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01/07/2021

Relance économique en Afrique : quel rôle pour le secteur privé ?

Trois questions à Jean-Michel Huet

Relance économique en Afrique : quel rôle pour le secteur privé ?
 Jean-Michel Huet
Associé, BearingPoint (co-président du groupe de travail)

Lors du sommet du G7, les institutions de financement du développement du G7, la SFI, la filiale de la Banque africaine de développement dédiée au secteur privé, la BERD et la Banque européenne d'investissement ont annoncé qu'elles s'engageaient à investir 80 milliards de dollars dans le secteur privé africain. Étalés sur cinq ans, ces investissements ont pour objectif de soutenir la relance économique du continent, qui a subi une récession historique en 2020 à cause de la pandémie du Covid-19. Alors que cette annonce semble marquer un progrès considérable, le continent africain demeure quatre fois moins financé que le reste de l’économie mondiale. Dans une note publiée en mai 2021, intitulée Relance en Afrique : quel rôle pour les entreprises ?, nous indiquions que la crise sanitaire devait être l’occasion de faire émerger de nouveaux relais de croissance pour les économies africaines, portés par le secteur privé. Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint et président du groupe de travail à l’origine de cette note, répond à nos questions.

Quel regard portez-vous sur l’annonce faite au sommet du G7 d’investissement de 80 milliards de dollars dans le secteur privé africain ? Quel rôle le secteur privé pourra-t-il jouer dans la relance économique du continent ? 

C’est une bonne nouvelle car le secteur privé africain a besoin de financement pour se développer, pour acquérir une certaine indépendance vis-à-vis des financements gouvernementaux. Ce sont aussi des facilités qui peuvent avoir du sens si elles permettent d’actionner plusieurs mécanismes de financements sans entrer dans des temps longs administratifs. Le montant est important et constitue un vrai signe, cependant il reste faible au regard des besoins du continent : ce montant représente moins de 0,7 % du PIB africain sur 5 ans. Le problème global du financement de l’Afrique (public comme privé) est que si les montants sont significatifs, c’est un continent qui est quatre fois moins financé que le reste de l’économie mondiale. Et encore, ce ratio ne considère que l’économie formelle. 

L’évolution démographique des prochaines décennies ne fait que renforcer l’importance des investissements.

Nous sommes donc dans une phase paradoxale où il n’y a jamais eu autant d’argent pour financer l’économie africaine, mais avec des montants qui restent relativement faibles compte tenu de la taille économique du continent. L’évolution démographique des prochaines décennies ne fait que renforcer l’importance des investissements. 

L’économie africaine a à la fois besoin de financement pour ses infrastructures (transport, numérique, villes), pour l’investissement dans sa jeunesse (éducation, formation professionnelle, santé) mais aussi dans les entreprises privées qui créeront les emplois de demain.

Au-delà de tels engagements financiers, comment la France et l’Europe peuvent-elles soutenir le secteur privé en Afrique, qu’il soit africain ou européen ? 

L’enjeu est celui de la diversification, et même des diversifications. 

La diversification des sources de financement, d’abord. Le financement des institutions financières internationales est positif mais il serait intéressant qu’il soit complété par du financement privé. Celui-ci peut être bien sûr à destination des start-up : il a atteint un niveau record en 2020, ce qui est une bonne nouvelle largement médiatisée ; mais le financement privé concerne aussi les PME (africaines comme européennes) qui sont souvent le maillon faible du financement de l’économie, notamment en Afrique. La faiblesse de l’engagement des acteurs bancaires (privés) européens en Afrique, peut en cela poser question. Une autre source de financement peut être le renforcement des partenariats publics-privés (PPP), qui permet un jeu intelligent à plusieurs acteurs : puissance publique africaine, banques privées européennes et industriels, tant africains qu’européens, qu’il s’agisse de grandes entreprises, de PME, voire de jeunes pousses. D’ailleurs, les consortiums associant différentes nationalités et tailles d’entreprises devraient être privilégiés. 

La diversification des supports de financement, ensuite. Si les prêts sont une bonne solution, d’autres mécanismes sont aussi à promouvoir, tels que les systèmes de garantie, les couvertures assurantielles, les soutiens à la trésorerie (avec des clients notamment publics africains qui ne sont pas réputés pour payer dans des délais rapides), des outils de protection par rapport aux risques de changes et monétaires qui sont une vraie problématique, notamment pour les PME. 

À ce titre, dans le cadre du groupe de travail de l’Institut Montaigne, nous avons proposé des solutions innovantes, notamment en permettant aux entreprises françaises et européennes de répercuter les dépréciations monétaires sur leurs comptes locaux comme des charges exceptionnelles (donc une réduction d’impôts, dans les pays qui ne facturent qu’en monnaie locale).

L’enjeu est celui de la diversification, et même des diversifications. 

Autre recommandation du groupe de travail : la mise en place rapide d’un fonds abondé en devises pour les entreprises européennes en Afrique en sollicitant des groupes bancaires et les bailleurs de fonds institutionnels et publics, et en ciblant avant tout les entreprises qui ont le moins de devises. Il doit permettre le règlement d’achats directement en euros.

Enfin, la diversification des procédures de financement, afin de permettre d’aller plus vite et d’éviter des lourdeurs administratives, notamment de la part des bailleurs de fonds. Plusieurs solutions sont possibles : modifier les conditions d’achats (qui pénalisent les start-up), numériser les processus afin d’alléger la lourdeur administrative (la KfW allemande est innovante sur ce plan), mettre en place des procédures de gré à gré si cela permet d’apporter des solutions innovantes. 

Outre le soutien au secteur privé, comment encourager la reprise économique du continent, qui a connu une récession en 2020 après 25 ans de croissance continue, alors que le FMI estime que jusqu’à 285 milliards de dollars de financements supplémentaires sur la période 2021-2025 seraient nécessaires aux pays africains pour renforcer la réponse apportée à la pandémie ? 

On peut avancer deux idées concrètes. Il convient tout d’abord de considérer les pays africains comme des partenaires économiques à part entière. Pour cela plusieurs solutions existent, tel que le fait de monter des partenariats, des consortiums des deux côtés de la Méditerranée. Ces consortiums devraient être privilégiés et pas uniquement pour une raison d’optimisation tarifaire, mais également afin de permettre aux équipes africaines de monter en compétence. Cette logique de partenariat doit également permettre la réindustrialisation de certains secteurs en Europe, notamment ceux qui ont montré la limite du tout en Asie lors de la crise du Covid-19. Ce partenariat doit bénéficier à la fois à l’Afrique et à l’Europe. 

Une autre action concrète est liée au développement du numérique, qui est une chance pour l’Afrique d’accélérer son développement, comme l’ont révélé plusieurs exemples (mobile money, biométrie). Au-delà, les secteurs de la santé, de l’éducation ou de l’agriculture sont de bons exemples sur lesquels l’Europe a une expertise et des actifs intéressants, qui peuvent aider le continent africain à se développer. C’est un partenariat gagnant-gagnant qu’il convient d’imaginer : un marché réel pour les entreprises européennes et une voie d’accélération économique et sociale pour les pays africains. 

 

 

Copyright : Brendan Smialowski / POOL / AFP

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