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03/03/2022

Faire de la France la première puissance agricole durable au monde !

Faire de la France la première puissance agricole durable au monde !
 Hervé Gaymard
Auteur
Ancien ministre de l'Agriculture

Comment cultiver le futur de l’agriculture ? À l’occasion de la tenue du Salon de l’Agriculture du 26 février au 6 mars, l’Institut Montaigne se penche sur les enjeux auxquels fait face le secteur agroalimentaire, à seulement quelques semaines de l’élection présidentielle. Ces enjeux, d'ordre économique, alimentaire ou environnemental, sont au centre du rapport publié au mois d’octobre par l’Institut Montaigne intitulé En campagne pour l’agriculture de demain. Le président de ce premier travail, Hervé Gaymard, ancien ministre de l’Agriculture, ouvre notre série avec une tribune qui invite à penser l’agriculture française de demain. 

La question agricole et alimentaire est centrale. Pour le monde, d’abord, car il faudra nourrir 10 milliards d’habitants en 2050 tout en diminuant l’empreinte carbone de la production agricole. Pour l’Europe, qui doit défendre son modèle alimentaire. Pour la France, qui doit revitaliser ses territoires, reconquérir sa souveraineté alimentaire, remplacer la moitié des agriculteurs qui partiront à la retraite dans les dix ans et réussir sa transition agro-environnementale, avec pour objectif la neutralité carbone en 2050. Et pour les citoyens, aussi, dont la santé est liée à l’équilibre nutritionnel. Et pourtant, à la veille de l’élection présidentielle, personne n’en parle ! 

Les agriculteurs Français sont en première ligne face aux effets du dérèglement climatique. Un nouveau paradigme climatique devrait bouleverser demain les conditions de production en France et en particulier au Sud de la Loire. Il faut adapter les modes de production et accélérer la décarbonation du secteur agricole, à l’origine de 19 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises, tout en capitalisant sur ses atouts pour accélérer la lutte contre le changement climatique.

Accélérer l’effort de décarbonation de notre agriculture

Comme tous les secteurs de l’économie, l’agriculture devra prendre une part active à la réduction des émissions de GES, dont le rythme reste insuffisant, avec une baisse constatée de seulement 8 % entre 1990 et 2019. Il faut accélérer la cadence, en luttant contre l’artificialisation des terres agricoles, en renforçant la lutte contre la déforestation importée (palme, soja), en généralisant le diagnostic carbone des exploitations agricoles et en rémunérant le stockage du carbone dans les sols.
 
Pour accompagner nos agriculteurs dans cette transition complexe, le rapport En campagne pour l’agriculture de demain publié par l’Institut Montaigne propose de créer un Fonds National pour la Transition Agricole (FNTA). Celui-ci devra permettre de soutenir le déploiement d’innovations durables et la structuration des filières au service de la transition agricole, en utilisant les avancées de la recherche scientifique pour une "agriculture de précision" et plus économe en intrants.

Comme tous les secteurs de l’économie, l’agriculture devra prendre une part active à la réduction des émissions de GES.

Pour accompagner nos agriculteurs dans cette transition complexe, le rapport En campagne pour l’agriculture de demain publié par l’Institut Montaigne propose de créer un Fonds National pour la Transition Agricole (FNTA). Celui-ci devra permettre de soutenir le déploiement d’innovations durables et la structuration des filières au service de la transition agricole, en utilisant les avancées de la recherche scientifique pour une "agriculture de précision" et plus économe en intrants.

Il faut accompagner la réduction des émissions des élevages, moderniser les bâtiments, diversifier les rotations, mieux gérer la fertilisation azotée et les effluents des élevages (fumier, lisier). Ce Fonds, qui concerne également le secteur alimentaire, doit permettre de transfigurer la contrainte en un nouvel avenir mobilisateur pour nos paysans. 

Il est impératif de conduire la révolution alimentaire à l'œuvre. Pour satisfaire l’augmentation de la demande mondiale - il faudra produire autant de nourriture entre 2010 et 2060 qu’entre 1500 et 2010 ! Pour relever le défi écologique. Pour une alimentation plus saine et plus équilibrée, qui doit être une priorité de santé publique. Il faut intensifier la communication en faveur des modes de production locaux et durables, harmoniser et rehausser les cahiers des charges bio en Europe, adossés d’une exigence de production locale. Il faut également mettre en œuvre des "clauses miroirs" dans les accords commerciaux, car il est scandaleux que les contraintes imposées aux agriculteurs européens ne s’appliquent pas aux importations. 

Libérer le plein potentiel du secteur

La décarbonation passera par la valorisation des atouts de la Ferme France, qui produit déjà 20 % des énergies renouvelables de notre pays. Elle pourrait en produire deux fois plus avant 2030, voire trois fois plus à l'horizon 2050, si le tarif de rachat est suffisamment incitatif et inscrit sur le temps long pour soutenir les investissements dans la méthanisation et l’agrivoltaïsme ; et si de nouveaux débouchés s’ouvrent pour les biocarburants issus des intercultures ou de pratiques agricoles durables. L’enjeu est double : renforcer la contribution du secteur agricole à la production d’énergie décarbonée tout en favorisant les pratiques génératrices de revenu.

L’atteinte de la neutralité carbone en 2050 repose aussi sur la valorisation des puits de carbone, dont font partie les sols agricoles. La France pourrait compenser près de 7 % du total de ses émissions de GES en s’appuyant sur la capacité de stockage de ses sols, par une politique proactive de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles riches en carbone, par la préservation des prairies et des élevages herbagers, ainsi que par le développement des cultures intermédiaires. En outre, il faut accélérer la structuration du marché agricole de la compensation carbone.

L’atteinte de la neutralité carbone en 2050 repose aussi sur la valorisation des puits de carbone, dont font partie les sols agricoles.

Cela nécessite l’harmonisation des référentiels de labellisation des projets bas-carbone du secteur et des méthodes de calculs. Une plateforme mettant en relation l’offre et la demande de compensation carbone pourrait inciter les entreprises françaises à se décarboner en recourant au carbone agricole et forestier local. 

Enfin, la transformation de nos agriculteurs en "carboniculteurs" participera demain au réenchantement du métier, alors que 20 % des exploitations françaises ne dégagent aujourd’hui aucun revenu. Il est important de pérenniser les campagnes de recrutement et de repenser la formation agricole, notamment en fléchant les offres de formation au niveau local et en fonction des postes non pourvus. Alors que près de 50 % des agriculteurs doivent partir à la retraite dans les dix prochaines années, cette campagne proactive de dégagement de revenu doit favoriser le recrutement d’une main d'œuvre plus nombreuse dans le secteur agricole. Car sa vitalité est essentielle à notre compétitivité.

La révolution climatique engage notre agriculture. Construisons une belle ambition française pour nos agriculteurs, notre environnement, nos territoires, notre recherche, notre économie et notre modèle alimentaire ! 

 

Copyright : ERIC CABANIS / AFP

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