience (parlementaires, de la majorité comme de l'opposition, grand public), incite celui qui le prononce à faire un pas vers l'ensemble des forces politiques du pays, à imaginer les coalitions possibles, à assumer frontalement les divergences.

À l'heure où l'on recherche très précisément le sens et le cap de ce second quinquennat, un discours sur l'état de la France pourrait s'avérer particulièrement vertueux. 

Plus encore, le relais à l’international de tels discours fait office de clarification bienvenue, pour une audience plus large encore, qui peine souvent aussi à déceler, dans le projet présidentiel, le sens autant que la direction. Il s’agirait d’une configuration bien différente des discours de vœux ou des allocutions aux Français, enregistrées depuis l’Elysée, solitaires et solennelles, manifestations toujours plus anachroniques de ce mythe voulant qu’un seul homme puisse construire ce dialogue direct, désintermédié, avec son peuple. Cette tradition bien française, héritage d’une histoire politique et institutionnelle très différente de celle des États-Unis, est frappée d’archaïsme. Il est d’ailleurs frappant de voir que la Constitution américaine, quoique bicentenaire, puisse engendrer, au XXIème siècle, des pratiques politiques infiniment plus modernes que celle que notre "jeune" Constitution permet. En multipliant les interlocuteurs, en se présentant non plus seul mais entouré des représentants politiques nationaux, la dimension du discours et sa portée seraient tout autres. 

Les raisons qui ont conduit le Président à suspendre l’exercice ces quatre dernières sont connues : crise des gilets jaunes, pandémie, guerre en Ukraine. Mais il nous semble qu’elles rendent plus urgentes encore la nécessité de porter un discours qui ne devra pas nécessairement chercher du consensus mais bien de la clarté. 

Le discours sur l’état de la France ne serait pas une déclaration de politique générale 

Certains argueront qu’il s’agit là d’une prérogative du ou de la Première ministre, prévue expressément par la Constitution, et qu’un tel discours ne ferait que renforcer le caractère "jupitérien" du pouvoir présidentiel, au détriment d’un Premier ministre relégué au statut de fantoche, d'exécutant. La déclaration de politique générale, prévue à l’article 49 de notre Constitution, prévoit effectivement que le chef du gouvernement s’adresse au Parlement pour lui présenter son projet. Mais les deux exercices n’ont rien de redondant ni de concurrent. Au contraire, ils permettraient de mettre en lumière la complémentarité des visions présidentielle et gouvernementale, l'un fixant le cap, l'autre détaillant la méthode. Le discours présidentiel français jouit d'une très grande liberté normative (ses carcans relèvent plutôt de la tradition), il est de fait très peu encadré ou contraint par les textes. La réforme constitutionnelle de 2008 a ouvert cette possibilité du discours devant le Congrès, venant moderniser la pratique devenue désuète du "message présidentiel", lu aux Assemblées et sans possibilité de débat. Nicolas Sarkozy et François Hollande s’en sont saisis, mais en réaction à des crises (celle des subprimes pour le premier, les attentats de 2015 pour le second). Emmanuel Macron était le premier à investir cette possibilité constitutionnelle nouvelle, non en réaction, mais par l’initiative. 

Il est encore temps, alors que le second quinquennat démarre à peine, de renouer avec cet exercice. Faut-il qu’il ait lieu tous les ans à date fixe ? Cela ne va pas de soi, les automatismes et les rigidités ne donnent jamais rien de bon. L'essentiel est qu'il arrive au moment où cet effort de clarification est le plus impératif pour le pays : une fois l'examen de la réforme des retraites passé, lorsqu'une nouvelle séquence, de près de quatre ans encore, s'ouvrira pour le pays, le Président, son gouvernement, la majorité parlementaire et les oppositions. Enfin, alors que la guerre en Ukraine se prolonge, que les menaces ne cessent d'augmenter, et que l'engagement de la France va croissant, ce sujet devra être exposé aux Français et à leurs représentants, avec responsabilité et transparence. Plus que jamais, la nation doit faire front face aux nouvelles menaces, et il est du devoir du Président de la République de créer les conditions d’une unité. 

 

 

Copyright image : Thibault Camus / AFP

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