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28/04/2022

Présidentielle : de 2017 à 2022, bis repetita ?

Présidentielle : de 2017 à 2022, bis repetita ?
 Bruno Cautrès
Auteur
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Italie, Démocratie et Populisme

L’élection présidentielle qui s’est conclue dimanche 24 avril par la victoire d’Emmanuel Macron aura été inédite du début à la fin. Son manque d’adhésion auprès des électeurs, son contexte international avec le retour de la guerre en Europe, et sa prégnance des extrêmes n’en sont que quelques éléments. Mais la période qui s’ouvre tiendra aussi son lot de surprises. Le Président, premier à être réélu hors-cohabitation, voit son quinquennat s’ouvrir dans une France qui oscille entre recomposition politique et crise institutionnelle, et ce alors que se profilent les élections législatives en juin prochain, véritable “troisième tour” pour les opposants au locataire de l’Élysée. Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au CEVIPOF, et Marc Lazar, professeur d’Histoire et de sociologie politique à Sciences Po, répondent à nos questions et reviennent sur une situation politique sans précédent.

Cette élection présidentielle aura été inédite du début à la fin. Après une campagne caractérisée par un manque d’adhésion de la part des électeurs, le second tour a reconduit la même confrontation qu’en 2017 entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Quelles sont les principales dynamiques à retenir et dans quelle mesure celles-ci laissent présager d’une recomposition politique en France ?

Bruno Cautrès : Les résultats du second tour de l’élection présidentielle font état d’une réélection nette du Président sortant Emmanuel Macron. Bien que certains parlent d’une victoire en demi-teinte pour un président mal élu, la part des suffrages exprimés, à 58,55 %, démontre une réelle dynamique dont a bénéficié le candidat de La République en marche ! (LREM). Néanmoins, l’expression des suffrages des inscrits, 38,52 % pour Emmanuel Macron, rebat les cartes du "front républicain", qui s’écarte de sa conception héritée de 2002. En outre, le score d’Emmanuel Macron est allé au-delà des sondages, qui donnaient dans la dernière ligne droite une confrontation avec Marine Le Pen à 56 % contre 44 %. Le report des électeurs de centre-droit et de centre-gauche a d’autant plus permis au Président sortant d’atteindre un tel score. Toutefois, le report n’a pas été systématique, aussi bien à gauche qu’à droite. C’est le cas pour certains électeurs de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi chez des électeurs d’Anne Hidalgo ou de Yannick Jadot. Plus précisement, pour les électeurs de La France Insoumise (LFI),24 % électeurs se sont abstenus, 17 % ont voté blanc ou nul et 42 % choisi Macron.

Marine Le Pen, de son côté, connaît une certaine victoire dans la défaite. Bien qu’elle échoue pour la quatrième fois à l’élection présidentielle, son score de 41,46 % offre à l'ex-Front National sa meilleure performance à une élection présidentielle, avec une troisième qualification au second tour d'une élection depuis 2002. La candidate du Rassemblement National (RN) gagne non seulement des voix en nombre de bulletins dans les urnes, mais elle parvient aussi à gagner autant de voix qu’Emmanuel Macron n’en perd par rapport au scrutin de 2017. Là où le Président sortant perd 2 millions de voix entre les deux élections présidentielles, Marine Le Pen en gagne entre 2 et 2,5 millions. Le RN est donc, de fait, un des partis structurants du paysage politique français. C’est là une des conclusions importantes de l’élection qui s’est tenue. 

La cartographie électorale donne une clé de lecture originale au scrutin présidentiel. Le vote au niveau des communes, pour s’éloigner du vote par région souvent trop peu explicite, illustre des clivages territoriaux considérables. En effet, l’infra-nationale souligne une réelle polarisation de la vie politique française. Deux France cohabitent désormais. Le Nord-Est du pays constitue un véritable fief électoral pour Marine Le Pen et le RN, qui se maintient à des niveaux élevés dans le Sud-Est. L’ancrage dans la France rurale de la candidate du RN est également assez impressionnant. Emmanuel Macron a pu, de son côté, bénéficié de reports de voix de la gauche dans les grandes métropoles, ce qui a consolidé son socle électoral dans les villes. Il est dominant dans l’Ouest du pays.  

Marc Lazar : Un des paramètres essentiels de cette élection est l’abstention. Avec un taux de 28 %, nous ne sommes pas loin du record historique de 1969 et ses 31 % - on peut d’ailleurs faire un parallèle, le PCF ayant à l’époque appelé à ne pas voter au second tour, estimant qu’entre Georges Pompidou et Alain Poher, c’était "bonnet blanc et bonnet blanc". La jeunesse a également occupé un rôle central dans cette élection, que cela soit par sa participation ou sa non-participation. 41 % des 18-25 ans se sont abstenus au second tour, corroborant les dynamiques que nous décrivions il y a quelques semaines dans notre Enquête : Une jeunesse plurielle conduite avec Olivier Galland.

Comment convaincre que son deuxième mandat ne ressemblera pas au premier si l’un des premiers chantiers porte sur la réforme des retraites, au centre du programme de son second quinquennat ?

De manière générale, il en ressort que l’abstention est devenue une réelle expression d’un malaise démocratique, minant la vie politique dans le pays. Ses motivations oscillent entre le sentiment que le vote ne servira pas à changer une élection et le fait que l’électeur ne se reconnaît dans aucun des candidats. De plus, le vote, lorsqu’il est exprimé, devient autant un vote d’adhésion qu’un vote de rejet : près de 42 % des électeurs d’Emmanuel Macron ont voté contre Marine Le Pen au second tour, et 46 % des électeurs de la candidate RN ont voté pour s’opposer au candidat LREM

Bruno Cautrès : Les conséquences politiques de cette élection sont toutefois loin d’être claires. Les appels lancés par Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours, confirmés par son discours au soir de son élection et par son ambition de "gouverner autrement", ne nous donnent que très peu de clés de lecture pour comprendre comment va désormais se dérouler la vie politique française. En donnant des signes d’ouverture, en particulier vis-à-vis de la gauche et sur les questions d’écologie, Emmanuel Macron pourrait avoir ouvert une "boîte de pandore". Comment convaincre que son deuxième mandat ne ressemblera pas au premier si l’un des premiers chantiers porte sur la réforme des retraites, au centre du programme de son second quinquennat ? 

Que reste-t-il du système bipartisan, caractérisé par l’opposition historique entre Les Républicains et le Parti Socialiste ? Cette élection entérine-t-elle sa fin ?

Marc Lazar : Les partis classiques, qui ont été au centre du paysage politique français au cours des 40 dernières années, ressortent fragilisés de ce scrutin, où, comme en 2017, ni le Parti Socialiste ni Les Républicains n’étaient représentés au second tour. Toutefois, ces partis, à la différence de celui d’Emmanuel Macron par exemple, disposent toujours d’un ancrage territorial solide. C’est cet ancrage local qui pourrait malgré tout leur garantir un rôle, bien que mesuré, dans la situation qui se profile. 

Au terme de cette élection présidentielle, ce ne sont plus deux mais bien trois pôles qui se profilent dans le paysage politique. Un premier, formé autour de La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, cherche à reconstruire la gauche, mais à ces conditions. De l’autre côté, Marine Le Pen est dans une situation ambivalente. Elle peut certes se réjouir d’avoir effectué le meilleur score pour une candidate d’extrême-droite, mais ses résultats restent un échec pour le projet qu’elle tenait depuis le début de sa campagne en 2020. Enfin, LREM, qui, bien que renforcé après la réélection du Président, pâtit de son manque d'organisation, surtout sur le terrain. Nous assistons toutefois à un changement fondamental dans le système des partis sous la Ve République. En son temps, Maurice Duverger avait théorisé le passage d’un système de quadrille bipolaire au bipartisme imparfait et incomplet du fait du Front National et des Verts des années post-de Gaulle. Aujourd’hui une analyse de la structure politique française reste à faire. 

Bruno Cautrès : La vie politique française donne aujourd’hui l’impression d’un fonctionnement à deux étages. L’un, local, tenu par les partis politiques traditionnels. L’autre, national, mu par ses propres dynamiques et structuré autour de partis qui peinent à trouver leur place dans les territoires. Cela risque de poser un réel problème au cours du prochain mandat. 

Que dire de la gauche ? Les aspirations du chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon à une véritable "union populaire" et à un troisième tour au moment des législatives sont-elles réalisables ? 

Marc Lazar : La gauche sort de cette élection dans une situation paradoxale. Le centre-gauche a été mis à mal par la campagne puis par les résultats de ses candidats : le score de Yannick Jadot a douché les espoirs d’Europe-Écologie-Les-Verts avec 4,63 %, Anne Hidalgo a réalisé le pire score du Parti Socialiste avec 1,75 %. Cependant, une autre gauche s’est illustrée dans cette élection, hissée à la troisième position le soir du 10 avril. Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France Insoumise, s’impose comme la nouvelle donne à gauche. Mais cela ne présage en rien de sa capacité à constituer une réelle force politique autour d’une union de la gauche. Tous semblent en tout cas ouverts à une discussion à gauche depuis le lendemain du premier tour. Reste à savoir si elles aboutiront, j’ai tendance à penser que cela sera très difficile. 

Bruno Cautrès : Jean-Luc Mélenchon, en appelant à prolonger la présidentielle avec un troisième tour aux législatives, fait preuve d’une réelle ambition pour la gauche. Son souhait, celui de devenir un Premier ministre de cohabitation, reste néanmoins difficilement atteignable. Déjà, LREM pourrait maintenir son ouverture afin de diviser la gauche. On l’a déjà vu au moment de la campagne, beaucoup d’hommes et de femmes de centre-gauche sont prêts à muscler la jambe gauche du chef de l’État en le soutenant dans son projet.

En somme, la situation laisse présager qu’à l'issue des élections législatives notre pays pourrait faire face à une situation politique inédite.

La volonté affichée de revaloriser les salaires des enseignants en est un signe, tout comme les mentions faites d’un tournant écologique, par la nomination notamment d’un Premier ministre qui en aurait la responsabilité. L’union populaire appelée de ses vœux par le leader de LFI aurait déjà du mal à se concrétiser. Ensuite, pour que le troisième homme du premier tour trouve sa place à Matignon, il faudrait que la gauche toute entière soit d’accord sur un grand nombre de sujets. Peut-on imaginer un Conseil des Ministres où tous les représentants de la gauche s’entendent ?

Marc Lazar : Mélenchon sait que ses chances d’arriver à Matignon sont minces. Toutefois, en se plaçant dès l’entre-deux-tours dans cette stratégie, il a rappelé la place qu’il entend tenir sous le prochain quinquennat : celle de premier opposant au président de la République, une place qu’il entend disputer à Marine Le Pen. Cependant, il semble que Jean-Luc Mélenchon ne réussisse qu’à mobiliser derrière sa personne. Rappelons qu’au premier tour 36 % des 18-24 ans l’ont soutenu dans son projet présidentiel. Cela pose toutefois un problème, si l’on se fie à l’analyse déjà faite par Céline Braconnier : Jean-Luc Mélenchon rassemble derrière lui, mais les personnes qui le soutiennent ne sont pas forcément là pour LFI au moment d’autres élections moins axées sur sa personne. Lui et son parti courent donc un risque en juin prochain de ne pas réussir à transformer l'essai. 

Les 12 et 19 juin se tiendront les élections législatives. La situation inédite, avec la première réélection d’un Président sortant hors cohabitation, peut-elle faire naître un résultat tout aussi inédit ? 

Bruno Cautrès : Depuis la réforme de 2002, les élections législatives se sont toujours placées dans le prolongement de l’élection présidentielle, donnant une majorité au Président élu. Cependant, Emmanuel Macron étant devenu le premier Président a être réélu hors cohabitation, c’est une toute autre situation qui pourrait advenir. LREM disposera-t-elle d’une majorité absolue ? Devra-t-elle faire alliance avec d’autres groupes dans le cas d’une majorité relative ? Et si oui, quels seront les groupes parlementaires prêts à lui tendre la main ? Le Modem ? Agir ? Horizons ? C’est loin d’être un point de détail dans l’élection qui arrive. Sans majorité absolue, Emmanuel Macron devra faire avec une coalition à l’Assemblée, et il devra alors regarder à sa gauche et à sa droite pour appuyer son gouvernement. 

En somme, la situation laisse présager qu’à l'issue des élections législatives notre pays pourrait faire face à une situation politique inédite. Cette situation pourrait poser de réelles questions de représentativité. En effet, LFI et le RN pourraient se retrouver avec un nombre de députés en décalage total avec les performances de leur représentant à l’élection suprême. Si tel était le cas, Emmanuel Macron devrait faire de la réforme des institutions politiques françaises, une réelle priorité de son mandat, au risque de compromettre la représentation démocratique, socle indispensable au débat politique. 

Marc Lazar : Les élections législatives sont à ce jour incertaines. On peut d’ores et déjà s’attendre à une abstention très haute. En outre, si le mouvement du Président réélu devait bénéficier d’une solide assise à l’Assemblée, il devra veiller à ne pas s’enivrer de l'hubris de la victoire. Ce serait une erreur, et l’ampleur du malaise révélée par cette élection doit être une mise en garde. 

D’autant que les dynamiques d’ancrage territorial sont centrales dans l’élection législative, chaque circonscription est représentée au Palais Bourbon, au terme d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il y a donc une tension qui reste manifeste, avec d’un côté la dynamique nationale autour de LREM, le RN et LFI, et de l’autre l’ancrage local, dont la vie politique est plus détachée des tensions illustrées au cours de la présidentielle. 

Bruno Cautrès : Les trois blocs qui se sont démarqués au cours du premier tour nous montrent dans quelle mesure notre système législatif manque de proportionnalité. Mais ces observations ne doivent pas pousser à tirer des conclusions trop hâtives sur un éventuel recours au scrutin proportionnel. Déjà, il est important de rappeler que toute réforme allant dans ce sens ne pourrait s’appliquer au vote qui se tiendra en juin, mais interviendra seulement ensuite. Il est aussi important de souligner que la représentation proportionnelle est un mode de scrutin qui connaît un nombre presque infini de déclinaisons. Selon le quotient électoral, le mode de calcul de la répartition des sièges, le paramétrage de la représentation proportionnelle, un tel système électoral pourrait tout à fait conserver le caractère majoritaire existant. Dans certaines configurations, le dosage proportionnel pourrait même accentuer la tendance majoritaire. Le cadrage souhaité par l'exécutif devra faire l’objet d’un débat qui risque de durer dans le temps. 
 

Copyright : BERTRAND GUAY / AFP

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