Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
25/11/2021

Réinitialisation de l'Entente Cordiale

Imprimer
PARTAGER
Réinitialisation de l'Entente Cordiale
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Une nouvelle entente cordiale pourrait-elle s'instaurer entre Paris et Londres ? C'est en tout cas ce que semble penser le Royaume-Uni.

Selon le Sunday Times, le gouvernement britannique élabore des plans pour une nouvelle alliance stratégique avec la France, qui irait au-delà des liens existants en matière de défense et de sécurité pour inclure d'autres domaines de coopération, notamment les essais nucléaires, la coopération dans la région Indo-Pacifique et la possibilité de faire atterrir des avions sur les porte-avions de l'autre pays. Pour Londres, l’objectif serait d’entériner cette stratégie immédiatement après les élections présidentielles françaises de 2022.

AUKUS, le sujet qui fâche

Le temps presse. Paris attend toujours des explications de son voisin concernant la signature de l'alliance AUKUS, et une clarification du rôle que celui-ci entend jouer. Les États-Unis ont rapidement envoyé à Paris leur chef de la diplomatie, Anthony Blinken, accompagné d’une flopée de hauts fonctionnaires chargés d’amortir les retombées du coup de froid survenu à la mi-septembre. Si le président Biden est même allé jusqu’à présenter ses excuses à son homologue français pour cette maladresse, le Royaume-Uni, lui, n'a pas dit grand-chose. La frustration de la France s'est encore accentuée à la faveur des petites phrases du Premier ministre britannique, qui a déclaré en plaisantant "donnez-moi un break" et que la France devrait "se ressaisir". Ce n'est pas tellement que l’Hexagone attend des excuses britanniques pour AUKUS, loin de là, mais plutôt qu’une reprise des relations bilatérales nécessitera une explication préalable.

Les questions politiques liées au Brexit devront également être résolues, notamment ce qui touche à l'avenir du protocole nord-irlandais toujours incertain et à la question des licences de pêche.

Le temps presse

Les deux pays ne peuvent toutefois pas se permettre d'attendre les élections présidentielles françaises, en avril, pour entamer les discussions.

L'absence de coopération bilatérale forte nuit aux deux pays. Qu'il s'agisse de l'Afrique, du Moyen-Orient, de l'Indo-Pacifique ou de la sécurité européenne, la France et le Royaume-Uni partagent en grande partie la même vision du monde. Leur incapacité à travailler ensemble dessert non seulement les intérêts des deux pays, mais elle entache aussi leur crédibilité aux yeux d'autres partenaires, comme les États-Unis, qui attendent de la France et du Royaume-Uni une coopération de proximité et à l’international.Face à des problèmes géopolitiques d’une telle complexité, la patience stratégique n’est pas forcément souhaitable.

Ensuite, le pacte de sécurité AUKUS a forcé la la France à se confronter à une réalité brutale : le pays est plus isolé stratégiquement qu’il ne le soupçonnait. Si pour le Royaume-Uni l’alliance AUKUS constitue une victoire significative pour la stratégie Global Britain, cela ne suffira pas à convaincre le reste du monde du nouveau rôle - largement autoproclamé - endossé par le Royaume-Uni. Et ce d’autant plus si Londres se montre incapable de coopérer avec ses alliés traditionnels, comme la France. Investir davantage dans l'OTAN est évidemment positif, mais tenter d’instrumentaliser l’Alliance contre l'Union européenne ne participera guère au rétablissement de la crédibilité européenne du Royaume-Uni à la suite des accords conclus sur le Brexit.

Enfin, plus le Royaume-Uni et la France attendent pour organiser des discussions, plus le fossé se creusera. Il serait judicieux d'entamer rapidement des pourparlers, notamment au regard de la forte probabilité d’un renouvellement des mandats de Johnson et Macron.

Choisir le bon accord

L'article du Sunday Times suggère une volonté de la part du gouvernement britannique d’aboutir à la signature d’un grand traité, qui serait aussi ambitieux que la déclaration de Saint-Malo de 1998, qui avait ouvert la voie à une politique européenne de sécurité et de défense, ou les Accords de Lancaster House de 2010, qui avaient permis de renforcer la coopération bilatérale en matière de sécurité, de défense, d'industrie nucléaire et de défense et d'armement.

Une contribution active de chaque partie sera nécessaire à la réussite de l’accord, qui ne saurait refléter exclusivement les idées britanniques.

Pourtant, plutôt qu'un traité trop ambitieux, il pourrait être préférable d'opter pour une série d'accords bilatéraux dans des domaines d'intérêt mutuel - par exemple, la coopération spatiale, la construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour produire de l'énergie verte et le développement de technologies communes pour protéger les infrastructures critiques, à l’image des câbles sous-marins. Sur le plan régional, une coopération accrue au Sahel et au Moyen-Orient semble de bon sens. 

La forme exacte que prendra cet accord reste à débattre. Néanmoins, une contribution active de chaque partie sera nécessaire à la réussite de l’accord, qui ne saurait refléter exclusivement les idées britanniques.

S’attaquer aux incompréhensions

Aucun redémarrage bilatéral de long terme ne fonctionnera sans changement fondamental de ton et d'approche. À l’heure actuelle, la France et le Royaume-Uni interprètent tous deux les actions de l'autre à travers leur propre prisme. C’est un problème. Les deux pays se comprennent mal, et les faux pas sont souvent perçus comme des railleries intentionnelles de la part de l’autre, ce qui affaiblit davantage un lien de confiance déjà fragile.

D’abord, le Royaume-Uni interprète mal la position de la France sur le Brexit. Macron ne souhaite pas voir le Royaume-Uni ou les accords conclus sur le Brexit échouer. Le président de la République était d’ailleurs l'un des seuls dirigeants de l'Union à écrire une lettre au peuple britannique après le départ du Royaume-Uni, réitérant sa volonté de voir le Royaume-Uni, la France et l'UE poursuivre leur étroite coopération. Macron sait bien qu'un affaiblissement du Royaume-Uni ne serait ni dans l'intérêt de la France ni de l'Europe.

Il n'est pas non plus question de vengeance. Il s'agit plutôt de reconnaître que les choses ont changé presque cinq ans après la décision du Royaume-Uni de quitter l’UE. Si Brexit veut bel et bien dire Brexit, le Royaume-Uni ne pourra pas avoir un accès au marché unique égal ou privilégié par rapport à celui dont il jouissait en tant qu’État membre. C'est ce qu'insinuait le Premier ministre français, Jean Castex, en déclarant que l’Union devait "montrer les dommages" au Royaume-Uni. Une traduction maladroite outre-Manche avait laissé entendre qu’il parlait de dégâts plutôt que d’inconvénients. La France insiste également pour que le Royaume-Uni respecte les obligations auxquelles il a souscrit. Si le gouvernement français reste ouvert aux discussions sur le protocole nord-irlandais, la ligne rouge s’établit aux tentatives perçues d’affaiblir l’accord.

Deuxièmement, Paris ne fait pas entièrement confiance au gouvernement Johnson. Les rares fois où Macron s'est entretenu avec Johnson, ses commentaires ont immédiatement fuité dans la presse britannique et, de surcroît, de façon déformée ou sortis de leurs contextes aux yeux de Paris. Le dénigrement permanent de la France est perçu comme une tentative de la part du gouvernement britannique de rejeter la faute sur les autres pour des problèmes dont il est largement à l’origine

Macron sait bien qu'un affaiblissement du Royaume-Uni ne serait ni dans l'intérêt de la France ni de l'Europe.

Les Français, à quelques exceptions près, ont tendance à rarement évoquer le Royaume-Uni et le Brexit, ce qui ne contribue pas à dissiper cette méfiance. Les rares occasions lors desquelles la France parle du gouvernement britannique, c'est souvent de manière négative.

Les actions françaises ont également suscité la colère de Londres. Cette dernière reproche à la France d'avoir exclu le Royaume-Uni du projet européen de satellite baptisé Galileo. Certains britanniques estiment aussi que la France a habilement profité des complications liées aux accords du Brexit pour faire de l’ombre aux sommets du G7 et de la COP26, organisés cette année par le Royaume-Uni. Le pays estime également que la France n'a pas fait beaucoup d’efforts pour l'inclure dans les discussions qu'elle a avec les pays de l'Indo-Pacifique, à l’image de l'Australie et de l'Inde.

Le gouvernement britannique a également très mal pris la décision du gouvernement français de fermer ses frontières aux poids lourds se rendant en France à l'approche de Noël 2019 en raison de la hausse des cas du Covid-19 outre-manche. La remise en question par Emmanuel Macron de la fiabilité du vaccin d'Oxford et AstraZeneca, qui était alors le vaccin le plus administré au Royaume-Uni contre le Covid-19, a alors été perçue comme une critique directe de la réponse britannique à la pandémie.

La mise à l'écart de l'UE sera contre-productive

Enfin, il y a l’Union européenne. Si la France souhaite un partenariat plus étroit avec le Royaume-Uni, elle tient à ce qu'il ne se fasse jamais au détriment de l'UE et du rôle qu’y joue la France. Le ton conflictuel du Royaume-Uni à l'égard de l'UE a rendu plus difficile la reprise des discussions entre le président français et le gouvernement britannique, d'autant plus que l'UE constitue un pilier central du programme de politique intérieure et étrangère d’Emmanuel Macron. Tant que la France restera membre de l’Union, une partie du portefeuille politique français sera aussi européen, notamment sur les sujets chinois, de coopération industrielle et de marchés publics de défense. N’en déplaise au Royaume-Uni. 

Une remise à zéro est-elle encore possible? Certainement. Mais pour cela, la France et le Royaume-Uni devront tous deux pouvoir croire en la bonne volonté de l’autre. 

 

Copyright : Leon Neal / POOL / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne