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02/10/2017

Rendre l'Europe lisible

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Rendre l'Europe lisible
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

 

De l'Allemagne à la Catalogne en passant par le Royaume-Uni, les aspirations des électeurs européens sont de plus en plus complexes. Dans ce grand kaléidoscope, le président français a le mérite de proposer une vision claire pour relancer l'Union européenne. Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, revient sur ces bouleversements que l'Europe traverse actuellement.

L'Allemagne troublée, la France régénérée, l'Espagne fragmentée... sans oublier la Grande-Bretagne empêtrée. Au lendemain des élections allemandes, du discours d'Emmanuel Macron sur l'Europe à la Sorbonne, de la tentative de référendum en Catalogne et alors que se négocient de manière confuse les relations de la Grande-Bretagne avec l'Union, c'est toute l'Europe qui semble s'être transformée en une sorte de gigantesque kaléidoscope. Il y a des pays qui montent et d'autres qui régressent. Mais cela n'a-t-il pas toujours été le cas, même si aujourd'hui les variations semblent plus spectaculaires compte tenu du contexte international ?

A la fin des années 1990, l'Allemagne était décrite comme l'homme malade de l'Europe. En 2005, alors que Londres venait d'obtenir les Jeux Olympiques de 2012, le Royaume-Uni - en dépit des attentats qui venaient de frapper sa capitale - était confiant dans son avenir. Et la France semblait plongée dans une morosité, qui en dépit de courtes parenthèses positives, allait se prolonger jusqu'au printemps 2017.

Savoir raison garder

S'il est vrai que l'avenir de l'Europe se joue sous nos yeux, entre les scénarii de réveil, de résignation et de délitement, sinon d'implosion, il importe néanmoins de raison garder. Il ne faut ni sombrer dans le pessimisme le plus noir, ni faire preuve d'un optimisme béat. Certes, le résultat des élections en Allemagne est troublant. Autour de 13 % des voix pour l'extrême droite allemande, c'est, en termes émotionnels au moins, l'équivalent de 35 % en France. Même si deux Allemands sur trois demeurent proeuropéens, alors que c'est le cas de moins d'un Français sur deux. Le populisme, avec sa conjonction de colère contre les élites, de peur des "autres" et de nostalgie d'un monde plus homogène (celui d'avant la mondialisation) ne pouvait indéfiniment s'arrêter aux portes de l'Allemagne.

Pourtant, en dépit de l'érosion naturelle du pouvoir et de sa décision légitime, courageuse mais électoralement coûteuse, d'accepter l'arrivée d'un million de réfugiés en moins d'un an sur son territoire, la Chancelière d'Allemagne a été réélue pour un quatrième mandat. Les Allemands peuvent éprouver un profond et justifié sentiment de gêne, sinon de honte devant l'entrée de 94 députés d'extrême droite au Bundestag , mais toute comparaison avec les années 1930 est simplement absurde. L'Allemagne d'Angela Merkel demeure un pilier de stabilité et de prospérité en Europe. Ne nous faisons pas peur inutilement alors même que la France réveillée de sa torpeur par son nouveau président, retrouve confiance en elle et dans le projet européen.

Réenchanter le projet européen

"Le Discours de La Sorbonne", c'est ainsi qu'il entrera dans l'histoire, a pour but de réenchanter le projet européen, de manière concrète et précise, en fournissant une liste exhaustive de tous les projets à mettre en place pour adapter l'Union aux défis de tous ordres - géopolitiques, économiques, climatiques...- auxquels elle fait face. Il ne s'agit pas, comme le disent certains esprits chagrins, d'une dérive européiste, mais d'une démarche rationnelle, volontariste et optimiste. Toutes les propositions avancées ne seront pas bien sûr mises en place, mais l'essentiel est ailleurs et tient à l'essence du message : près de soixante-dix ans après ses premiers pas, le projet européen est plus nécessaire que jamais.

Ce volontarisme positif s'impose d'autant plus qu'il répond à une vague de pessimisme et de cynisme renforcée par les risques de fragmentation existant au sein même de certaines nations européennes. On peut regretter l'approche choisie par le gouvernement de Mariano Rajoy en Espagne pour s'opposer à la fuite en avant des indépendantistes catalans. Moins de légalisme et plus de dialogue, sinon de concessions, dans le sens d'un fédéralisme renforcé s'imposaient. Pourtant, la création en son sein d'un nouvel Etat est la dernière chose dont l'Espagne et l'Europe ont besoin. L'Europe a besoin de l'Espagne. Plus d'Europe ne passe pas par plus d'Etats (avec un s) en Europe. La multiplication d'entités indépendantes n'est pas une bonne chose, à l'heure de la mondialisation et de la fragmentation du monde.

Toutes proportions gardées, la démarche de la Grande-Bretagne est tout aussi peu rationnelle que celle de la Catalogne. En votant le 23 juin 2016 en faveur du Brexit, les Britanniques, surtout les Anglais, ont été là encore guidés par les émotions identitaires, au détriment de toute vision bien comprise de leurs intérêts. En plus d'un an, le fossé n'a fait que s'approfondir au sein du Royaume-Uni entre les deux camps. Il y a d'un côté ceux qui se réjouissent toujours davantage d'avoir quitté l'Union avant qu'elle ne s'effondre sur elle-même ou ne s'engage sur la voie d'un "fédéralisme sans limite". Il y a, à l'inverse, ceux qui dénoncent le calendrier bien malheureux du "choix de civilisation" fait par une courte majorité d'entre eux. Que peut signifier concrètement demeurer en Europe et quitter l'Union, comme prétend le faire Theresa May ? Surtout, pourquoi le faire au moment même où l'Amérique s'éloigne de l'Europe en termes de valeurs et de pratiques ?

Prisonniers de leurs votes, séduits plus que ne peuvent l'être les Français par les sirènes d'un marxisme qui a pris le contrôle du parti travailliste, la Grande-Bretagne s'enferme dans une forme de schizophrénie chronique. En voulant aller vite, en France comme en Europe, Emmanuel Macron a raison. Il sait que sa crédibilité en Europe et dans le monde dépend de sa légitimité en France, et de sa capacité à mettre en œuvre son ambitieux programme de réformes. Il sait aussi que l'espoir qu'il suscite en Europe et dans le monde contribue à sa popularité en France.

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 1er octobre).

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