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07/03/2022

Nous sommes tous Ukrainiens

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Nous sommes tous Ukrainiens
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Le courage des Ukrainiens face à Poutine nous subjugue, dit Dominique Moïsi. Au fil des jours, ils apparaissent de plus en plus pour ce qu'ils sont devenus : la première ligne de défense du monde civilisé face à la barbarie. La première ligne de l'Europe. Poutine peut gagner la guerre, il ne gagnera pas la paix. Nouvel épisode notre série Ukraine, Russie : le destin d'un conflit.

Retrouvez la timeline de l’Institut Montaigne dédiée à remonter le temps et saisir la chronologie du conflit.

"Nous sommes tous Ukrainiens". Alors que le conflit entre dans sa deuxième semaine, les Européens et plus globalement le monde démocratique, éprouvent à l'égard de l'Ukraine ce que le monde ressentait à l'égard des États-Unis au lendemain du 11 Septembre 2001. La solidarité avec New York était le produit de la rencontre entre le sentiment de familiarité avec une ville monde faisant partie de notre imaginaire, et l'expression d'une vulnérabilité commune face au terrorisme islamiste. Invoquant l'article 5 du traité de l'Otan, les Européens se déclaraient prêts à venir au secours de leur grand frère, victime d'une attaque particulièrement spectaculaire et meurtrière.

En 2022, la familiarité avec l'Ukraine est moins grande qu'avec New York. Mais le sentiment de vulnérabilité commune est sans doute plus grand encore. La sidération devant le retour de la guerre en Europe a laissé place au fil des jours à une autre interrogation bien plus dramatique encore. Ces images en provenance d'Ukraine qui semblent sortir tout droit d'un film sur la Seconde Guerre mondiale pourraient-elles être celles de l'ouverture de la Troisième Guerre mondiale ?

Attaquer une centrale, un message d'absolue détermination

Au-delà de la guerre sur le terrain les présidents russe et ukrainien se livrent à une guerre de mots et à une guerre d'images qui semble obéir aux règles de l'escalade. En s'attaquant à une centrale nucléaire, sans hésitation et sans précaution particulière, le Président russe a voulu faire passer un message d'absolue détermination. "Dans ma conquête totale de l'Ukraine, rien ne m'arrêtera. Au lieu de continuer à aider les Ukrainiens, vous devriez les convaincre de se rendre avant qu'il ne soit trop tard, pour eux, comme pour vous. Autrement dit, ne pensez pas à établir une zone d'exclusion aérienne, vous risqueriez l'escalade vers le nucléaire".

Le Président ukrainien tire bien sûr des conclusions opposées de la démonstration de force de plus en plus irresponsable de Moscou. "Il faut arrêter Poutine avant qu'il ne soit trop tard : trop tard pour l'Ukraine, et trop tard pour l'Europe : il ne se contentera pas de Kyiv, il voudra Riga, Vilnius, Tallinn : trop tard pour le monde aussi, car on ne peut laisser un despote assoiffé de puissance, brandir impunément la menace d'utilisation de l'arme nucléaire".

L'Europe c'est la paix car Poutine c'est la guerre

Cette fois c'est différent (This time it's different) c'était le titre d'un excellent livre consacré à la crise financière et économique des années 2007/2009. "Cette fois c'est différent" pourrait servir de fil conducteur et d'explication à la crise potentiellement la plus grave à laquelle nous ayons à faire face depuis 1945. Certes, grâce à Poutine, l'Europe a retrouvé son récit fondateur. "Oui", l'Europe c'est bien la paix, car Poutine c'est la guerre.

"Cette fois c'est différent" pourrait servir de fil conducteur et d'explication à la crise potentiellement la plus grave à laquelle nous ayons à faire face depuis 1945.

Imaginons un seul instant que comme par un coup de baguette magique l'Union européenne se soit élargie jusqu'à inclure l'Ukraine et la Russie, les scènes de guerre auxquelles nous assistons aujourd'hui seraient tout simplement impensables. On ne se fait pas la guerre entre membres de l'Union. Victime d'une géographie qui la place au premier rang des spectateurs du conflit, la Moldavie, suivant les pas de l'Ukraine, vient de demander son adhésion à l'Union.

De fait, les réfugiés Ukrainiens entrent par millions sur le territoire de l'Union (plus d'un million dans la seule Pologne). Ils sont accueillis à bras ouverts par des Polonais, des Hongrois, des Roumains, des Allemands… qui les considèrent pour ce qu'ils sont : des Européens. Et des Européens particulièrement héroïques. Leur courage nous subjugue. Au fil des jours qui passent, ils apparaissent de plus en plus pour ce qu'ils sont devenus : la première ligne de défense du monde civilisé face à la barbarie d'un régime, qui est prêt, pour arriver à ses fins, à traiter les Ukrainiens comme il le faisait hier des Tchétchènes sinon des Syriens.

Il faut élargir et approfondir les sanctions

Mais les Russes sont-ils prêts à mourir pour Kyiv et peut-être même à tuer pour Kyiv, surtout si leurs victimes leur ont été présentées depuis des années par la propagande russe, comme des cousins sinon des frères ?

Poutine ira jusqu'au bout de sa logique. Nous devons aller jusqu'au bout de la nôtre et mettre en harmonie la défense de nos intérêts et de nos valeurs, et l'expression de nos émotions. Poutine escalade sur le terrain militaire, nous devons en faire de même sur le terrain des sanctions, appliquant la formule du "quoi qu'il en coute" aux mesures économiques et financières contre la Russie. Elles doivent être tout à la fois élargies - et pas seulement aux seuls oligarques les plus proches de Poutine - et approfondies jusqu'à inclure les industries du gaz et du pétrole russe.

La guerre va durer. Il faut démontrer à Moscou que notre détermination est sans faille, que notre volonté politique est à la hauteur du courage dont font preuve les Ukrainiens. Et que Poutine est seul et le sera de plus en plus. Ce ne sont pas les Chinois qui vont venir le sauver économiquement. Les échanges de la Chine avec la Russie ne représentent que 10 % des échanges de la Chine avec les États-Unis et l'Europe. Partager le même mépris pour le modèle démocratique à l'occidentale est une chose, remettre en cause la croissance et donc la stabilité de la Chine et de l'économie mondiale, pour les beaux yeux de Poutine en est une autre.

Il faut démontrer à Moscou que notre détermination est sans faille, que notre volonté politique est à la hauteur du courage dont font preuve les Ukrainiens. 

La Russie sera peut-être en contrôle du sud de l'Ukraine, dans les jours, sinon les heures qui viennent, coupant ainsi l'accès à la mer du pays. Et qui sait combien de temps Kyiv va encore tenir ?

Les jeunes ukrainiens défendent leur pays, les jeunes russes fuient Moscou

Mais l'équilibre des volontés est inversement proportionnel à celui de la puissance. Les hommes ukrainiens qui le peuvent rejoignent leur patrie. Ils sont prêts à sacrifier leur vie pour elle. À l'inverse, des jeunes russes éduqués ont peur de l'établissement éventuel d'une loi martiale, qui fermerait les frontières de la Russie. Ils quittent un pays dans lequel ils ne se reconnaissent plus, et fuient une guerre qui n'est pas la leur. À Moscou, sous l'effet de la demande, le prix des billets de train et d'avion vers l'étranger a littéralement explosé.

Poutine peut bien gagner la guerre, il perdra la paix.

 

Avec l’aimable autorisation des Echos, publié le 06/03/2022

Copyright : GENYA SAVILOV / AFP

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