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26/08/2018

Le combat des chefs en Europe

Le combat des chefs en Europe
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Tout est en train de se mettre en place pour le grand combat en vue des élections européennes du mois de mai 2019. Les adversaires s’échauffent pour mieux s’affronter. D’un côté, Matteo Salvini et Viktor Orbán, de l’autre Emmanuel Macron. Les premiers ne cessent de critiquer le second, encore récemment lors de leur rencontre du 29 mai à Milan : le Ministre de l’intérieur italien a fustigé « les élites financières de Soros et dirigées par Macron » et le Premier ministre hongrois a déclaré que le Président français est le chef des forces qui soutiennent l’immigration. Celui-ci, qui avait déjà dénoncé « la lèpre populiste » au mois de juin, leur a répondu le 30 mai : « Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent la haine. S’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison ». La confrontation est donc rude et ira crescendo dans les mois à venir. Car Matteo Salvini et Viktor Orbán ont besoin de désigner un ennemi pour mobiliser leurs troupes, tout comme Emmanuel Macron a intérêt à construire la figure de l’ennemi qui a désormais deux têtes. La politique se fonde sur les catégories des amis et des ennemis, nous a enseigné le sulfureux théoricien allemand Carl Schmitt. Cela se vérifie donc une nouvelle fois.

"Les adversaires s’échinent à alimenter leurs profondes et réelles divergences, presque en montrant leurs muscles, afin de polariser l’attention sur eux. Mais cela ne saurait occulter leurs faiblesses respectives."

Mais sur quoi repose cet antagonisme ? D’abord sur leurs conceptions opposées de l’Europe. Pour Emmanuel Macron, ainsi qu’il l’a expliqué dans plusieurs discours importants, il faut relancer et approfondir l’intégration européenne, créer une souveraineté européenne sans pour autant occulter la réalité des nations (il n’y pas de « peuple mondialisé » a-t-il déclaré récemment devant les ambassadeurs de France à Paris). Matteo Salvini et Viktor Orbán affirment eux la prééminence des souverainetés nationales afin d’aller vers une Europe des nations et des peuples, et veulent à cet égard changer l’orientation traditionnelle de la construction européenne, en premier lieu sur les questions des migrants et de l’immigration. Ils entendent aussi se libérer de toutes les contraintes imposées par Bruxelles. Par ailleurs, l’un et l’autre s’en prennent à la France, surtout celle qu’entend incarner le Président Macron : à leurs yeux, elle dispose de trop de pouvoir, défend avant tout ses propres intérêts et fait continûment preuve d’arrogance. Salvini et Orbán font ainsi resurgir de vieux différends et malentendus inscrits dans l’histoire entre leurs pays et celui de Molière. Enfin, l’affrontement porte sur les valeurs et il est fondamental. Le protestant Viktor Orbán a davantage théorisé ce sujet que Salvini. Il affirme la nécessité de réactiver les fondements chrétiens de l’Europe, mais un christianisme traditionnel. Salvini le rejoint, se référant à l’évangile et brandissant à l’occasion le rosaire. Emmanuel Macron, pour sa part, tente de concilier la laïcité à la française et un catholicisme ouvert. Orbán se fait le chantre de la démocratie illibérale et met en application ses idées en muselant la presse, en remettant en cause la séparation des pouvoirs. Matteo Salvini s’active pour une démocratie directe où la souveraineté populaire serait sans limite. Emmanuel Macron, lui, prétend rénover la démocratie française en combinant la verticalité du pouvoir totalement mise en pratique, et certaines formes de démocratie horizontale qui pour le moment n’ont point émergé.

"L’Europe ne se limite pas à ce combat entre l’Italie de Salvini, la Hongrie de Orbán et la France de Macron. Il n’en demeure pas moins que cet affrontement à neuf mois du scrutin européen est crucial. Une partie du destin de l’Europe est en jeu."

Les adversaires s’échinent à alimenter leurs profondes et réelles divergences, presque en montrant leurs muscles, afin de polariser l’attention sur eux. Mais cela ne saurait occulter leurs faiblesses respectives. Matteo Salvini et Viktor Orbán ont beau afficher leur bonne entente, ils divergent sur des points cruciaux. La Hongrie ne veut pas entendre parler d’une répartition des migrants sur son territoire, ce que demande Rome. Orbán est en faveur de l’Union européenne mais rééquilibrée vers l’Est. Il entend agir au sein du Parti populaire européen pour réactiver sous sa férule une démocratie chrétienne traditionnelle, puisque selon lui elle a été trahie par ses multiples concessions faites aux libéraux. Cette nouvelle droite peut s’allier à des populistes et à l’extrême droite mais à ses conditions. Matteo Salvini se montre pour sa part de plus en plus ambigu sur l’Union européenne et veut construire la Ligue des ligues européennes, et une alliance internationale des populistes, dont il prendrait la direction. En outre, Salvini dispose d’une marge de manœuvre limitée du fait de son alliance conflictuelle avec le Mouvement 5 étoiles et des difficultés considérables de l’économie italienne. Pour sa part, Emmanuel Macron traverse une mauvaise passe. Sa popularité est en baisse en France et il est isolé en Europe : son projet stagne du fait de l’opposition de l’Europe du Nord et, pour des raisons différentes, de ceux de l’Europe centrale, ainsi que de l’affaiblissement d’Angela Merkel. Précisément, pour masquer ces handicaps, Viktor Orbán, Matteo Salvini et Emmanuel Macron ont besoin de hausser le ton et d’aiguiser leurs polémiques. 

Gardons-nous pourtant d’un effet d’optique. L’Europe ne se limite pas à ce combat entre l’Italie de Salvini, la Hongrie de Orbán et la France de Macron. Quand bien même on rajouterait aux côtés de l’Italien et du Hongrois, les pays du groupe de Višegrad (la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie) voire l’Autriche, cela ne concernerait qu’une partie d’une Europe à 28, bientôt à 27 membres. Il n’en demeure pas moins que cet affrontement à neuf mois du scrutin européen est crucial. Une partie du destin de l’Europe est en jeu. Celle-ci a connu de nombreuses crises institutionnelles dans son histoire, presque toujours résolues par les élites dirigeantes. Mais cette fois-ci, ce seront les électeurs qui trancheront.

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